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Une large visibilité des sans-papiers à Bruxelles

Bruxelles est certainement la ville belge qui attire et accueille le plus grand nombre de personnes sans-papiers. Les statistiques ainsi que le nombre d’actions et de mobilisations qui se sont succédées depuis 1974 confirment ce constat.

Depuis les années septante, les sans- papiers ont rendu leur présence à Bruxelles visible par différentes actions, parfois relayées par la presse. Ces actions spontanées ont très vite reçu le soutien de comités composés de militants, d’intellectuels, de membres du clergé, entre autres... Le monde associatif et syndical leur a emboîté le pas.

1974 : les premières mobilisations

En mars 1974, un groupe de « travailleurs clandestins » (comme ils se présentent alors eux-mêmes) entame la première grève de la faim dans l’église Saints-Jean et Nicolas, rue de Brabant à Schaerbeek. Le 1er avril de cette année, les autorités prennent la décision d’évacuer les grévistes et les expulsent le jour même vers leur pays d’origine (Maroc, Tunisie). Si l’intention est d’en finir avec cette question, cela a plutôt l’effet inverse. Les mobilisations s’intensifient, suivies de négociations qui aboutissent, pour la première fois en 1974, à la régularisation de plus de huit mille personnes.

1998 : les manifestations se multiplient

Entre ce moment et la fin des années nonante, quelques actions à petite échelle tentent de remobiliser sur la question, sans grands effets ni résultats. En octobre 1998, suite à la mort tragique de Sémira Adamu, morte étouffée, dans l’avion, par les gendarmes chargés de son expulsion, une coalition d’organisations a lancé un large mouvement d’occupation d’églises. L’église du Béguinage, au centre de Bruxelles, devient le pivot de ce mouvement. Et cette occupation est la plus longue que l’on connaisse – plus de deux ans. Les manifestations de soutien aux sans-papiers se multiplient, en même temps que les actions spectaculaires et radicales du Collectif contre les expulsions. Dans la foulée de cette mobilisation, le gouvernement est forcé de réagir et adopte, le 22 décembre 1999, une loi qui organise une campagne de régularisation collective mais ponctuelle. Au total, soixante mille personnes introduisent une demande, quarante-deux mille sont finalement régularisées. Cette campagne de régularisation calme provisoirement le mouvement des sans- papiers. Mais il rejaillira en 2001, avec la naissance de l’« Ambassade universelle ». Un groupe de sans-papiers investit l’ancienne ambassade de Somalie, alors désaffectée. Leur premier message consiste à rappeler que bien des personnes ont été « oubliées » par la régularisation. Que ce soit par man- que de confiance, parce qu’elles n’entrent pas dans les critères, ou tout simplement parce qu’elles sont arrivées plus tard.

2003 : la résistance aux expulsions

A partir de 2003, une forte remobilisation se déclenche. A l’été 2003, des demandeurs d’asile iraniens déboutés entament une grève de la faim dans l’église des Minimes (Bruxelles-Ville). Les 16 et 24 juin, une opération policière musclée de lutte contre les logements insalubres et les marchands de sommeil à Saint-Gilles conduit à la rafle de 80 Equatoriens en séjour irrégulier. La violence de cette opération entraîne la première « assemblée de voisins », qui organise la solidarité avec les personnes enfermées ou délogées. Le 24 juillet du même été, trois cents Afghans, qui viennent de recevoir un ordre de quitter le territoire, investissent l’église Sainte-Croix à Ixelles et y entament une grève de la faim. Ce combat se conclut par une victoire, grâce à la bonne organisation des premiers concernés et le soutien du quartier (assemblée des voisins), et grâce à l’intervention du médiateur fédéral.

En septembre 2003, cinq cents Iraniens s’installent dans des locaux de l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Leur cas est fort médiatisé, ce qui n’empêche pas le CA de l’ULB d’organiser leur expulsion manu militari. L’été 2004 voit le mouvement prendre un nouveau souffle : les sans-papiers s’auto-organisent au sein de l’Union de Défense des Sans-papiers (UDEP). La section bruxelloise occupe l’église Saint Boniface à Ixelles (octobre 2005). Cette occupation reçoit, elle aussi, un large soutien du quartier. Une exposition de portraits photos de sans-papiers affichés dans les vitrines des commerçants rend visible leur cause. Cette action débouche sur une petite victoire, puisque cent-vingt personnes ont pu obtenir un titre de séjour limité et renouvelable sous condition.

2006 : objectif régularisation

Dans la foulée, l’année 2006 voit se multiplier les occupations d’églises ou de bâtiments publics, accompagnées ou pas de grèves de la faim, de manifestations, de sit-ins. Militants et sans-papiers mettent les principaux partis politiques sous pression — ils vont jusqu’à camper devant le siège du PS, boulevard de l’Empereur. L’UDEP-Bruxelles s’affaiblit suite à des dissensions internes et du fait du paternalisme des groupes de soutien en concurrence. Toutes ces actions et le soutien qu’elles rencontrent, apportent une visibilité certaine à la cause des sans-papiers. En 2009, le gouvernement est poussé à organiser une campagne de régularisation, toujours en cours, non pas sur base d’une loi, mais sur base d’instructions données à l’Administration. Cette frange de la population bruxelloise, contrainte de vivre parmi nous dans des conditions inacceptables, fait partie intégrante de la ville : elle y vit, se loge, se déplace, se soigne, se scolarise, etc. Au départ invisible, elle fait grimper les statistiques démographiques de nos 19 communes au fur et à mesure qu’elle gagne le droit de s’inscrire au registre de la population. Toutes les campagnes de régularisation en Belgique résultent de la mobilisation des sans-papiers et de ceux qui les soutiennent. Chaque fois que cette population devient plus visible, le politique est contraint de trouver une solution. Néanmoins, jusqu’à présent, les solutions ont toujours été ponctuelles, réduisant pour un temps la visibilité du problème mais sans construire un cadre légal général.