Plan de transport 2017-2020 : l’offre de train au ralenti, le transfert modal aussi
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27 mars 2018 • Thibault Jacobs
Le 10 décembre dernier est entré en application le nouveau plan de transport de la SNCB, exercice trisannuel dessinant l’offre ferroviaire belge et fruit d’un processus laborieux de près de deux ans. Quel avenir dessine-t-il pour le train en Belgique et à Bruxelles, jusqu’en 2020 ?
Nouveaux horaires, prolongations de lignes, extension de l’offre, rénovations de gares et d’ateliers. L’étendue de la nouveauté peut sembler large. Le service de communication de la SNCB s’en félicite d’ailleurs largement, adressant urbi et orbi la bonne parole d’un nouveau service répondant aux besoins d’un très grand nombre de voyageurs (avec un bonne dose de sexisme publicitaire ordinaire, voyez page suivante). Si l’on se penche concrètement sur les mesures de ce plan, on ne peut cependant que déplorer la timidité de ses avancées. La montagne aurait-elle accouché d’une souris ? Comment dans ce contexte répondre aux ambitions bruxelloises en matière de transfert modal vers le rail ?
La concertation à reculons
Depuis 2014 et l’élaboration du plan de transport 2014-2017, la SNCB s’est engagée timidement dans un processus de concertation et de « co-création » de ses grands projets. Elle répondait par là aux doléances croissantes des différents acteurs de la mobilité en Belgique : régions désormais compétentes en cette matière, provinces, communes, compagnies de transport régionales et associations de navetteurs. Depuis quelques années aussi le groupe SNCB a intégré à son conseil d’administration des représentants de chacune des régions. Pour cette nouvelle mouture la transparence devait être plus grande encore. Quatre séries de réunions ont donc été organisées dès septembre 2015 à Bruxelles, en Flandre et en Wallonie. Ces roadshows, comme les qualifie le groupe ferroviaire, devaient permettre de faire le bilan du plan précédent, de récolter l’avis des acteurs sur le plan, d’enregistrer leurs demandes.
De l’aveu des participants, bruxellois comme wallons, ces séances n’ont cependant eu de participatives que le nom, et ont été bien plus unidirectionnelles que ne l’affirme le discours lénifiant de la SNCB. Les stakeholders [1] ont été confrontés à la présentation d’un projet bien ficelé dont bien peu de choses restaient encore à discuter. Les régions ont bien fait part de documents détaillant les projets qu’elles voulaient voir aboutir. 129 projets ont ainsi été soumis à la société ferroviaire. La SNCB s’y est servie comme dans une liste de course, en fonction de ses capacités, ou peut-être faudrait-il plutôt dire de sa bonne volonté. 65 projets sont retenus au final, dont 21 pour « l’aire suburbaine » bruxelloise. Dans les différentes administrations consultées le son de cloche est le même : le processus de sélection des projets a été très opaque, les critères et les justifications des choix n’ont pas été rendus publics. « Dans l’ensemble, ils font ce qu’ils veulent », nous dit-on.
Une tendance générale dans les processus de consultation publique observée depuis plusieurs années trouve malheureusement, une fois de plus, une parfaite illustration. La participation est principalement cosmétique, n’octroyant aux stakeholders qu’un rôle mineur, tout en habillant le promoteur de projet d’une cape de respectabilité.
Pas de compétence, donc peu de volonté
Cette insatisfaction de la prise en compte des intérêts régionaux mène le gouvernement wallon en novembre 2016 au refus d’avaliser une première version du plan. Ce veto médiatisé, qui prend place dans un bras de fer politique opposant alors des majorités régionales et fédérales aux compositions opposées, a conduit à de légers amendements du projet. Cette démarche n’est pas retenue à Bruxelles où le rapport de force est différent et l’intérêt pour le plan moins aigu sans doute.
Le relatif manque d’intérêt bruxellois pour le rail, quoiqu’en disent les responsables politiques et les grands plans de mobilité qu’a connu la région, se ressent assez fortement dans la conduite de ses politiques. Désabusé ou manquant de volonté, la Région ne se donne pas les moyens d’intervenir sur les dossiers ferroviaires. À l’administration régionale de Bruxelles Mobilité la cellule rail était jusqu’il y a peu totalement vide et les dossiers ferroviaires ne sont dans les mains d’un fonctionnaire que depuis quelques mois. Le plan régional de mobilité Iris 2 prévoyait en 2010 la création d’une interface ferroviaire régionale regroupant la STIB, Bruxelles Mobilité, l’AATL ou encore Bruxelles Environnement afin de coordonner leurs revendications auprès de la SNCB. Cette recommandation est cependant restée lettre morte. Le manque de compétence et de prise sur les décisions a eu raison de toute initiative en ce sens.
