L’amélioration de la qualité de l’air au sein de l’agglomération bruxelloise est une priorité du gouvernement Vervoort. Mesure emblématique de ce dernier, la zone de basse émission a pour objectif de diminuer la concentration de polluants au sein de l’atmosphère. Pertinence et perspectives de ce dispositif qui arrive au terme de sa période transitoire.
Le premier jour de l’année 2018, la Région bruxelloise s’est dotée d’une « zone de basses émissions » ou « low emission zone » sur l’ensemble de son territoire, à l’exception du Ring et de certaines voiries permettant d’accéder aux parkings de transit (CERIA, Stalle et Kraainem). Ce dispositif a pour objectif d’améliorer la qualité de l’air à Bruxelles et l’impact sanitaire consécutif en interdisant progressivement l’accès des véhicules les plus polluants à la Région. Cette année, seules les voitures diesel, mises en circulation avant le 1er janvier 1997, ne pourront plus circuler au sein de la capitale. Les critères se durciront ensuite par étapes, pour aboutir en 2025 à l’interdiction de l’ensemble du parc automobile diesel immatriculé avant 2011. À terme, les véhicules essence seront eux aussi concernés puisqu’ils ne pourront plus entrer dans l’enceinte régionale s’ils ont été vendus avant l’année 2001. Afin de permettre aux citoyens de s’habituer à cette nouvelle réglementation, le gouvernement bruxellois a mis en place une période transitoire de 9 mois, à compter du 1er janvier, durant laquelle les conducteurs reçoivent un avertissement en cas d’infraction. À l’issue de celle-ci, il sera remplacé par une contravention. Cette période arrivant à échéance, il nous a semblé important de revenir sur ce dispositif afin d’évaluer sa pertinence face aux enjeux relatifs à la mobilité et à l’environnement en Région bruxelloise.
Dispositif et objectifs
La campagne de communication sur la mesure, en 2017, a été l’occasion pour les autorités bruxelloises de marquer leurs intentions. L’objectif du dispositif n’est pas d’ordre financier, il s’agit de pallier à l’urgence sanitaire : 12 000 personnes en Belgique meurent chaque année en raison de la mauvaise qualité de l’air [1]. Pour le ministre régional de la Mobilité, Pascal Smet, la solution réside dans l’interdiction d’accès de certains véhicules, car « […] on ne peut pas nier que le vieux diesel est le plus gros facteur » [2] (NDLR de la pollution). Dès lors, Bruxelles décide de mettre en place une « low emission zone » et rejoint la liste des 227 zones à basse émission en Europe.
Derrière ce concept se cache une diversité de pratiques et les modalités d’application du dispositif peuvent varier d’une région à l’autre. Au niveau de l’échelle d’abord, il existe ainsi, en Autriche, une zone à faibles émissions d’une surface de 4 000 km² où plus de quatre cents communes sont impliquées. Au niveau du contrôle ensuite, puisque dans certains pays la surveillance est manuelle et réalisée par la police tandis que d’autres préfèrent une surveillance effectuée par des caméras. Au niveau des véhicules, enfin, puisque certaines zones appliquent le dispositif à l’ensemble du parc automobile quand d’autres le limitent aux seuls poids lourds.
Pour la Région bruxelloise, la « zone de basse émission » interdit la circulation des automobiles en fonction de la norme européenne d’émission (EURO) [3]. Elle s’étend sur l’ensemble du territoire régional et le contrôle se fait automatiquement par un dispositif de 86 caméras [4]. Quelques exceptions viennent néanmoins s’appliquer à ces principes puisque certains véhicules peuvent bénéficier de dérogations comme les poids lourds, les deux-roues, les « ancêtres » ou les véhicules prioritaires. Les voitures prohibées peuvent également bénéficier d’un pass journalier payant afin d’avoir accès à la région huit fois par an [5]. Selon une étude de Bruxelles Environnement, la « zone de basse émission » devrait permettre à la région de baisser, en 2025, la concentration du dioxyde d’azote de 21 à 28% et du black carbone de 38 à 46% [6]. Ces chiffres doivent néanmoins être nuancés puisqu’ils sont étonnamment supérieurs à une étude réalisée par Transport & Mobility Leuven en 2011 qui tablait, elle, sur une diminution maximale de 8% des oxydes d’azote [7].
Critères et inégalités sociales
La LEZ se conçoit donc comme un outil visant à réguler les émissions nocives, sur un périmètre donné, en sélectionnant les véhicules peu polluants autorisés à y circuler. Pour ce faire, c’est la norme EURO qui sert de critère permettant de filtrer les véhicules autorisés à entrer dans la zone. Ce règlement européen, fixant les émissions maximales engendrées par la combustion d’un moteur sur un kilomètre, s’est considérablement affermi entre sa mise en place et aujourd’hui. Ainsi, l’émission maximale de monoxyde de carbone autorisé a été divisée par 2,72, les oxydes d’azote par 2,5, les hydrocarbures par 2, etc.
