Quelques miniatures

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12 juillet 2023 • Tom Nisse

Quartier du béguinage

Aujourd’hui, de loin, à quelque distance du parvis, début d’après-midi, l’hiver tiède s’obstine ; l’anarchiste de salon a vu deux touristes, elles semblaient un peu dépassées par leur promenade, leurs cheveux déjà sur le point de se détériorer, touristes occidentales dans une ville occidentale qui, après hésitation, entraient dans l’église. Il n’a par contre pas vu ce qu’elles y ont vu : tous les matelas le long de la nef, les bâches prévues pour des cas d’urgence, les bidons d’eau potable à côté des confessionnaux, les quelques réserves de biscuits dans la sacristie, tous les visages silencieusement violentés habitués désormais à la vieille pierre ; le lieu de survie de ces exilés-là, l’asile sans issue, sauf si réinvention des regards fragiles. En se détournant il a vu le ciel ronger le ciel.

Après la signature

Tout avançait avantageusement quand les nouveaux riverains du nouveau faubourg avaient enfin pu signer le document les habilitant à habiter l’appartement modèle, tout mobilier inclus. Quand donc ils avaient aménagé dans leur bien, ils s’étonnaient des messages, l’un découvert après l’autre ; sur l’écran du frigo clignotait la marque de lactose à ne pas oublier d’acheter, le réveil près du lit proposait des draps plus douillets, la télévision vantait la génération de télévisions à venir, les signes lumineux dans les toilettes des idées de repas du terroir.

De l’orientation

À l’intention des touristes, pour autant qu’ils voudront encore venir après la réalisation de cette série de quelques mesures structurelles, auront été érigées des baraques où ils pourront se procurer un plan de la ville. il y aura autant de plans qu’il y aura eu d’envies de créativité chez leurs concepteurs, et les noms des rues et des places y figureront au hasard ou selon un désordre pensé. sur les rues et les places on aura d’ailleurs remplacé les statues et monuments aux monarques et aux colonisateurs par de plus modestes, à la mémoire des désaxés et des naufragés, des enragés et des rescapés.

Le vent

L’hirondelle des rues jouit cet été. Le vent envahit les corniches sans pitié. Les gaz d’échappement sont déchirés en vapeurs minables aisées à éviter. Il la courtoise et elle l’accueille. À toutes les hauteurs, jusqu’en bas, sonore, le vent renverse beaucoup d’obstacles. L’hirondelle, elle, ressent les avantages des bourrasques pour leur apprentissage quand les prochaines sortiront du nid et commenceront leur vol à leur tour. Au-delà de la ville et de l’automne.

Ghetto

Le dernier habitant était poète. Son dernier poème il le composait simplement en faisant la liste des noms qu’il notait de mémoire après qu’ils eurent été effacés l’un après l’autre des sonnettes de la porte d’entrée.

Les microphones

Dans le quartier sous le pont ferroviaire vivaient les exclus, ainsi que ceux, un peu plus fortunés, qui coûte que coûte voulaient garder et partager une marge indépendante. On y trouvait dans ce quartier aussi beaucoup d’exilés clandestins qui n’étaient pas en possession de documents de séjour, parfois des familles entières. Lors, la Police de la Migration avait pris l’habitude de sillonner la mélasse des rues dans des voitures civiles afin d’effectuer des contrôles et des fouilles d’appartements. Et les exilés malchanceux disparaissaient dans des camps situés hors de la ville. Cependant, on reconnaissait aisément les voitures de la Police de la Migration, c’étaient des modèles massifs, neufs et propres. Et quand elles faisaient leur apparition, ou pendant et après les rafles, les musiciens et les poètes, qui habitaient en grand nombre les maisons délabrées de l’endroit, sortaient leurs microphones et leurs instruments sur le rebord des fenêtres, sur les balcons ou le bas de la porte, allumaient les amplificateurs et se mettaient à jouer et à scander furieusement. Le résultat sonore et intelligible était tel qu’après un temps les incursions de la Police de la Migration diminuaient considérablement. Au cas où on aurait coupé l’électricité du quartier, les habitants avaient trouvé des solutions.

Parmi d’autres

Les renards, qui s’étaient installés dans le parc et qui, depuis le temps, avaient compris, furent pris par une vive envie de déchirer les mollets et les tendons du climato-négationniste cocaïnomane qui était planté sur le trottoir non loin, tenant un carton rempli d’herbe dans lequel vivotait sa toute jeune tortue qu’il avait prénommée Salope. Ses mollets à lui parmi d’autres, soyez-en assurés.

Trajet

L’anarchiste de salon remontait de la cave. Il traversa le couloir, passa la porte et s’enfonçait dans la ruelle. Celle-ci, prolongée par quelques autres encore plus étroites, l’amena à la boue du terrain vague au fond duquel son contact vivait reclus dans l’usine désaffectée. Pendant le trajet la pensée du vieux grenier ne le quittait pas.

Brusquement une hypothèse

Quand tous les modes de payement étaient devenus virtuels, tous les mendiants qui n’avaient pas pu ouvrir un compte en banque, la plupart, mouraient pour de bon. Plans d’aménagement de lopins pour les fosses.