Les Young lords : gagner les institutions à sa cause
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3 août 2022 • Matthias Förster
Entre 1969 et 1970, un groupe d’étudiants révolutionnaires américains, d’origine portoricaine, a mis en œuvre des actions dont on dirait aujourd’hui qu’elles furent des pratiques d’écologie urbaine.
Ce groupe se battait contre l’oppression des Portoricains et la gentrification de leur quartier. Il était la branche new-yorkaise de la Young Lords Organisation (YLO), une organisation née six mois plus tôt d’une alliance latino-afro-américaine avec les Black Panthers.
D’abord, à l’été 1969, les Young Lords décident de prendre en main le nettoyage des rues de leur quartier, El Barrio, le ghetto portoricain de New-York. Ils sont rejoints par des habitants. Leur initiative souligne l’abandon du quartier par la Ville et les conditions de vie exécrables : « Le gouvernement nous oblige à vivre comme des cafards », disent-ils. Le refus de la mairie de leur octroyer des balais supplémentaires déclenche plusieurs jours de blocage de routes et une émeute. À la suite de quoi, la Ville relancera, quoique temporairement, son service de ramassage des poubelles.
Pendant l’hiver 1969-70, ils demandent à une église du quartier de pouvoir utiliser ses locaux en dehors des heures de service. Le pasteur refuse, ils l’occupent et la rebaptisent l’Église du peuple. Ils y offrent des petits déjeuners, organisent des cours de contre-histoire, de poésie… Un service médical est organisé, cogéré par des alliés médecins et infirmiers. Ils proposent notamment la détection de maladies liées à l’intoxication au plomb, le traitement des morsures de punaises ou de rats. Après onze jours, l’occupation prend fin avec son évacuation par la police.
Au printemps-été 1970, en résonance avec les Free Clinics ouvertes par les Black Panthers, naît dans les hôpitaux du Bronx et du Lower East Side le Health Revolutionary Unity Movement. Celui-ci s’affilie aux Young Lords. S’amorce alors une campagne de détection de la tuberculose dans le quartier. Les Youngs Lords envoient les testés positifs à l’hôpital pour confirmer le diagnostic. Devant la résistance des hôpitaux à accueillir ces patients, les Young Lords s’y rendent, expliquent la situation et organisent des manifestations jusqu’à ce que, finalement, un hôpital du Bronx accepte d’ouvrir ses portes le temps de la campagne.
Tout au long de leur parcours les Young Lords n’ont cessé de revendiquer « le contrôle communautaire de nos institutions et de nos terres ».
Dans la continuité, les Young Lords, après avoir demandé des bus équipés pour la détection de la tuberculose, finissent par en réquisitionner un pour la journée. 1 000 personnes sont testées en un jour. Dans le même temps, les Young Lords organisent un « bureau des plaintes » dans un hôpital du Bronx, et occupent pendant douze jours le service administratif pour demander de meilleures conditions de travail et la participation des patients et des travailleurs au conseil d’administration.
Enfin, à l’automne 1970, suite à la mort d’un des leurs à la Maison de détention pour hommes de Manhattan (officiellement un suicide le premier soir de son incarcération), les Young Lords sortent armés dans la rue pour rejoindre la marche funéraire rassemblant plus de 2 000 personnes… Ce « suicide » se produit peu après une émeute dans la prison, les mutinés exigeant de meilleures conditions de vie : « Nous faisons l’émeute à cause de la puanteur et de l’odeur nauséabonde des cafards, des fourmis et des puces. Et à cause de la nourriture, de la bouillie qu’ils nous servent. » La marche funéraire se termine par l’occupation d’une église qui sera la seconde Église du peuple. Un centre d’aide et de documentation légale sur la prison y est ouvert mais les habitants ne sont plus au rendez-vous.
Après cette action, les Young Lords périclitent pour des raisons variées et qui diffèrent selon les commentateurs : organisation en parti marxiste-léniniste trop éloignée des réalités du quartier, essoufflement, pression du FBI,… Néanmoins, revenir sur leurs expériences invite à considérer notre relation aux institutions, qui sont (parfois) et peuvent être le niveau d’organisation qui rend possible des réseaux élargis de solidarité. Tout au long de leur parcours, les Young Lords n’ont cessé de revendiquer « le contrôle communautaire de nos institutions et de nos terres ». En pratique, ils ont essayé de travailler avec les institutions défaillantes, non pas pour les conquérir, mais les « gagner à leur cause », trouvant parfois des alliés insoupçonnés, et forçant parfois la porte des alliances.
Pour aller plus loin
- Ce texte est un résumé l’article de Benedikte Zitouni : Enquête sur une lutte : les Young Lords de New York (1969-70), 2014 [https://dial.uclouvain.be /pr/boreal/object/boreal:221415].
- C. RICHARD, Young Lords – Histoire des Black Panthers latinos (1969-1976), éd. l’Échappée.