Les maisons médicales sont un héritage vivant, actif et en pleine expansion des idéaux autogestionnaires et anticapitalistes de Mai 68. Leur parcours n’est pas sans question et sans embûche, mais il illustre les failles considérables d’un système de santé développé sur base d’une logique ultra-libérale. Bref retour sur 50 ans de combat pour une médecine préventive, solidaire et accessible [1].
Les maisons médicales (MM) trouvent clairement leur terreau dans les mouvements de Mai 68, ce que nous rappelle Fanny Dubois, la secrétaire générale de la Fédération des maisons médicales (FMM). Mais dès avant cette période sociale mouvementée, qui touchera de larges fondements de la société, se dessinait déjà une bataille idéologique autour du monde de la médecine : « En gros, les maisons médicales sont nées dans le giron de Mai 68 mais sont aussi la suite des conflits liés à la grève des médecins qui a débuté au début des années 60. Notre modèle médical est très libéral. Les médecins considéraient à l’époque qu’il leur appartenait de fixer le prix de leur consultation. Donc la médecine était comme un marché économique. Le ministre Leburton se rend compte que les budgets sont en train de flamber et il propose une loi qui a pour objectif de réguler les honoraires des médecins et donc de fixer leur prix. Cette loi va générer la contestation des professionnels qui partent en grève, car ils veulent préserver leur pratique libérale. »
Pourtant, dès lors que la Sécurité sociale est financée par les cotisations sociales des citoyens, il y a une logique politique et démocratique à ce que les prix soient fixés par les pouvoirs publics, mais les médecins de l’époque vont considérer cela comme une atteinte scandaleuse à leur liberté professionnelle. Fanny Dubois nous raconte : « Ils sont tous partis en grève. Franchement, plus de 90 % des médecins à l’époque sont partis en grève. Ça a duré un mois et ça a été quand même très, très fort comme grève au niveau symbolique et au niveau de la puissance justement libérale de la médecine. Donc ça commence par une grève un peu corporatiste des médecins et c’est de là que sont nés les syndicats professionnels des médecins. » Le plus grand de ces syndicats prendra le nom d’ABSyM au début des années 70 et sera dirigé pendant des années par le docteur André Wynen, chantre d’une médecine ultralibérale et hospitalocentriste [2].
Il y a une logique politique et démocratique à ce que les prix soient fixés par les pouvoirs publics, mais les médecins de l’époque vont considérer cela comme une atteinte scandaleuse à leur liberté.
En réaction à la grève naît le Groupe d’études pour une réforme de la médecine (GERM) qui est composé de médecins opposés à la grève, mais aussi de sociologues et d’autres travailleurs de la santé. Ils défendent une vision de la santé plus centrée sur le patient que sur l’hôpital. Le GERM défend le modèle théorique des centres de santé intégrée (CSI) qui vise à dispenser des soins globaux avec des équipes pluridisciplinaires de petite taille, non hiérarchisées et décentralisées. Un modèle, au final, assez proche de celui qui sera mis en pratique par les maisons médicales. Le GERM dénonce l’incohérence de la politique de santé en Belgique, la dévalorisation du rôle du médecin généraliste, la formation foncièrement hospitalocentriste des soignants, la pauvreté de la médecine préventive, etc.
Mai 68 va irriguer ce mouvement d’une médecine s’émancipant du marché et de la surmédicalisation de la société. En 1971, le GERM publie un recueil intitulé Pour une politique de santé. Les lignes de force de ce programme seront reprises par la Fédération des maisons médicales qui n’existent pas encore. En son cœur se trouve le principe de l’autonomie du patient qui ne doit pas être maintenu dans un état de dépendance à l’égard de l’organisation médicosanitaire. Le GERM réclamera aussi une réorganisation du suivi du patient et l’instauration d’un dossier de suivi unique. Mais ce principe sera longtemps considéré avec suspicion par les tenants d’une médecine libérale radicale qui craignent que l’inscription du patient auprès d’un soignant, ou d’une équipe de soignants, entrave sa liberté de choix.
