Sans titre 02
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12 juillet 2023 • Paul Hermant
Note : ce qui suit est à lire de préférence à voix haute, dans sa tête peut-être mais alors à voix haute dans sa tête).
Une des choses qu’il nous faudra défaire – faudra : ce serait toutes affaires cessantes, reste à voir si les affaires ne sont pas déjà cessées – c’est l’accaparement et l’empêchement de la ville comme d’autres choses sur cette planète, mais de la ville certainement car la question est de la fuir, de la subir ou d’en jouir, rien d’autre n’est désormais plus pensable : habiter la ville est une suggestion sans effet, une recommandation nue, et l’idée alors de la ré-habiter est en soi une voie sans issue, on ne réhabite pas les choses où l’on réside et où l’on a sectionné ce qui était encastré, la distinction des usages nuit à la capacité des pratiques, et s’il nous faudra prendre les îlots – mais dans le mien un voisin de gauche abattant l’arbre le plus haut du carré, voisin de droite arrachant vingt mètres de lierre arbustif et puis sans doute se précipitant chez Vandenborre ou n’importe quel retailer acheter une petite climatisation perso, allumable à la demande et la demande est forte, la canicule est une saison en tant que telle, une cinquième, et il y en aura d’autres, la saison des inondations, la sixième, reviendra à des dates non fixes car cette impermanence dans laquelle nous vivons n’est pas plus prévue en ville qu’elle ne l’est ailleurs – et s’il nous faudra prendre les îlots ce sera pour ancrer cette impermanence, faire ville dans la ville, on ne peut réhabiter qu’en se déshabituant, sinon on fait juste à réhabituer, et l’on est repartis pour accepter toutes les simplifications et toutes les aliénations que nous avons déjà enquillées et par l’entremise desquelles il est possible de jouir de la ville dans sa pollution, dans son alcool, dans son divertissement, dans son auto-immobilisme, dans son éclairage vitrinaire, dans son cri primal, dans sa santé mentale, dans son enchérissement permanent – là est la dernière permanence : dans la recherche du plus et du trop, là où l’on peut creuser on creuse, ce qu’on peut faire payer plus on le fait payer trop, et ce que l’on peut faire métro on le fait aussi, c’est la même chose, la même historicité de la permanence et du linéaire et si on dit une ligne de métro, c’est parce que le métro littéralement est une ligne, une ligne dans le sous-sol de la ville, une ligne dans un programme gouvernemental, le métro est une note de bas de page qui a des plans pour la cité, et pour la cécité aussi il sait comment faire, faut se cacher les yeux de la ville qui sera pour construire celle qui est déjà, c’est ça le plan de la ville, c’est cacher tout le temps ce qui est déjà invisible, les gens de l’irrespirable jusqu’au dernier essoufflement, il leur faut retrouver le rupestre, l’esprit des grottes, le grotesque, il faut qu’ils respirent toutes affaires cessées, cédées et décédées, pour le reste la ville où l’on vit est le monde dont on vit et ce n’est pas si simple à ne pas comprendre mais l’ingénieur faut-il qu’il s’en souvienne, vienne le temps, sonne l’heure, les jours s’en vont, je demeure dernier, je dernière demeure, il faudrait arrêter de creuser la tombe de la ville, retourner les sols est une spécialité qu’on finira par trouver sur les cartes de la rue de bouchers, une des choses qu’il nous faudra défaire – faudra : ce serait toutes affaires cessantes, reste à voir si les affaires ne sont pas déjà cessées – c’est l’accaparement et l’empêchement de la ville comme d’autres choses sur cette planète.