E. Rupture de charge : Anti-balade dans le centre-ville et sur la moyenne ceinture

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27 août 2021 • Damien Delaunois, Olivier Fourneau, Thyl Van Gyzegem

Pour nombre d’usagers rejoignant le centre-ville, la mise en service du métro 3 impliquera de nouvelles correspondances – des "ruptures de charges". À travers cette anti-balade qui combine tram et marche, nous aborderons l’impact de ce projet sur l’accessibilité de l’hypercentre et de Schaerbeek. Nous traiterons ensuite du sort probable du transport public en moyenne ceinture orientale, où sont visés l’augmentation de la vitesse commerciale du tram 7 et son prolongement jusqu’à Albert. Comme en témoigne le débat sur la localisation du (nouveau) terminus du 7, l’articulation entre cette ligne et le métro 3 soulève elle aussi des enjeux d’accessibilité. †

1. Avenue de Stalingrad > Place Annessens

Notre balade commence devant l’hôtel Stalingrad qui se situe à la fin de l’avenue du même nom (numéro 117). Ici se construit actuellement une nouvelle station de métro, nommée Toots Thielemans, qui sera desservie au plus tôt en 2025 par la ligne de métro 3. Dans votre dos, à moins de 500 mètres, se trouve la gare du midi où se trouvera l’arrêt précédent du métro 3. La station suivante, Anneessens, se trouve également à 500 m. Quant à la station Lemonnier, qui sera rénovée et reliée à la station de métro par un tunnel piéton souterrain, elle se trouve à gauche, sur le boulevard, à 80 mètres.

Outre son coût (175 millions d’euros), la proximité de plusieurs stations (Midi, Lemonnier, Anneessens) amène à se questionner sur l’utilité du projet Toots Thielemans.

Cette proximité de stations amène à se questionner sur l’utilité d’un nouvel arrêt de métro, d’autant que la zone comprend déjà, outre le train, deux lignes de métro (2 & 6), 6 lignes de tram, 4 bus STIB, 3 bus TEC et 12 lignes de bus De Lijn et que c’est la gare du midi qui offre le plus de possibilités de correspondances. Malgré sa relative inutilité, ce projet à 175 millions d’euros a obtenu son permis d’urbanisme et son chantier d’ampleur durera plusieurs années et aura pour conséquence de changer le visage de ce quartier populaire et multiculturel [1].

En effet, l’arrivée de la station de métro entraînera une hausse des valeurs immobilières, tant pour le logement que pour le commerce ,dans ce quartier coincé entre un nouveau piétonnier et les futurs développements prévus dans le cadre du Plan d’aménagement directeur Midi. La spéculation immobilière commence d’ailleurs déjà à se mettre en place avec le rachat de bâtiments par des personnes espérant réaliser une plus-value à l’issue des travaux. Aucun mécanisme de lutte contre cette spéculation n’a été mis en place par les pouvoirs publics, tandis que les commerçants jouent actuellement leur survie.

Longez le trottoir sur la gauche et passez devant le Palais du Midi sous lequel se creuse actuellement un bout de tunnel qui reliera l’avenue au Boulevard Lemonnier. Vous arrivez à la Place Rouppe. Prenez à gauche dans la rue de Tournai pour rejoindre le boulevard.

2. Place Annessens > Place De Brouckère

Remontez le boulevard vers le nord. Sous vos pieds se trouve le pré-métro où passent les lignes de tram 3 et 4, réputées saturées entre la gare du Midi et celle du Nord. Elles seront remplacées par le métro, capable de transporter davantage de voyageurs que le tram, afin de diminuer l’utilisation de l’automobile à Bruxelles. En réalité, la saturation, réelle en heure de pointe, pourrait sans doute être améliorée en isolant des lignes en amont qui empruntent le même axe (le tram 51 d’Albert à Lemonnier) ou qui le croisent (la ligne 82). Une remise en surface de ces deux trams aurait permis d’augmenter les fréquences des trams 3 et 4 et sans doute de répondre à la demande. L’étude de cette alternative a cependant été écartée au motif que les tracés en surface… gêneraient le trafic automobile !