C’est en 1971 également que naît, dans la commune ouvrière de Hoboken, près d’Anvers, la première maison médicale sur l’initiative d’Amada [3], l’ancêtre du PTB. Elle délivre des soins sans exiger de ticket modérateur et travaille main dans la main avec la communauté ouvrière locale dont elle partage les luttes politiques et sociales : « C’étaient des médecins qui voulaient défendre les droits des travailleurs, des dockers, des mineurs, des gens qui souffraient de maladie à cause du travail lourd qu’ils exécutaient. On a dès le début eu une forte expertise sur le travail comme déterminant de la santé », nous confie Hanne Bosselaers, médecin à Médecine pour le peuple à Molenbeek. La maison de Hoboken essuiera les foudres de l’Ordre des médecins qui intente plusieurs procès à ses médecins, mais elle persiste dans sa pratique d’une médecine entièrement gratuite. C’est le début du réseau de Médecine pour le peuple qui rassemble aujourd’hui onze maisons médicales réparties sur tout le pays [4]. Leurs liens avec le PTB restent vivaces.
Les lignes bougent également au niveau international avec, en 1978, la Déclaration d’Alma-Ata de l’OMS. Celle-ci souligne l’importance d’une approche globale de la santé et réaffirme le droit à la santé pour tous. Elle en fait un objectif social fondamental et souligne l’importance des soins de santé primaires, « des soins de santé rendus universellement accessibles à tous les individus et toutes les collectivités de la communauté avec leur pleine participation et à un coût que la communauté et le pays puissent supporter ».
Les tenants d’une médecine libérale restent sur le pont. En 1979, en Belgique, le ministre Luc Dhoore prévoit d’organiser l’inscription des patients, le forfait en médecine générale, le carnet de soins… L’ABSyM, dominée par des médecins spécialistes, déclenche une grève des soins contre ce projet qui donne plus de places aux médecins généralistes. Naît un mouvement de contre-grève qui regroupe des praticiens qui ne se retrouvent pas dans la grève. La contre-grève va rencontrer un soutien populaire et recevoir l’appui de la FGTB. Des médecins non grévistes se regroupent pour signer l’Appel des 300 (mars 1980) par lequel ils refusent désormais de reconnaître l’autorité morale de l’Ordre des médecins qui avait soutenu officiellement la grève dans le Journal du médecin, organe du syndicat Wynen. Plusieurs procès s’ensuivront pour obliger les récalcitrants à s’acquitter de leur cotisation.
C’est à la suite de la contre-grève que s’engage un combat pour la reconnaissance du paiement au forfait plutôt qu’à l’acte (voir encadré p.7). « En changeant la logique du paiement, on changeait la logique du soignant qui ne se battrait plus pour que le patient soit malade et dépendant, mais pour qu’il soit en bonne santé et autonome le plus rapidement possible […]. Le système du paiement à l’acte est profondément pervers, puisque le médecin se nourrit et se paye quel que soit le résultat de son action [5]. »
Le forfait n’est pas un système gratuit, mais un système solidaire qui encourage les initiatives de prévention.
Le forfait n’est pas un système gratuit, mais un système solidaire qui encourage les initiatives de prévention : le soignant a intérêt à ce que la population qu’il soigne reste en bonne santé. C’est la maison médicale Bautista Van Schouwen de Seraing qui sera la première à expérimenter ce système. Elle appellera sur un plan symbolique ses patients à brûler leurs médicaments le jour de son ouverture en 1972. Après la première année, une évaluation montre que les patients ont nettement moins consommé d’actes médicaux. Ce système sera attaqué par l’Ordre des médecins qui le considère comme une forme de publicité et de concurrence déloyale dans un contexte de médecine libérale où le patient est libre de choisir, à chaque instant, un nouveau médecin. Pourtant, le système permet d’assurer une continuité des soins et la qualité des soins est globalement meilleure si un patient est suivi de façon continue par des professionnels ayant le moyen d’accéder à l’ensemble de son dossier [6]. Pour Hanne Bosselaers de Médecine pour le peuple à Molenbeek : « On se bat pour élargir le forfait, pour permettre à de plus en plus de médecins d’entrer dans le système forfaitaire parce qu’on sait que ça mène à une meilleure médecine. Il a été prouvé aussi par des études que les patients au forfait reçoivent moins d’antibiotiques, sont mieux suivis de façon préventive et partent moins souvent à l’hôpital. »
