Face au projet d’ordonnance qui revoit de fond en comble la matière de la revitalisation urbaine à Bruxelles, le Réseau Habitat, le Rassemblement pour le Droit à l’Habitat (RBDH), Inter-Environnement Bruxelles (IEB), le Stadsbeweging voor Brussel (BRAL) et l’Atelier de Recherche et d’Action Urbaine (ARAU) demandent au Parlement bruxellois qu’il refuse un projet qui lui retire ses prérogatives, et au Gouvernement qu’il s’attelle à la mise en place d’une véritable évaluation des dispositifs existants en vue d’éclairer un large débat démocratique incluant les associations de première ligne et faisant de la revitalisation des quartiers un véritable outil d’amélioration du cadre de vie au profit des habitants et contribuant à la réduction de la pauvreté.
La rénovation urbaine... sans le social et les habitants
En ce début de mois de juillet, le parlement bruxellois se voit saisi par le gouvernement d’un projet d’ordonnance qui revoit de fond en comble la matière de la revitalisation urbaine, laquelle encadre le dispositif des contrats de quartier. S’il est certain que le dispositif présente des lacunes, la refonte proposée, sans véritable évaluation préalable, inquiète les associations actives dans les quartiers concernés. La réforme est source d’un affaiblissement démocratique évident largement souligné par le Conseil d’État [1].
Depuis les années 90, la Région bruxelloise mène une politique de rénovation des quartiers via la politique des contrats de quartier pour lutter contre la dualisation sociale. Mais force est de constater que « malgré les interventions d’amélioration du bâti et des espaces publics qui ont été menées, l’inégalité de revenus entre les quartiers bruxellois continue de se creuser (…) entre des quartiers précarisés principalement situés autour du canal et à l’ouest et les quartiers aisés principalement situés à l’est et au sud de la Région » [2]. Sans avoir opéré d’évaluation du dispositif existant, le projet d’ordonnance met sur pied un nouvel outil, le contrat de rénovation urbaine (CRU). Celui-ci opère un changement d’échelle visant notamment à agir sur l’espace public d’axes considérés comme des fractures urbaines traversant les territoires de plusieurs communes. Ces interventions sur l’espace public doivent être associées à des projets à dimension »supra-locale ».
Des moyens pour l’espace public au détriment des logements sociaux
Le projet d’ordonnance affaiblit le dispositif des contrats de quartier (ils passent de quatre à deux par an) par un glissement des moyens vers les CRU qui bénéficient d’un budget de 110 millions par an (pour 5 CRU), tandis que la production de logements sociaux passe à la trappe.
En effet, dans le projet d’ordonnance, aucun des opérateurs visés n’a l’obligation de construire ce type de logements. Seul le logement « assimilé » au logement social avec des plafonds d’accès majorés de 20 % est prévu. L’exposé des motifs est limpide : sont visés des ménages disposant de revenus plus élevés que ceux permettant l’accès au logement social, et ce, alors que près de 60 % des locataires bruxellois sont dans les conditions d’accès à ce type de logement [3].
On nous opposera que les outils de rénovation urbaine n’ont jamais eu grande vocation à produire des logements sociaux et que c’est du côté de la politique du logement qu’il faut se tourner. Mais vu le contexte actuel de crise du logement, est-il responsable de se priver des moyens et du moindre instrument législatif qui concourrait, ne fût-ce que modestement, à cet objectif de loger les ménages les plus précaires à Bruxelles ?
Le Conseil d’État estime pour sa part que le projet d’ordonnance met à mal l’article 23 de la Constitution qui confie au législateur le soin de régler les aspects essentiels des régimes juridiques en matière de logement en vue de garantir le droit fondamental à un logement décent.
Le Gouvernement décide, le Parlement acte, les habitants se taisent...
