Rempart des Moines : pourquoi les habitants n’ont-ils pas été entendus ?
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23 août 2022 • Mohamed Benzaouia
L’enquête publique sur la démolition-reconstruction des cinq blocs du Rempart des Moines s’est clôturée avec une commission de concertation de plusieurs heures riche en débat. Tous les intervenant·es extérieur·es à la commission ont demandé à ce que le projet soit revu en profondeur, en soulignant ses aspects négatifs. Les voisin·es direct·es étaient nombreu·x·ses à soulever la perte considérable d’espace public ainsi que différents problèmes de mobilité qui affecteront leur cadre de vie. Cela n’a pas suffit pour empêcher un feu vert à la démolition, sans qu’aucune explication ne soit donnée pour que l’on comprenne comment nous en sommes arrivés là.
Après avoir laissé pourrir pendant de nombreuses années les cinq bâtiments de logements sociaux situés rue Remparts des Moines, avec des conséquences considérables sur les conditions de vie et la santé de ses 800 locataires, Le Logement Bruxellois demande un permis d’urbanisme pour reconstruire de nouveaux logements sociaux, mais aussi des logements moyens et des équipements collectifs.
La nécessité de rénovation des logements vétustes des cinq blocs du Rempart des Moines est une évidence. L’état dégradé des logements sociaux est la conséquence d’un manque d’entretien, pour ne pas dire d’un pourrissement volontaire durant de nombreuses années. La demande de permis introduite par le Logement Bruxellois pour la démolition-reconstruction de cet ensemble résulte de cette inaction. Jusqu’en 2008, c’était pourtant l’option de la rénovation qui avait les faveurs de la SLRB et du Logement bruxellois (autrefois appelé « Le Foyer bruxellois »). Mais à partir de 2010, le choix de la démolition-reconstruction a été validé par ces instances, écartant la possibilité d’une rénovation, pourtant envisageable. Cette dernière, moins lourde qu’une démolition tant d’un point de vue environnemental que social, aurait pu éviter le déplacement de familles entières pourtant bien ancrées dans le quartier. Par ailleurs, la démolition-reconstruction semble être ici une porte d’entrée à l’introduction d’une « mixité » qui permet la suppression pure et simple de 119 logements sociaux au profit de 133 logements moyens. Sans oublier qu’aucune évaluation du bilan carbone de cette démolition reconstruction n’a été réalisée en comparaison avec l’option d’une rénovation lourde.
1. Tension entre deux types de logements publics
Considérant que la Régie foncière de la Ville de Bruxelles est propriétaire d’un nombre important de logements sur le territoire de la Ville, il lui serait tout à fait possible d’envisager l’implantation de logements moyens à d’autres endroits. Cela éviterait la mise en concurrence de ces deux types de logement, moyen et social. Ce dernier constitue une fonction plus faible et doit être protégé en conséquence.
La conservation de 100 % de logements sociaux dans ce projet doit être l’objectif principal et pourrait être atteint en supprimant les logements moyens envisagés. Pour compenser la perte des 119 logements sociaux, le Logement bruxellois annonce prospecter du côté de Neder-Over-Heembeek et de Haren. Pourquoi vouloir déraciner des familles bien implantées dans leur quartier au profit d’hypothétiques constructions en périphérie qui seront, au mieux, disponibles dans 10 ans ?
2. Un quartier à échelle humaine
Par rapport à la situation existante, le projet envisage une très forte densification, passant de 26.000 m² à 43 000 m², soit une augmentation de 62,75 % ! Cette importante hausse se traduit par l’augmentation de l’emprise des constructions (entraînant une perte de près de 4.000 m² d’espaces non bâtis au sol) et par leurs gabarits imposants, particulièrement pour le bâtiment situé à la pointe nord du site et qui s’élèverait à 32 m, soit bien plus haut que le bâti environnant. Alors que dans la situation actuelle, les bâtiments sont situés en retrait par rapport aux rues, les nouvelles constructions seraient quant à elles beaucoup plus proches des espaces publics, renforçant l’effet d’écrasement que provoquent les immeubles élevés.
Ne conserver que des logements sociaux, sans rajouter du logement moyen sur ce site, répondrait un peu plus aux besoins grandissants en espaces publics des Bruxellois. Cela permettrait aussi d’éviter d’aggraver les problèmes liés à un projet trop dense dans ce quartier au bord de la saturation. Les gabarits pourraient aussi être revus à la baisse et s’intégrer de manière plus harmonieuse dans le bâti environnant.