Si la grève des années 60 avait donné naissance au GERM, celle de 1979 débouchera sur la naissance, en 1981, de la Fédération des maisons médicales. Dans ses statuts, la Fédération se donne entre autres objectifs celui de « favoriser l’autonomie du patient par la connaissance et la compréhension de sa maladie et, ce faisant, de diminuer le pouvoir médical ». C’est aussi l’idée que tout est politique, que c’est la société qui rend les gens malades et que l’améliorer passe par des réformes à tous niveaux : mode de vie, habitat, conditions de travail. Fidèle à l’héritage de 68, l’autogestion est au cœur du mouvement. Le principe de l’autogestion sera repris dans les versions successives de la Charte de la Fédération. Il y est décrit comme un mode d’organisation « dans lequel chaque travailleur intervient dans la prise de décision et dispose d’une voix. Cela implique une participation de tous dans la gestion, une non-hiérarchisation, mais également le partage des responsabilités et favorise la solidarité parmi les travailleurs ». Toutefois cet idéal d’autogestion est parfois mis à mal par la taille des équipes. Ainsi, Mima De Flores de la MM des Primeurs à Forest nous raconte que dans la première maison où elle a atterri : « J’étais dans une équipe de 40 personnes réparties sur deux sites. Donc, la première chose qui était passée à la trappe depuis longtemps, c’était l’autogestion. » C’est ce qui l’a d’ailleurs poussée à créer une nouvelle maison médicale plus petite : « On avait vraiment envie d’un projet autogéré, à l’horizontale. Donc, c’est très clair que la taille de l’équipe est un facteur déterminant. On a commencé à sept, même si on est quinze aujourd’hui ; cinq médecins, trois kinés et une infirmière. On a une psy, une travailleuse sociale, trois personnes pour l’accueil et la gestion, et Sonia, qui est notre technicienne de surface et qui fait aussi partie de l’assemblée générale. On n’est pas rapide pour décider et parfois on n’est pas très bon dans le suivi des décisions, donc on doit mettre en place des protocoles. Mais l’équipe y croit. Ça demande beaucoup d’énergie, parfois on s’emmêle, mais on tient à continuer à décider avec une personne/une voix. […] Il y a quelqu’un qui vient avec une idée, un projet qui répond à des besoins, mais il faut surtout qu’il y ait des gens qui aient envie de la porter et qui ont du plaisir à la porter. »
L’obligation d’appliquer les principes de l’autogestion n’est pas reprise dans les lignes directrices de l’équivalent néerlandophone de la Fédération, De Vereniging van Wijkgezondheidscentra (VWGC) même si celleci recommande d’inclure des travailleurs dans la composition du conseil d’administration. La maison Medikuregem à Anderlecht, qui relève de ce réseau, essaie d’approcher le plus possible du principe d’autogestion sans pouvoir y souscrire totalement : « On a ce qu’on appelle le cockpit, une sorte de comité de pilotage qui se réunit une fois par semaine. La construction du cockpit change deux fois par an, il y a quelqu’un qui tourne comme ça tout le monde y passe. On a un conseil d’administration dont la moitié des membres fait partie du personnel », nous explique la coordinatrice, Truus Roesems.
Dès sa naissance, la Fédération montera au front pour défendre le système du forfait avec l’appui notamment des mutuelles, des syndicats et du Groupement belge des omnipraticiens. Le système sera reconnu en juillet 1982 par la mise sur pied d’une commission « forfait » au sein de l’INAMI [7] en charge de passer les conventions avec les MM. Toutefois, le système est limité et ne couvre que les prestations des médecins, kinésithérapeutes et infirmiers. Limitant de ce fait le principe fondateur des MM de proposer une médecine globale. La plupart des MM tentent de faire en sorte que les autres fonctions restent accessibles financièrement. Par exemple, à la maison médicale des Primeurs de Forest : « Pour l’ostéopathie, il n’y a pas encore à ce jour de nomenclature INAMI. Dans ce cas, on s’implique et on finance la moitié pour rendre l’ostéopathie accessible. Ça revient à 10 euros pour le patient [8]. »
Au départ, le montant du forfait sera très bas et les premières MM à adopter le système à partir de 1984 rencontrent de grosses difficultés financières. Comme le signale Hanne Bosselaers de Médecine pour le peuple à Molenbeek : « Tu dois avoir un certain nombre de patients avant que ça soit viable aussi. Sinon, tu ne sais pas passer au forfait. Il y a beaucoup de maisons médicales aujourd’hui qui veulent passer au forfait, mais qui ne peuvent pas encore le faire parce qu’elles n’ont pas assez d’inscrits pour pouvoir basculer. Sinon, tu ne peux pas survivre. »
L’inscription du patient au forfait va générer une réfiexion approfondie sur la structure du dossier médical, son informatisation et le partage entre soignants des données qu’il contient. Le dossier devient un enjeu, car il permet la maîtrise de l’information. Système au forfait et dossier médical vont connaître la même trajectoire ascendante. Le montant du forfait sera majoré en 1992 et 1996 pour tenir compte des économies induites par le système du forfait en termes d’analyses, d’imageries médicales et d’hospitalisation. Ces revalorisations vont pousser un nombre croissant de maisons médicales de la FMM à adopter le financement au forfait : elles sont 16 sur 44 en 1996.
