Point de vue

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12 juillet 2023 • Rachele Gusella

Place du Congrès
Larmes en feu sur un pavé qui pue la victoire.

Place Saint-Josse
Madame, les frites et ses oranges.

Au 33 je parlais polonais, je buvais Wyborowa et je faisais des films
On dansait, on flirtait mais on ne faisait jamais l’amour
Le soleil en terrasse était beaucoup trop bien pour être intimes.

Tu l’entends le béton ?
Ça fait six ans qu’il bégaie

Abbaye
Il y avait une maison là-bas.

Tu connais le béton ?
Il nous marche toujours dessus

Rue Royale
Droite comme une guillotine.

Des vierges en extase regardent les beaux yeux en pierre
quand ça devient glauque tu peux toquer la porte
Les gifles, les vêtements sous la pluie, la vie longue jusqu’au ventre.

Tu parles le béton ?
Sa langue dans mon frigo

Avenue Louise
Les cartons, les escaliers, une baignoire en cuisine.

Place Flagey
Les premièrers et les dernières fois où j’ai serré la nuit.

Au 63 on ne savait pas travailler, on avait la grande fenêtre et plein d’histoires.
Ma chambre était rose, mes jambes étaient fleurs et moi j’étais belle.
Maintenant il y avait le temps pour faire l’amour.

Je suis les renards
À la prison de Saint-Gilles j’ai trouvé les premières empreintes
au fond de la rue près d’une porte avec la même grande fenêtre
Jusqu’au fond du parvis entre les poèmes, les égouts, les toilettes
et les rails du tram.
Le swing du béton on le danse les pieds nus
Miettes, moineaux et moi.

Les toits chantent.

Il ne fait jamais noir
il ne fait jamais noir
il ne fait jamais noir

ici.

Au coucher de soleil on swingue le béton sur les toits
les fleurs chouchoutent entre les crêpelures
les fissures vertes sourient
On découvre leur saveur
Miettes, moineaux et moi.

Je suis les renards avec un goût de glace dans la bouche
Le béton chien heureux attend en bas
Je monte l’échelle

Les renards se baladent sur les pavés, entre les pauvres, la poussière et le pollen
Les enfants se trempent dans l’eau, entre le béton, les briques et la buée
Et pourtant, il ne fait pas encore noir sur les toits de Bruxelles
Et pourtant, je deviens plus grande sur les toits de Bruxelles.

Il ne fait jamais noir
Il ne fait jamais noir
Il ne fait jamais noir

L’été.