Vous arrivez à la place Fontainas qui marque le début du piétonnier. Si la situation actuelle est beaucoup plus agréable qu’il y a quelques années pour le marcheur, elle l’est surtout pour le flâneur et le chaland. Car le piétonnier n’est pas le résultat d’une véritable réflexion sur la mobilité mais bien d’une volonté de redorer l’attractivité commerciale du centre-ville, notamment en attirant de grandes enseignes. Est-ce le même sort qui attend l’avenue de Stalingrad ? Le piétonnier se veut aussi un élément central dans la politique touristique de la Ville. Vous arrivez devant la Bourse, qui fut autrefois le haut lieu des manifestations et des rassemblements politiques et culturels. Aujourd’hui, cet espace minéral et totalement dégagé se prête plutôt à merveille pour l’événementiel et les opérations publicitaires [2].Vous êtes sous le cagnard ou la drache nationale ? À défaut d’un arbre où vous abriter, vous êtes contraint de chercher une place en terrasse ou de vous réfugier dans un magasin. Profitez-en pour admirer une dernière fois le bâtiment de la Bourse avant sa transformation en 2023, en un musée de la Bière fort contesté [3].

En vous arrêtant au coin de la première rue à gauche après la place, rue du Marché aux poulets, vous pouvez apercevoir le chantier de Brucity, le nouveau centre administratif de la Ville de Bruxelles, en lieu et place de l’ancien Parking 58 qui abritait 750 places de parkings. Le projet public comptera tout de même encore 450 places en souterrain en plus de celles réservées aux travailleurs de l’administration.

C’est que, si elle est invisible sur le boulevard, la voiture est encore plébiscitée pour accéder à la zone piétonne, renvoyée avec ses nuisances dans les rues proches et cachée dans des parkings hors voirie. Tout aussi regrettable, les pouvoirs publics ont fait le choix d’exclure totalement le transport public de la zone piétonne. Alors que le nouvel aménagement offre une place suffisante pour un transport public de surface, l’ensemble des arrêts de bus ont été replacés plus ou moins loin dans les rues adjacentes. Il manque pourtant une ligne de transport performante de surface qui traverserait le Pentagone d’Est en Ouest. Bien que cela ne semble pas être l’intention de la Région, la tramification annoncée de la ligne de bus 95 pourrait jouer ce rôle [4]. Pour vous déplacer du nord au sud en revanche, il ne vous reste qu’à plonger sous terre. Ce que l’on vous invite à faire lorsque vous aurez atteint la place De Brouckère.

3. Place De Brouckère > Gare du Nord

Prenez le tram 3 (direction Esplanade) ou 4 jusqu’à la gare du Nord. Pour démentir l’idée selon laquelle le coût très important du métro nord (1,8 milliard d’euros [5]) empêcherait le développement d’autres lignes de transport, la Région annonçait, au lendemain de la délivrance des permis nécessaires au tronçon Albert-Nord, la création de plusieurs nouvelles lignes de tram. Parmi elles, le tram 10 devra desservir Neder-over-Heembeek et une nouvelle ligne relier Tour et Taxis à la Gare Centrale. Pour cette dernière, deux itinéraires sont possibles entre la gare du Nord et la gare Centrale. La Stib souhaite que le tram aboutisse sur l’avenue Pacheco, via Rogier et le boulevard du Jardin Botanique. Le tram pourrait alors se connecter à Rogier via le métro. L’autre option, soutenue par la Ville de Bruxelles, consiste à passer de la gare du Nord jusqu’à la nouvelle tour Iris sur la place Saint-Lazare, puis via le boulevard du même nom pour aboutir à Pachéco.

Descendez à la gare du Nord, remontez jusqu’au hall des départs, empruntez le tunnel desservant les quais, sortez rue d’Aerschot et dirigez-vous vers la gauche.

Ce chantier a commencé alors que l’étude des incidences environnementales du reste de la ligne de métro 3, soit 4,5 km de tunnel et 7 stations à construire, était toujours en cours et que ses conclusions n’étaient pas connues.

4. Gare du Nord > Place Liedts

La rue d’Aerschot est actuellement en chantier pour la construction, sous le grill du chemin de fer, d’un « bout de tunnel » de 150 m. Situé entre la rue du progrès et la rue d’Aerschot, il servira de remisage des rames de métro pour la ligne 3, sur le tronçon Albert-Nord dans un premier temps, puis à terme de jonction entre la Gare du Nord et la Place Liedts. Ce chantier qui aura, dans sa seconde phase, une emprise sur l’entièreté de la route, a commencé alors que l’étude des incidences environnementales du reste de la ligne de métro 3, soit 4,5 km de tunnel et 7 stations à construire jusque Bordet, était toujours en cours et que ses conclusions n’étaient pas connues. Une manière de « verrouiller » le débat public sur le projet dans son ensemble, puisque l’ouvrage en chantier prend des hypothèses techniques (de profondeur de station, notamment) qui auront un impact sur tout le reste de la ligne. Rappelons toutefois que rien n’empêche que la ligne 3 se contente d’une desserte Albert-Nord, que ce « bout de tunnel » demeure un espace de remisage et qu’une amélioration du transport de surface schaerbeekois soit mise en place.