Le transport ferroviaire reste en effet avec le transport aérien une matière fédérale quand le transport routier est lui régionalisé. C’est derrière cette excuse que se retranchent les responsables politiques pour justifier leur manque d’action. En d’autres matières cette incompétence n’empêche pourtant pas le gouvernement régional de prendre des positions fortes et publiques pour infléchir les décisions fédérales, concernant le survol de la ville par les avions par exemple (on pense en particulier aux astreintes imposées pour le dépassement des seuils de bruit qui sont utilisées dans la négociation des routes aériennes).
La participation est principalement cosmétique, n’octroyant aux stakeholders qu’un rôle mineur, tout en habillant le promoteur de projet d’une cape de respectabilité.
Un plan de transport en temps d’austérité
Dans une attitude relativement passive, les autorités bruxelloise découvrent donc au même rythme que la population les avancées que lui réserve la SNCB dans son nouveau plan. Les attentes sont relativement basses : le budget de la SNCB a, on le sait, été fortement rabaissé sous cette législature. Les politiques drastiques d’austérité du gouvernement fédéral ont touché de plein fouet le groupe SNCB (et plus encore Infrabel). Le Plan pluriannuel d’investissement (PPI) 2013-2025 qui prévoyait 26 milliards d’investissement a été mis à la corbeille dès l’entrée en scène de la nouvelle majorité fédérale. Le nouveau PPI 2018-2022 a réduit ces budgets à peau de chagrin, les rabotant annuellement de près de 233 millions. [2] Le moins que l’on puisse dire, c’est que le compte n’y est pas.
La marge de manœuvre est donc réduite. Qui plus est, les autorités régionales et l’administration sont plutôt satisfaites des avancées obtenues par le précédent plan de transport 2014-2017 – l’opinion générale veut que Bruxelles a été alors plutôt généreusement servie. La SNCB ne manque pas de le rappeler aux Bruxellois lors de ses roadshows en promouvant les 32 nouveaux trains qu’a apporté la précédente mouture. En contrepartie, les autorités régionales sont donc prêtes à se satisfaire de peu cette fois et n’espèrent pas de grandes progressions.
Le moins que l’on puisse dire c’est que les mesures de ce nouveau plan n’excèdent pas ces faibles attentes. Les roadshows organisés par la SNCB peinent à camoufler la maigreur des avancées. Ces présentations mettent ainsi en avant l’extension de l’offre S (la marque sous laquelle est désormais identifiée le réseau RER bruxellois, à l’image des S-Bahn allemands), or celle-ci consiste principalement en la prolongation des lignes ou de certains trains en dehors des limites de la région. Les trains S4, S5 S6 ou S8 vont ainsi plus fréquemment jusqu’au bout de leur ligne à Vilvorde, Denderleeuw, Alost, Enghien ou Louvain-la-Neuve. Pour les Bruxellois, cela signifie la possibilité plus fréquente d’une navette depuis ou vers l’extérieur de la région, mais n’apporte aucune plus-value pour les déplacements intra-régionaux.
En somme, la principale nouveauté pour les déplacements internes à la région se situe dans la circulation de 14 nouveaux train tôt le matin ou tard le soir, en dehors des heures de pointes, répartis sur les lignes S2, S3, S5, S7 ou S10. Une grande nouveauté annoncée et fièrement mise en avant par la SNC B est la distinction enfin opérée entre offre du samedi et du dimanche. Région et administration qui portent cette revendication de longue date s’en montrent plutôt satisfaites. Cet enthousiasme porte pourtant sur de bien maigres avancées. L’axe Nord-Sud sera désormais mieux desservi le samedi avec un doublement des fréquences de passages des S1 et S2 (deux fois par heure). La rocade Est (ligne 26 avec détour par Luxembourg et le tunnel Josaphat [3]) sera quant à elle desservie samedi et dimanche une fois par heure par le S5. En l’attente du détail du PPI 2018-2022, il reste encore à voir si cette nouvelle offre sera bien financée. L’horizon de quatre trains par heure et par sens aux heures de pointe (deux aux heures creuses) dans toutes les gares bruxelloises est encore très loin. [4]
Les impasses de l’offre et l’incitation à la demande
Ce constat d’une offre assez faible pour les Bruxellois émeut relativement peu les responsables politiques. Une certaine résignation domine quant aux réticences de la SNCB à offrir un service intra-bruxellois. Résignation ou bon accommodement d’ailleurs, dès lors que la vision prédominante au sein des édiles bruxellois est celle d’une nécessaire segmentation des missions de la STIB et de la SNCB. La compagnie nationale des chemins de fer aurait pour vocation de desservir les distances longues, les trajet inter-cité, ainsi que, dans une moindre mesure, les zones suburbaines. L’intercommunale bruxelloise aurait quant à elle pour fonction le transport exclusif des habitants de la région. Il faudrait donc éviter que les deux sociétés publiques en viennent à se concurrencer pour le transport des habitants d’une même zone. Cette vision correspond parfaitement à celle de la SNCB (à moins qu’elle n’en émane) qui a toujours perçu son rôle historique en ce sens, veillant à amener au plus vite les voyageurs d’un centre-ville à un autre, sans s’attarder dans les gare secondaires.