La logique sous-jacente légitimant les « low emission zones » est donc la suivante : si on interdit aux véhicules les plus polluants d’entrer sur un territoire, les conditions environnementales et sanitaires s’amélioreront.
Une faiblesse de ce raisonnement est de se concentrer sur les caractéristiques techniques des véhicules et non sur leurs usages. Une voiture ancienne roulant peu sera toujours moins polluante qu’une voiture neuve roulant beaucoup. Afin de satisfaire aux objectifs du gouvernement, il est nécessaire de prendre en compte le kilométrage annuel des véhicules. Cette nécessité est renforcée par le fait que cet indicateur est un marqueur distinguant les différentes catégories sociales au sein de la population [8]. De ce fait, la mesure du gouvernement bruxellois ne concernerait, pour l’année 2018, que 0,5% du parc automobile de la région et impacterait probablement les ménages les plus défavorisés et/ ou les plus âgés [9]. Les navetteurs et les classes moyennes ne seraient que légèrement impactés par la législation puisque c’est eux qui bénéficient majoritairement des voitures les plus récentes ou des véhicules de société. Par ailleurs, l’âge moyen d’un véhicule en Belgique étant de 7 ans et 9 mois [10], les mesures de restriction induites par la « low emission zone » suivent la courbe naturelle du renouvellement du parc automobile. Dès lors, une mesure touchant un nombre aussi marginal de véhicules peut-elle être efficace ? Cette efficacité peut-elle justifier la fragilisation que certaines catégories sociales vont devoir affronter, à la suite de la disparition de leur moyen de transport ?
Ces questions se trouvent encore renforcées à la suite du scandale Volkswagen. Celui-ci a montré que le résultat des tests en laboratoire ne correspond pas aux émissions des véhicules en circulation réelle. Certaines voitures diesel [11] relevant de la norme Euro 6, la plus stricte, répandent quatre à cinq fois plus d’oxyde d’azote que ce qui est prescrit [12]. En l’état, cela signifie qu’ils répondent à peine à la norme Euro 3 destinées aux véhicules immatriculés entre 2001 et 2006. Cette situation n’est pourtant pas amenée à s’améliorer. En effet, même si face au scandale, l’Union européenne a bien décidé de mettre en place des tests dits RDE (Real Driving Emissions) [13], la limite fixée par la Commission pour les oxydes d’azote atteint un seuil deux fois plus important que celui prévu en laboratoire.
Autrement dit, face à l’incapacité technique des constructeurs à respecter la législation européenne, les institutions ont décidé de créer une nouvelle norme plus laxiste. Si les écarts entre les deux tests sont appelés a se résorber progressivement, ces différents éléments tendent à montrer que la nouveauté d’un véhicule n’est pas un critère efficient pour résorber la pollution en milieu urbain.
Or, en mettant la focale sur les voitures anciennes, on occulte les grosses cylindrées, les berlines ou les SUV (abréviation de l’anglais sport utility vehicle). La possession d’une automobile polluante peut, en effet, être due à la contrainte de la nécessité, mais elle peut aussi résulter d’un choix coûteux et prestigieux [14]. En fixant comme critère, l’année d’immatriculation comme une des conditions d’accès à l’agglomération, les autorités oublient donc différents facteurs qui contribuent à la mauvaise qualité de l’air (le kilométrage annuel, le poids, la taille) et se basent sur une norme que les véhicules ne respectent pas.
Les résultats planifiés par Bruxelles Environnement ne risquent donc pas d’être atteints. Ce constat semble d’ailleurs déjà acté par la Ministre régionale de l’environnement, puisque suite à l’interpellation d’un parlementaire, elle a déclaré en substance qu’il serait difficile de mesurer l’efficacité du dispositif [15]. Comme celle-ci est tributaire, à la fois, des mesures environnementales adoptées par les régions adjacentes et des mesures techniques adoptées par l’Europe, les relevés annuels publiés chaque année par Bruxelles Environnement évalueront l’impact global de l’ensemble de ces initiatives.
Bruxelles se trouve donc dotée d’une zone de basse émission, semblant inopérante, dont les résultats ne sont pas mesurables. Si les citoyens doivent légitimement s’interroger sur la pertinence de l’outil, les constructeurs automobiles peuvent se féliciter de cette première mesure contraignante à l’achat de leurs produits alors que les moins nantis voient leurs accès à la ville se complexifier.
