Inter-Environnement Bruxelles
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Voltigeurs et coursiers

Pendant des décennies, le modèle de mobilité belge et bruxellois a été façonné autour de la route et de l’automobile. Ce système est aujourd’hui dans une impasse : tout est bouché. Si les embouteillages sont désagréables pour tout le monde, ils sont dramatiques pour les entreprises de livraison qui voient leur activité et leur rentabilité mises en péril. Il existe pourtant plusieurs types de solutions qui pourraient inverser la tendance.

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Espaces de livraison de proximité

Aujourd’hui, chaque chauffeur-livreur tente de s’approcher au maximum du commerce qu’il doit desservir et chaque commerce réceptionne sa propre marchandise. Demain, cette logique pourrait changer grâce aux Espaces de livraison de proximité (ELP). Un ELP est une aire de livraison protégée qui est contrôlée et gérée par un employé à demeure. Cet employé est nommé « voltigeur » et sa fonction est de réceptionner les marchandises pour plusieurs commerces de la zone et d’y effectuer la livraison terminale.

Les camions et camionnettes ne s’arrêtent donc plus qu’à une place de livraison unique, et seulement pendant le laps de temps nécessaire au déchargement. Ensuite, c’est le voltigeur qui assure le transport final des colis vers les commerces (à l’aide d’un diable ou d’un transpalette). Les ELP pourraient être instaurés dans tous les quartiers commerçants et sont particulièrement utiles dans les zones piétonnes.

La logistique serait optimale si, en renforcement de ce système, les colis transitaient au préalable par un Centre de Distribution Urbaine qui grouperait les marchandises et cadencerait les trajets (voir l’article « D’abord il y eut la roue »).

Livraisons à vélos

Depuis quelques années, les cyclistes de « courrier express » ont été rejoints par d’autres types de livreurs. Certains coursiers, au guidon de vélo-cargos ou de tricycles, sont capables de transporter des colis et de de lourdes charges : des déménagements entiers ont été effectués de la sorte. Dernièrement, on observe une recrudescence de cyclistes affublés d’immenses sacs à dos renfermant des repas chauds. Et ce n’est probablement pas fini : selon le projet européen Cycle Logistics, 50 % des biens légers pourraient être livrés à vélo en ville, soit 1/4 des livraisons totales.

Le recours à des coursiers à vélos offre des avantages aux entreprises : ils sont flexibles, rapides et leurs temps de trajets sont réguliers. Du point de vue de l’environnement, les bicyclettes paraissent très positives : moins de bouchons et pas de pollution (même si les vélos électriques ne sont pas des « véhicules propres »). Économiquement, ces emplois peu qualifiés et non délocalisables paraissent également désirables. Attention toutefois à deux dérives inquiétantes. Premièrement, certaines grandes entreprises de livraison – dont la camionnette reste l’outil fétiche – possèdent une flotte très réduite de vélos qu’ils n’utilisent que comme argument marketing. Ce faisant, elles pratiquent des prix dérisoires qui anéantissent la concurrence de nouvelles et petites sociétés de livraison cycliste. Deuxièmement, on peut déjà assister à une tendance à « l’uberisation » de certains de ces nouveaux emplois. Payés à la commission, sans temps de travail garanti, sans salaire minimum et sans protection sociale, ces coursiers ne sont reliés à leur emploi que par une application pour smartphone. Ces nouveaux travailleurs pauvres sont généralement des chômeurs, des étudiants, des retraités et des bas salaires, c’est-à-dire des personnes suffisamment aux abois pour accepter ces conditions de travail iniques. Les entreprises concurrentes, respectueuses des lois sociales, ne luttent pas à armes égales. Certes, ces services de livraisons ne sont pas chers pour les consommateurs mais ils pourraient entraîner la précarisation de la société dans son ensemble.

Jérôme Matagne