En 2002, les onze maisons affiliées au mouvement Médecine pour le peuple adoptent le financement au forfait. La maison médicale Medikuregem rejoint le système en 2008 : « La Commission communautaire fiamande avait déjà demandé si nous voulions nous transformer en centre de santé communautaire. Longtemps on a eu peur d’être envahis par les malades et que l’on profite du forfait, bref, de ne pas pouvoir le supporter. Nous sommes ensuite allés voir De Brug, le centre de santé communautaire de Molenbeek, et avons décidé de sauter le pas en 2008. » En 2012, 75 MM des 90 affiliées à la FMM ont sauté le pas.
Parallèlement, le politique commence à s’occuper de légiférer en matière de dossier médical. L’accord médico-mutuelliste de décembre 1998 instaure le Dossier médical global. Aujourd’hui, plus personne ne remet en cause le principe de la continuité des soins et du dossier médical unique. Fin 2003, 32 % des citoyens belges avaient un Dossier médical global alors qu’ils sont 67,5 % en 2016. Grâce à ce dossier, le médecin connaît l’historique du patient, son milieu de vie, l’ensemble de ses pathologies et les crises qu’il a déjà traversées.
Mais ces succès ont leur revers. Pour la FMM, il n’y a aucune garantie quant au type et à la qualité de services offerts à la population par le simple fait de passer au forfait. C’est pourquoi la Fédération a demandé que l’accès au forfait soit réservé aux équipes qui répondent à certains critères, notamment la pluridisciplinarité. Or, il n’y a pas un label « maison médicale ». Entre 1983 et 1986, la législation parle de centre de santé intégré (CSI) et, ensuite, d’association de santé intégrée ou ASI. Ce n’est qu’en 2009 que l’expression sera utilisée dans le décret de la Région bruxelloise sur l’offre de services ambulatoires dans les domaines de l’action sociale, de la famille et de la santé. Si seulement une trentaine de maisons médicales sont affiliées à la Fédération en 1980, elles sont 44 en 1990, 45 en 1997, 57 en 2000, 90 en 2012, et 128 aujourd’hui !
En octobre 2016, la ministre fédérale Maggie De Block commande un audit des MM fonctionnant au forfait auprès du consultant privé KPMG. La croissance du secteur, son attractivité pour les patients et pour les professionnels de la santé sont perçues comme des menaces pour la médecine libérale. En attendant les résultats de l’enquête, la ministre impose un moratoire sur la création de nouvelles maisons médicales au forfait. Si la fédération Médecine pour le peuple propose d’abord de boycotter l’audit, la FMM décide de jouer le jeu et d’y collaborer tout en défendant, sans compromis, sa vision du modèle. Elle lance une campagne d’information et de protestation auprès de ses patients, des médias et de la population. Elle y dénonce l’impact que le moratoire aura sur les populations les plus vulnérables.
Des études menées parallèlement à l’audit de KPMG (dont les résultats seront publiés en janvier 2018) montrent que si le coût des soins de première ligne est plus élevé pour un patient inscrit dans une MM au forfait, ce surcoût est largement compensé par les économies réalisées en médicaments, hospitalisations et prises en charge institutionnalisées. En 2017, une enquête inter-mutualiste sur l’efficience des MM au forfait est arrivée à la conclusion que leurs patients coûtaient à peu près la même chose à l’INAMI que ceux traités dans le cadre de la médecine à l’acte : ils coûtent en effet plus cher en médecine de première ligne, mais cette différence est compensée, et au-delà, par des économies en soins spécialisés et médicaments. Le moratoire sera levé en janvier 2018.
C’est la société qui rend les gens malades et l’améliorer passe par des réformes à tous niveaux.
Au terme de trois ans de travail, la commission forfait de l’INAMI propose une nouvelle mouture de l’arrêté qui permet un meilleur contrôle du système : une répartition du budget en fonction des besoins en soins des différentes MM, davantage de transparence quant aux activités et à l’utilisation des moyens octroyés et des possibilités d’action pour les mutuelles en cas de non-respect du règlement régissant le forfait.