Périmètre et différents niveaux institutionnels du pouvoir
Au-delà des débats sur l’efficacité supposée du dispositif, il s’agit aussi de remettre en question la cohérence du périmètre choisi. La zone de basse émission s’étend sur l’ensemble des routes régionales à l’exception des axes menant aux parkings de dissuasion et du Ring. Si cette singularité peut s’expliquer par la faible portion d’autoroutes sous juridiction bruxelloise, elle est absurde du point de vue sanitaire et environnemental. Le périphérique est, en effet, responsable de 20 à 30% des émissions de certains polluants au sein de l’agglomération [16].
La concertation entre les différents niveaux de pouvoir semble d’autant plus importante que la Flandre, elle, a des projets d’envergure pour l’axe autoroutier. Afin de séparer la circulation de transit et de passage, elle envisage d’augmenter le nombre de bandes à dix sur certaines portions au nord du Ring. Face à ces aménagements qui mettent en péril les efforts de la Région en matière de pollution, on se serait attendu à une réaction énergique. Il n’en est rien ! Ainsi, à l’issue de la consultation publique, cet été, le gouvernement régional n’a remis aucun avis [17]. Préalablement, il était même absent des réunions de travail laissant, seul, un fonctionnaire de Bruxelles Environnement représenter les intérêts de la Région. Pourtant, les enjeux auraient justifié un peu de proactivité. Ainsi, une étude d’incidences, réalisée en 2012 par les autorités flamandes, précise que l’élargissement du Ring générerait 12 tonnes de particules fines, 150 tonnes d’oxyde d’azote et 109 000 tonnes de dioxyde de carbone [18].
Ces nouvelles infrastructures auront d’ailleurs un autre impact au sein même des frontières régionales : puisque tout élargissement de voirie répond à une demande latente de trafic, il y aura immanquablement un report modal. Dès lors, certains utilisateurs des transports en commun, notamment, seraient amenés à reprendre leurs voitures en raison de l’amélioration temporaire des conditions de circulation, mais cet effet de trafic induit entraînerait, dans un délai de cinq à dix ans, de nouvelles congestions au sein du périphérique [19]. Par ailleurs, ces nouveaux utilisateurs du Ring ne manqueront pas de rentrer dans la capitale et les faibles limitations introduites par la « zone de basse émission » ne permettront pas de juguler la pollution produite.
L’absence de cohérence entre ces projets témoignent des visions discordantes qui existent sur les objectifs de mobilité entre les régions et la concertation difficile qui subsiste en la matière.
Constats et perspectives
L’amélioration de la qualité de l’air en ville est à la fois souhaitable et urgente. Pourtant, ce n’est pas la zone de basse émission qui permettra de réaliser cet objectif. Le dispositif actuel s’apparente aujourd’hui davantage à un outil de communication qu’à une mesure environnementale. En se basant sur des critères inadaptés, elle permet à tout un chacun d’utiliser une voiture si celle-ci est (relativement) neuve. Ce constat amer peut encore être renforcé si l’on pointe l’absence de réaction de la Région face au projet d’élargissement du Ring. Par son silence, elle a montré qu’en interdisant les véhicules désignés comme les plus polluants, elle ne s’occupe pas de la pollution automobile dans son ensemble. La zone de basse émission semble, à bien des égards, être une réponse superficielle aux nuisances de l’automobilisme. Celle-ci n’est pas sans conséquence puisque les mesures restrictives qui en découlent vont complexifier le droit à la ville pour une frange de la population. Le prix de l’immobilier ne sera, dès lors, plus le seul facteur restreignant l’accès au plus grand bassin d’emploi du pays.
De fait, le statu quo n’est pas souhaitable. La pollution atmosphérique est responsable chaque année de maladies respiratoires, de cancers et de décès, mais la proposition du gouvernement semble par trop d’aspects inefficace et inégalitaire. Cependant, la zone de basse émission pourrait avoir comme qualité principale de remettre à l’agenda politique la thématique du péage urbain. En effet, l’un comme l’autre sont des dispositifs limitant l’usage de l’automobile au sein d’un périmètre donné. La différence entre les deux méthodes est que le péage urbain a déjà démontré ses vertus. Ainsi, à Milan, sa mise en place a permis de diminuer les concentrations de CO2 de 20%, les autres polluants quant à eux ont diminué de 40% [20]. À Londres, la même mesure a diminué le trafic entrant en ville de 21%. Ce chiffre augmente à 33% pour les voitures [21]. Ces résultats peuvent être mis en perspective avec ceux obtenus par les zones de basse émission aux Pays-Bas, des dispositifs semblables à celui de Bruxelles, où, si l’on a constaté une diminution de concentrations des polluants, elles ne sont pas suffisamment significatives pour prouver que la LEZ en soit seule responsable [22]. Au-delà de ces exemples, les résultats européens varient fortement d’une ville à l’autre et sont parfois sujet à controverse. Il n’existe donc pas de consensus scientifique permettant d’affirmer que ces zones soient des outils pertinents afin de diminuer la concentration de pollution en ville.