Prenez l’une des rues perpendiculaires à la rue d’Aerschot et tournez à gauche pour rejoindre la rue de Brabant. Remontez l’artère commerçante pour rejoindre la Place Liedts.

5. Place Liedts > Place Meiser

La Place Liedts est actuellement en chantier pour des travaux préparatoires à l’arrivée du métro 3, bien que les permis nécessaires à celui-ci n’ont pas été délivrés et que l’enquête publique n’aura pas lieu avant 2022. En attendant, tous ces chantiers (et ceux à venir) ont pour effet de dégrader la mobilité dans le quartier, en particulier pour le tram 55, voué à disparaître au moment de la mise en service du métro nord. En effet, elle est considérée comme non complémentaire avec la ligne 3 et pourrait lui faire concurrence.

Le tram ne joue pas le même rôle que le futur métro et celui-ci réduira l’accessibilité de Schaerbeek et Evere.

Rappelons ici que le tram ne joue pas le même rôle que le futur métro et que celui-ci réduira l’accessibilité de Schaerbeek et Evere. La ligne 55 compte cinq arrêts de plus que la future ligne 3 et assure une desserte locale : en la supprimant, ce sont les temps de parcours des usagers qui augmenteront. Et ce d’autant plus que les arrêts de la ligne 3 seront situés à plus de 30 mètres sous terre, avec des quais plus enfouis que ceux de la station Botanique. Le tram offre également une visibilité aux commerces de quartier, qui seront en concurrence avec ceux qu’abriteront les stations de métro [6]. Alors que l’omniprésence du trafic automobile mine les performances de la ligne 55, aucune amélioration n’est prévue pour les usagers avant sa suppression en 2030.

Prenez le tram 25 (direction Boondael) jusqu’à la place Meiser.

6. Place Meiser > Arrêt « Diamant »

Descendez à l’arrêt Meiser, après la traversée du carrefour (le tram s’arrête également avant celui-ci).

Point noir en matière de congestion et d’accidents, la place Meiser et son aménagement sont problématiques pour la circulation des trams, englués dans le trafic automobile. Ces problèmes de mobilité expliquent pour partie qu’un tunnel ait été projeté afin d’enterrer les automobiles. En 2013, le gouvernement régional envisageait la construction d’un double tunnel trams-voitures qui avait réjoui les autorités communales. Cette option a par la suite été abandonnée : en 2015, après la destruction du viaduc Reyers, le ministre-président Rudi Vervoort estimait que le tunnel et ses trémies auraient coupé le quartier en deux [7]. Le coût projeté (240 millions d’euros) a probablement joué un rôle dans cette décision.

L’idée d’un tunnel, en tout cas un tunnel voiture entre les boulevards Reyers et Wahis, a été fortement soutenue par des associations comme Droit de rouler et de parquer (DPR). L’argument principal était qu’une telle infrastructure aurait permis de « libérer la place Meiser de 40 % de ses voitures ». Outre qu’il ne s’encombre pas des enjeux environnementaux soulevés par la construction de tunnels ni des coûts de construction et d’entretien, l’argumentaire est imperméable à des leçons qu’on tire depuis des décennies : augmenter l’espace dévolu à l’automobile provoque tendanciellement une hausse du trafic.

Rendez-vous à pied à l’arrêt Diamant en empruntant le boulevard Reyers vers le sud. Entre Diamant et Reyers, on jouxte le périmètre du Plan d’aménagement directeur Mediapark qui vise notamment la création de 1 600 logements, de nouveaux sièges pour la VRT et la RTBF, de superficies dédiées aux activités médias variées (école, entreprises) et d’un parc d’une superficie de 8 hectares. La mobilisation des habitants et des associations a notamment permis de sauver de l’abattage le bois Georgin, qui abrite une riche biodiversité et est composé de près de 20 000 arbres. Ce projet de PAD aura un impact en termes de mobilité puisqu’il impliquera une déviation de la ligne de tram 25 dans ou à proximité du site. Cette déviation aura pour conséquence que le lien direct entre la commune de Schaerbeek et le campus de l’ULB sera perdu. Ce PAD devrait être remis à l’enquête publique en ce mois de septembre. Marchez jusqu’à l’arrêt suivant, Diamant, qui se trouve en souterrain.