3. Un bilan carbone réellement positif ?
Dans ce nouveau projet, le remplacement du système de chauffage et l’isolation des bâtiments auraient, il est vrai, un effet positif sur le bilan carbone et sur les factures des ménages. Mais si on analyse l’ensemble de l’opération en prenant compte, notamment, la démolition et le transport des matériaux, le bilan carbone final sera négatif avec une forte hausse de CO2. L’outil demolition-reconstruction.be nous indique que 32 ans seraient nécessaires pour atteindre un bilan à l’équilibre.
Un tel calcul n’a pas été joint aux documents consultables lors de l’enquête publique. Celui-ci n’a probablement jamais existé. Fournir ces informations n’est malheureusement pas encore une obligation légale, mais compte tenu des enjeux climatiques actuels, on comprend mal pourquoi, même un projet porté par les pouvoirs publics, échappe à cette analyse.
4. Préserver l’existant en bon état
La salle de sport sise sur le site est une construction récente réalisée dans le cadre d’un contrat de quartier. Elle est utilisée, moderne et fonctionnelle. Sa destruction constitue un gâchis écologique, mais également financier puisque sa démolition vaudra à la Ville de rembourser une partie du subside octroyé pour sa construction dans le cadre du contrat de quartier.
Le seul argument avancé, lors de la commission de concertation, en faveur de sa démolition est le fait qu’elle est transparente et n’offre ainsi pas d’intimité aux personnes qui l’utilisent. Le maître-architecte s’est quant à lui également positionné en faveur de la démolition en prétendant qu’elle simplifierait le chantier. Ces arguments nous semblent minces et complaisants. Le bon sens est de la garder telle quelle sur le site et de l’intégrer au nouveau projet.
5. Pourquoi autant de parkings ?
Dans une perspective de limitation du recours à la voiture en ville, il est nécessaire de réduire au moins de moitié le nombre de places de parking prévues dans le projet. L’excellente desserte en transports en commun du quartier et les voiries étroites qui jouxtent le projet justifient une réduction du nombre de places de parking, qui constituerait un signal fort allant dans le sens d’un shift modal nécessaire à la Région pour atteindre ses objectifs en matière d’émissions de gaz à effet de serre et de réduction de la place dédiée à la voiture dans l’espace public. La construction de 176 nouveaux emplacements de parking constitue une incitation à l’usage de la voiture et ne pourraient que générer du trafic supplémentaire, lui-même source de nuisances pour les habitants.
6. Qu’en est-il des demandes des habitants et des associations ?
Lors de la commission de concertation, habitants et associations ont fait état de demandes légitimes :
- Qu’un représentant du Logement Bruxellois leur explique les raisons de la non-rénovation de ces logements et la stratégie de non-intervention qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui ;
- D’adapter le programme prévu dans la demande de permis pour le rendre moins dense et de revoir les gabarits prévus à la baisse ;
- De revoir le programme pour que celui-ci revienne au taux initial de 100 % de logement social ;
- De réduire de moitié le nombre prévu de places de parking.
À la première revendication, le représentant du Logement bruxellois, présent à la commission, a répondu par un discours stigmatisant et alarmiste sur les habitants des cinq blocs en évoquant le trafic de drogue et l’usage de Kalachnikovs. Il n’a donné aucune réponse sur les responsabilités de la dégradation des bâtiments et des conditions de vie des locataires. L’échevine, quant à elle, a proposé de « tourner la page ». En évitant ainsi de déterminer les responsabilités et éventuelles sanctions des uns et des autres, on risque de voir ces pratiques se reproduire à l’avenir.
L’avis de la commission de concertation ne répond pas aux demandes formulées par les habitant-e-s et se contente de valider le projet. À l’exception de quelques conditions cosmétiques, il ne reflète pas les différents avis entendus ce jour-là. Cet avis fait également fi des 310 signatures récoltées dans une pétition exigeant une refonte complète du projet.
Au stade actuel, on se dirige fort probablement vers une situation de pourrissement. En effet, le processus d’enquête publique se heurte à des arrangements en dehors du processus démocratique réglementé. Habitants et associations ne se sentant pas écoutés n’auront d’autres choix que de recourir aux tribunaux pour se faire entendre. Il est dommage de constater qu’une fois encore l’absence de prise en compte de l’avis des citoyens et associations actives dans ce quartier conduise à une situation de blocage.