De fait, Fanny Dubois, la secrétaire générale de la FMM souligne : « Il arrive que des généralistes libéraux partagent un bâtiment et fonctionnent au forfait sans partager la philosophie des MM. Ils fonctionnent au forfait tout en neutralisant les valeurs politiques défendues par les MM. En fait, il y a autant de dérives du côté forfait que de l’acte. Aujourd’hui, le forfait pour un mec qui sort d’une business school ça paye sacrément bien ! Si tu n’as pas cette vision de prévention, si tu n’as pas cette vision sociale, si en fait tu fais une espèce de sélection de patients en prenant des cas plus jeunes, tu t’implantes dans un territoire très jeune, tu n’investis pas, le forfait est rentable. À ce moment-là, le forfait coûte plus à la sécu que la médecine à l’acte. Mais si tu prends d’autres variables, du type consommation de médicaments, désengorgement des urgences hospitalières, meilleure accessibilité… alors le forfait revient un peu moins cher que la médecine à l’acte et permet de couvrir une population beaucoup plus large. Mais des groupes pourraient vouloir orienter notre secteur comme le secteur des maisons de repos privées avec un rachat par un holding, avec une sélection des plus riches et une financiarisation scandaleuse. C’est ce qui nous inquiète le plus aujourd’hui. […] Heureusement, beaucoup de professionnels soignants sont vraiment dans une volonté de travailler de façon beaucoup plus collective, de façon beaucoup plus inclusive. »
Les anciens qui ont porté le projet militant arrivent à la retraite et des nouveaux arrivent comme nous le signale la maison de Médecine pour le peuple à Schaerbeek : « Petit à petit, les médecins qui ont créé des maisons médicales partent à la pension. Donc, on est surtout dans une phase de remplacement, de relais. On a beaucoup de nouveaux médecins qui arrivent et qui prennent la relève des patients. Par exemple à Schaerbeek, une ancienne part à la pension en septembre. » On est aussi passé d’une phase offensive dans les années 70 à une phase défensive où il s’agit de défendre les acquis face à un démantèlement social : « Les travailleurs des années 70 étaient des gens qui étaient engagés dans un projet de transformation de la société. Aujourd’hui, ce projet a trouvé une place, une reconnaissance au niveau de la société et, du coup, est devenu un milieu de travail. » [9] Travailler en MM aujourd’hui, c’est une certaine sécurité de l’emploi, une stabilité dans les horaires pour les travailleurs. Ce modèle est plus adapté au corps médical féminin par ses horaires mieux fixés, les temps partiels possibles. Donc les gens qui viennent maintenant vers les MM ne sont plus forcément attirés par le projet de transformation sociale, même s’ils restent porteurs d’une grande partie des valeurs des MM : solidarité, équité, respect de l’altérité. Le départ des anciens est l’occasion de s’approprier la nouvelle donne et d’adapter l’organisation en fonction de celle-ci. Il s’agit de s’adapter à certaines réalités tout en préservant la philosophie de travail. Comme l’exprime Mima De Flores de la MM des Primeurs à Forest, le militantisme du début a évolué : « Moi, j’ai quinze ans de moins que les fondateurs qui sont déjà à la pension et je n’aime pas quand ils commencent à dire que les jeunes ne militent plus. Les valeurs, si tu ne les fais pas évoluer, elles sont archaïques. Pour moi, un travailleur d’aujourd’hui qui veille à sa vie de famille, qui met des limites par rapport à son temps de travail, ce n’est pas “ne pas militer”, c’est militer autrement. Ils militent beaucoup, c’est une militance différente, mais c’est parce qu’elle doit l’être. On ne va plus prendre les pavés. Tout le monde parle de Mai 68 avec grande admiration, mais aujourd’hui on mène d’autres combats qui touchent moins notre survie, mais ça reste un combat pour la légitimité de l’accès aux soins et pour dénoncer la non-accessibilité de la deuxième et troisième ligne. »
La population desservie par les MM affiliées à la FMM était d’environ 120 000 personnes en 2001, 240 000 en 2014 et 270 000 en 2020 (soit quelque 2 250 patients par maison médicale). La part de la population inscrite dans une maison médicale en Belgique francophone était de 2 % en 2004 et de 3,4 % en 2006. En 2013, 10 % de la population de la Région bruxelloise est soignée en MM [10].