L’ordonnance passe un vernis démocratique sur des choses déjà tranchées et à l’œuvre. Cinq projets de CRU ont déjà été budgétés et lancés en 2015. Les bureaux d’étude déjà désignés sont en train de plancher sur les diagnostics des axes concernés. En outre, l’ordonnance délègue la presque totalité du contenu du dispositif de revitalisation au Gouvernement, lequel se voit autoriser à déroger au peu de cadre qu’elle établit. Un élément que n’a pas manqué d’épingler le Conseil d’État dans son avis qui liste pas moins de 31 points d’habilitation au Gouvernement dérogeant au principe de légalité des subventions. Au nom de l’efficacité et de la souplesse, le Parlement se voit ainsi mis de côté pour une approche plus opérationnelle listant des moyens pour atteindre des buts non autrement définis. A titre d’illustration, mentionnons le fait que le Gouvernement peut modifier la zone de revitalisation urbaine (ZRU) [4] dans laquelle s’élaboreront les contrats de quartier et les CRU chaque fois qu’il le juge nécessaire alors que ce périmètre autorise des mécanismes loin d’être anodins telle que l’expropriation.
Ce glissement décisionnel s’opère alors que la Région est toujours orpheline de sa vision stratégique globale et transversale qui aurait dû se retrouver dans le Plan Régional de Développement Durable (PRDD). Celui-ci reste aux abonnés absents, révélant une défaillance fondamentale dans la hiérarchie des normes urbanistiques bruxelloises.
Par ailleurs, qu’en est-il de l’implication des habitants et de la société civile dans les processus de rénovation urbaine ? Les contrats de quartier prévoient explicitement la participation des habitants. Cette dimension est certes complexe à mettre en œuvre mais elle permet aux habitants des zones concernées et aux associations qui y travaillent de faire remonter des besoins, des recommandations sur la manière de « faire la ville ». Le volet CRU de ce projet d’ordonnance élimine purement et simplement ce volet participatif et met sur la touche les associations qui depuis des années travaillent à l’implication des habitants dans ces processus de rénovation urbaine, comme si les zones concernées étaient vides de tout habitant, usager, travailleur, etc.
Le manque de place prévue pour le logement à caractère social, le glissement du local vers le supra-local et le manque de prise en considération du rôle des habitants comme acteurs de leur ville font craindre que les dispositifs de revitalisation deviennent des outils destinés à préparer les conditions propices à une transformation des quartiers qui ne bénéficient plus à ses habitants.
En conséquence, le Réseau Habitat [5], le Rassemblement pour le Droit à l’Habitat (RBDH), Inter-Environnement Bruxelles (IEB), le Stadsbeweging voor Brussel (BRAL) et l’Atelier de Recherche et d’Action Urbaine (ARAU) demandent au Parlement bruxellois qu’il refuse un projet qui lui retire ses prérogatives et au Gouvernement qu’il s’attelle à la mise en place d’une véritable évaluation des dispositifs existants en vue d’éclairer un large débat démocratique incluant les associations de première ligne et faisant de la revitalisation des quartiers un véritable outil d’amélioration du cadre de vie au profit des habitants et contribuant à la réduction de la pauvreté.
[1] Voir ci-joint l’avis du Conseil d’État (p. 133) : http://www.weblex.irisnet.be/data/crb/doc/2015-16/129204/images.pdf.
[2] C’est le projet de Plan régional de développement durable (PRDD) du Gouvernement lui-même qui fait ce constat.
[3] Pour rappel, sous l’hypothèse de consacrer 25 % des revenus au loyer, 1 % seulement du parc est accessible aux 40 % des ménages aux revenus les plus faibles (Note de synthèse BSI. « Le logement à Bruxelles : Diagnostic et enjeux », Brussels Studies, Numéro 99, 6 juin 2016).
[4] La ZRU vient remplacer l’EDRLR (Espace de Développement Renforcé du Logement et de la Rénovation).
[5] Le Réseau Habitat regroupe dix associations bruxelloises actives dans la rénovation urbaine et le soutien à la participation des habitants à la revitalisation de leur quartier : Bonnevie, CAFA, CGAM, Convivence, Centre de Rénovation urbaine, Fabrik, Habitat et Rénovation, La Rue, Renovas, Une Maison en Plus (www.reseauhabitat.be).