Le péage urbain, quant à lui, améliore la qualité de l’air mais certains le critiqueront au nom de la justice sociale. On peut effectivement admettre que tout le monde ne soit pas capable de s’acquitter du montant demandé [23]. Cette idée peut néanmoins être nuancée par le fait qu’à Londres le péage urbain a généré 120 millions de livres sterling. Sur cette somme, 90 millions ont été utilisés à l’amélioration des transports en commun. Pour Bruxelles, un péage urbain à 3 €, entre 6 h et 10 h du matin, rapporterait 323 millions d’Euros par an, soit l’équivalent de la dotation annuelle de la STIB, et réduirait le trafic automobile de 11%. En matière d’équité, la zone de basse émission est assimilable à un droit des nantis tandis que le péage urbain est un véritable outil de prélèvement et de redistribution des richesses. La Ministre bruxelloise de l’environnement, Céline Fremault, déclarait, en novembre dernier, que la suite logique à la zone de basse émission était le péage urbain. Il s’agit donc d’espérer que cette suite arrive rapidement.
Olivier Fourneau
Chargé de mission
[1] J. Rensonnet, « Zone de basse émission (LEZ) dès le 1er janvier 2018 : votre voiture sera-t-elle interdite à Bruxelles ? » [en ligne], 28/09/2017, consulté le 20 juillet 2018, www.lavenir.net.
[2] Ibid.
[3] Voir ci-dessous.
[4] Ces caméras de reconnaissance automatique des plaques d’immatriculation peuvent aussi bien être utilisées afin de vérifier la conformité des véhicules circulant au sein de la LEZ que pour verbaliser des infractions au Code de la route, contrôler le recouvrement des taxes régionales de circulation ou la conformité des véhicules au contrôle technique. L’objectif de la Région est d’installer 330 caméras de ce type à la fin de l’année 2019, dont 176 consacrées à la zone de basse émission.
[5] ADEME, Poupounneau M.,Forestier B., Cap F., « Zones à faibles émissions à travers l’Europe – Déploiement, retours d’expériences, évaluation d’impacts et efficacité du système », 2018, p.68.
[6] ARAU, « Zone de basse émission : une mesure nécessaire mais insuffisante – Un premier pas vers un péage urbain et/ou une extension au dispositif du ring », Analyse du 22 janvier 2018, p.3.
[7] Ibid.
[8] Demoli Y., « Carbone et tôle froissée. L’espace social des modèles de voitures », Revue française de sociologie 2015/2 (Vol.56), p.236.
[9] Lannoy. P, « Écho de la rue : la pollution de l’air à Bruxelles », Podcast, disponible sur : www.ulb.ac.be.
[10] Bruxelles Environnement, « État de l’environnement : Air – Caractéristiques environnementales du parc automobile bruxellois » [en ligne], Rapport 2011-2014, disponible sur : https://environnement.brussels.
[11] Près de 9 véhicules diesels sur 10 selon Cuenot F. in Jacqué P. et Van Eeckhout L. « Volkswagen : 4 questions sur les normes de pollution et les tests sur les véhicules diesel » [en ligne], Le Monde, 23 septembre 2015.
[12] De Sadeller N., « Dieselgate : l’enfer est pavé de bonnes intentions », La Libre Belgique, 25 novembre 2015.
[13] Les tests en circulation réels visent à supprimer les différents biais que peuvent subsister en laboratoire en exposant le véhicule à différents paramètres aléatoires : la température ambiante, la vitesse et la charge.
[14] Y. Demoli, op. cit.
[15] Réponse donnée le 15 mars 2018 à la question de E. Bots à la question n°756, Q.R., Parl. Rég. Brux.-Cap., 2017-2018, n°36, p.241.
[16] M. Strale, « Écho de la rue : la pollution de l’air à Bruxelles », Podcast, disponible sur : www.ulb.ac.be.
[17] PA. D., « Le silence “injustifiable” du gouvernement régional », La Capitale, vendredi 2 août 2019.
[18] MODAL SHIFT, « Étude d’incidence sur l’environnement – Transformations de la partie Nord du Ring de Bruxelles », Bruxelles, février 2012, p.1.
[19] T. Litman, « Generated trafic and induced travel – Implications for Transport Planning » [en ligne], Victoria Transport Institute, 24 avril 2018. Disponible sur : http://vtpi.org/gentraf.pdf.
[20] Débats relatifs à l’instauration éventuelle d’un péage urbain à Bruxelles, Parl. Rég. Brux.- Cap, 2008 – 2009, séance du 31 mars 2009, p.19.
[21] Ibid., p.10.
[22] ADEME, M. Poupounneau, B. Forestier, F. Cap, op. cit., p.62.
[23] Pour en savoir plus, voir : T. Van Gyzegem, « Quel péage pour quelle ville ? ».