Avec cinquante ans de recul, le modèle des maisons médicales a fait largement ses preuves et démontre que l’accessibilité et la qualité des soins de santé ne se font pas au détriment de l’efficacité. Les combats ne sont pas finis. Les MM sont encore trop souvent perçues comme un dispensaire de pauvres alors qu’elles offrent un système de santé alternatif qui s’adresse à toute la population. « Cantonner les MM dans une simple fonction de garantie d’accès aux soins de santé pour un public précarisé sape la dimension politique du projet, sa capacité à s’imposer comme une alternative à l’approche néolibérale. » [11] En 2015, 43 % des inscrits en MM sont des BIM (bénéficiaire de l’intervention majorée). La FMM déplore cette évolution qui tend à ancrer l’idée que les MM ne s’adressent qu’aux populations défavorisées, avec un système de soins à deux vitesses. Le combat se poursuit également pour revaloriser la médecine générale, la plus proche des patients et la mieux à même d’assurer une médecine préventive moins coûteuse économiquement et socialement. Pour le philosophe Luc Carton, les maisons médicales sont passées du statut d’instituant à celui d’institué. Elles ont conquis une niche qu’il faut veiller à ne pas dissoudre dans le système [12].
Les maisons médicales sont encore trop souvent perçues comme un dispensaire de pauvres alors qu’elles offrent un système de santé alternatif qui s’adresse à toute la population.
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Lorsque le paiement est à l’acte, le patient paie le prix de la visite ou de l’acte technique en fonction des tarifs convenus par la convention médico-mutualiste et est ensuite remboursé par sa mutuelle. Ce qui reste à charge du patient est le ticket modérateur.
Le paiement au forfait se base sur un contrat qui lie la maison médicale, le patient et sa mutuelle. Le patient s’engage à ne s’adresser qu’à sa maison médicale pour les soins de médecine générale, de kiné et infirmier. La MM s’engage à donner au patient tous les soins dont il aura besoin. La mutuelle du patient se charge de verser un forfait mensuel à la MM pour financer complètement les soins liés aux trois pratiques. Le système n’est donc pas encore tout à fait abouti par rapport au projet idéal d’une médecine globale et intégrée voulu par les maisons médicales.
[1] Cet article s’inspire largement du livre édité début 2022 par la Fédération des maisons médicales à l’occasion de ses 40 années d’existence : A. HENDRICK et J-L. MOREAU, De A à Z. Histoire du mouvement des maisons médicales, https://40ans-fmm.be/#livre
[2] Dans les années 1960, les récentes victoires remportées par la médecine sur les maladies infectieuses et sur le développement de l’imagerie médicale suscitent l’hospitalocentrisme, à savoir la domination de ce que le monde médical appelle la deuxième (les médecins spécialistes) et la troisième ligne (l’hôpital) sur la première ligne (la médecine générale) plus préventive.
[3] Amada (Alle macht aan de Arbeiders) est un mouvement de gauche radicale devenu le PTB en 1979.
[4] Deux à Anvers, une à Zelzate, une à Gand, deux à Bruxelles (Schaerbeek et Molenbeek), deux à Liège, une à Herstal, une à La Louvière et une à Marcinelle.
[5] Marco Dujardin interviewé par D. FETTUCCI, « Parcours d’une intégration » in « Maison médicale. Une alternative en première ligne », C4, n° 230, 2017, p. 37.
[6] A. HENDRICK et J-L. MOREAU, op.cit., p. 35.
[7] L’INAMI gère l’assurance obligatoire des soins de santé et indemnités par un système de négociations et d’accords entre les mutualités et les prestataires de soins (médecins, kinésithérapeutes, pharmaciens, hôpitaux, maisons de repos, etc.).
[8] Cette initiative est rendue possible également par l’asbl Microtubules qui regroupe des ostéopathes militants qui acceptent de consacrer une partie de leur temps de travail en dehors de leurs cabinets pour proposer des prestations en maisons médicales.
[9] Ingrid Muller interviewée par D. FETTUCCI, « Parcours d’une intégration » in « Maison médicale. Une alternative en première ligne », C4, n° 230, 2017, p. 55.
[10] A. HENDRICK et J-L. MOREAU, op.cit., p. 71, 89.
[11] Mélanie Cao interviewée par D. FETTUCCI, « Parcours d’une intégration » in « Maison médicale. Une alternative en première ligne », C4, n° 230, 2017, p. 48.
[12] A. HENDRICK et J-L. MOREAU, op.cit., p. 58.