7. Arrêt « Diamant » > Avenue Churchill

Descendre dans la station de pré-métro pour prendre le tram 7 en direction de Vanderkindere, une ligne majeure de la moyenne ceinture orientale qui relie l’esplanade du Heysel au haut d’Uccle. En raison de l’augmentation de la fréquentation et, plus récemment, de la densification que devraient connaître certains territoires traversés par le tram 7 (à la faveur, entre autres, des projets immobiliers proches de l’ULB et du Plan d’aménagement directeur Casernes), la « métroïsation » du tram 7 est régulièrement évoquée. Non pas via la construction de tunnels, mais par la mise en service d’un métro léger de surface, de nature à augmenter la vitesse commerciale sur la ligne. Cet objectif est à replacer dans la vision globale de la STIB quant au réseau de trams, qui entend à la fois compléter le maillage à l’ouest (une rocade qui relierait De Wand au Westland d’Anderlecht) et améliorer la performance sur la rocade est. Doubler la fréquence du tram 7 par le biais de son isolement implique de revoir son articulation avec d’autres lignes qui en partagent le tracé : le tram 25 (qui partage les rails avec le 7 entre Buyl et Meiser) et le tram 3 (entre Hembeek et Esplanade). Ce dernier deviendra le tram 10 et sera dévié vers Neder-over-Heembeek (NOH) peu après le pont Van Praet, de manière à ne plus entrer en conflit avec le tram 7 sur l’axe Hembeek – Esplanade Ainsi, les habitants du quadrant nord-ouest perdront leur connexion directe avec le centreville assurée par l’ancienne ligne 3, même si ceux de NOH bénéficieront d’une meilleure accessibilité au transport public 8. Ces quelques éléments témoignent que l’objectif d’augmentation des vitesses commerciales, et celui de gonfler la capacité du matériel roulant, entrent potentiellement en conflit avec la visée d’accessibilité, en vertu de laquelle le temps consacré à rejoindre un arrêt de transport public doit être le plus faible possible, comme le nombre de correspondances. 8. Lire « N2OH. Un tram pour accompagner le développement urbain de Neder-over- Heembeek », synthèse de l’étude d’impact 8. AVENUE CHURCHILL > AVENUE ALBERT Descendez à l’arrêt Churchill sur le rond-point et prenez le tram 3 vers Esplanade qui entame son parcours. La situation peut sembler ubuesque : si votre destination est Vanderkindere, vous pouvez rester dans le 7, mais au prix d’une attente qui peut atteindre 5 à 7 minutes – alors que du rond-point le terminus est accessible à pied en 5 minutes.
Atteindre Albert du rond-point Churchill implique donc une correspondance, alors que l’objectif, exprimé récemment par la ministre de la mobilité, reste de prolonger le tram 7 jusqu’à Albert. Pour cela, la Région et la STIB auraient dû déposer une demande de permis pour créer une arrière-gare dans la foulée des travaux liés au métro nord.

Le terminus du tram 7 sera toujours situé à Vanderkindere, ce qui impliquera une correspondance supplémentaire pour les personnes voulant rejoindre Albert de la Bascule (Uccle) ou de la moyenne ceinture orientale.

En l’absence de cette demande, le terminus du tram 7 sera toujours situé à Vanderkindere, ce qui impliquera une correspondance supplémentaire pour les personnes voulant rejoindre Albert de la Bascule (Uccle) ou de la moyenne ceinture orientale. Ainsi, un usager qui voudra rejoindre Albert en partant de Buyl devra prendre deux trams avant de pouvoir embarquer dans le métro. Cette rupture de charge supplémentaire a suscité la réaction véhémente des autorités uccloises [8]. Celles-ci soutiennent pourtant bec et ongles la construction du métro nord qui engendrera une correspondance pour un nombre très important d’usagers, dont des Ucclois : ceux des lignes 3, 4 et 51, qui bénéficiaient d’un accès direct aux espaces centraux. Le prolongement de la ligne 7 ne devrait pas être prêt pour la mise en service du métro à Albert, prévue pour 2025. Quant au prolongement prévu de ce tram 7 vers Forest, la STIB avait fait part de ses intentions de creuser (depuis la surface !) un tunnel sous le parc de Forest. Espérons que ce soit cette idée qui soit enterrée pour de bon plutôt qu’une autre ligne de transport public !


[3À ce sujet, lire : Beer Temple, le recours...

[5À ce jour, on ne connaît toujours pas la manière dont la Région envisage de financer le projet. L’État fédéral via Beliris finançant un maximum de 500 millions, le reste du budget est à la charge de la Région Bruxelles-Capitale.

[7"Le tunnel pour trams sous la place Meiser abandonné", Le Soir, 18/1/2018

[8« Uccle exige le déplacement du terminus du tram 7 à Albert comme initialement prévu », BX1, 20/5/2021 et « Uccle exige la construction du pôle multimodal Albert comme prévu », La Capitale, 19/5/2021.