Une certaine résignation domine quant aux réticences de la SNCB à offrir un service intra-bruxellois.
Dans ce contexte, comment faire en sorte que davantage de Bruxellois optent pour le train dans leur navette quotidienne interne à la région ? Le projet de Plan Régional de Développement Durable (PRDD) tout comme le plan de Mobilité Iris 2 se montrent en effet relativement ambitieux en envisageant à l’horizon 2025 un report modal vers le train tel que 5% des déplacements intra-bruxellois l’utiliserait désormais (contre 1% en 2010). Pour les décideurs bruxellois, ces objectifs relèvent cependant du vœu pieux. L’absence de contrainte et de mesures précises pour parvenir à ce report font en sorte que ces plans ne sont pas pris au sérieux. Ils sont considérés avant tout comme des outils de communication politique tant auprès de la population que des autorités fédérales compétentes. [5]
Faute de conséquence dans la prise de décision, de réelle volonté politique pour favoriser ce moyen de transport et d’investissements valables dans une offre attrayante, l’incitation au transfert modal doit donc emprunter d’autres voies. La première de ces routes secondaires est l’information et la communication, autour du réseau S principalement. [6] Les gares doivent être plus visibles dans l’espace bruxellois, leur existence autant que leur offre doivent être connues de tous. Les outils mobiles comme les planificateurs de transport doivent mieux intégrer l’option « S ». La tarification intégrée offrant un moyen de paiement unique, ticket ou abonnement, pour tout voyage en transport public dans les limites de la région doit également constituer un incitant. S’il est évident que l’ensemble de ces mesures sont importantes pour pousser davantage de Bruxellois à l’utilisation du train, elles risquent fort de constituer un coup dans l’eau, voire même d’être contreproductives si l’offre ne répond pas aux attentes des utilisateurs. Les navetteurs risquent fort d’en garder durablement une image négative. Le transfert modal vers le train devra encore attendre.
Thibault Jacobs
Inter-Environnement Bruxelles
[1] Le terme stakeholders désigne, dans la novlangue entrepreneuriale, les personnes ou organisations identifiées par un porteur de projet comme ayant un intérêt dans celui-ci. Par les temps qui courent, il est de bon ton de les consulter. Quant à les écouter... Pour une définition (im-)pertinente voir l’édito du BEM précédent.
[2] Le PPI 2013-2025 portait sur le groupe SNCB (Holding) dans son ensemble. Il a été remplacé par un PPI 2018- 2022 pour la SNCB de 3 milliards, un PPI 2017-2020 pour Infrabel de 4,3 milliards et un Plan Stratégique Pluriannuel d’Investissement (PPSI) 2018-2031 de 1,149 milliards. Le budget annuel consacré au train a donc été raboté de 233 millions d’euros. On mesure l’ampleur de la chute.
[3] Ce « détour » de la ligne par le tunnel Josaphat a, il faut le rappeler, l’avantage de rapprocher les navetteurs des pôles de bureau du quartier européen, mais a pour corollaire la moindre desserte des gares de Delta et de Merode qui présentent elle davantage d’intérêt pour les Bruxellois.
[4] À l’heure actuelle, 16 des 33 gares bruxelloises satisfont à cette demande de 4 trains par heure et par sens, 11 n’en comptent que 2 par heure et six seulement 1 par heure. Source : Réponse du ministre Pascal Smet en Commission Infrastructure du Parlement Bruxellois le 23 octobre 2017.
[5] Des études plus ambitieuses encore commissionnées par la Région bruxelloise en vue de développer une vision d’avenir des déplacements ferroviaires telles que Rail4Brussels ou encore Mobil2040 sont elles considérées comme ayant une fonction utopiste et provocatrice.
[6] Il faut pointer ici le fait que le déficit visuel du réseau S tient aussi au brouillage entretenu par la mauvaise utilisation de la « marque ». Si ce réseau veut être considéré véritablement comme une offre suburbaine bruxelloise, il faut remettre en question la pertinence d’une ligne comme le S1 circulant jusqu’à Anvers.