Isabelle Hochart – 22 mars 2015
Dans une volonté d’inscrire le développement urbain dans un objectif de ville durable, la Région de Bruxelles-Capitale a soutenu financièrement de nombreux projets de construction dits « exemplaires » [1] dont un projet de logements passifs à Haren. Hélas, les premiers occupants des lieux ont très vite relevé de nombreux problèmes tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ces habitations qui répondent cependant aux critères du standard passif. Un constat accablant et un manque de vigilance qui met à mal une initiative pourtant louable.
Des bonnes intentions qui tombent à l’eau
La Région bruxelloise doit impérativement se doter de nouveaux logements et a fait le pari d’investir dans des modèles de constructions durables, des bâtiments d’un faible impact environnemental, d’une haute performance énergétique et d’un coût acceptable. Autre challenge d’envergure, ces projets pilotes doivent non seulement être rentables mais aussi reproductibles et inspirer le secteur de la construction qui doit depuis 2015 travailler avec de nouvelles exigences en matière de PEB (performance énergétique des bâtiments) en partie inspirées par les normes du standard passif et ce pour tout nouveau bâtiment construit.
Malheureusement, le cas du projet de logements sur le site Harenberg à Haren est loin d’être exemplaire et ne pourra donc être que partiellement reproduit. Pourtant, la première phase de ce projet ambitieux, (dont la réalisation globale comprend en tout trois phases distinctes), rencontrait dans ses intentions de départ les critères essentiels en terme de développement durable : 25 logements passifs et 5 logements zéro énergie destinés à la location pour des ménages à revenus moyens. Les habitations d’un gabarit R +1 ou R +2 sont construites avec des matériaux sains pour l’environnement et les occupants, avec en prime un traitement des eaux usées par un système d’épuration écologique.
Inaugurés en décembre 2013 par la Ville de Bruxelles, les premiers logements du site Harenberg mis en location par la Régie Foncière de la Ville de Bruxelles ont fait très vite l’objet de plaintes multiples et ce dès les premiers mois d’occupation. Les problèmes évoqués portent sur la conception même du bâti qui engendre des soucis d’humidité et de moisissure. Les habitants se plaignent en outre d’odeurs d’égout fréquents et de toilettes régulièrement bouchées. Ils accusent le système d’épuration des eaux [2]. Pour couronner le tout, les logements prévus pour les personnes à mobilité réduite sont mal conçus, voire carrément inadaptés.
Les problèmes liés au bâti seront sans doute résolus par des travaux de rectification et d’adaptation, mais cela risque d’être insuffisant pour tout remettre en ordre. En effet, des logements passifs ne peuvent fonctionner de manière optimale que si les habitants en comprennent les mécanismes. S’ils n’appliquent pas un minimum de consignes, les différents systèmes (ventilation, évacuation, etc.), aussi bien pensés soient-ils, sont très rapidement déréglés.
Il en va de même pour le bassin d’épuration : cette technique, appelée aussi lagunage, est performante si le système est évidemment bien conçu au départ, mais surtout si son fonctionnement est compris et accepté par tous les occupants. En effet ce mode d’épuration des eaux usées demande également des attitudes et des gestes adaptés des utilisateurs au quotidien afin de ne pas mettre en péril une organisation sensible.
Cette méthode permet en effet de dépolluer nos eaux usées par une exploitation naturelle, simple, et d’un faible coût d’investissement. Un système idéal pour des petites collectivités qui permet également le développement et le maintient de la biodiversité. Un intérêt écologique certain mais aussi paysager : les bassins d’épuration font revenir libellules, grenouilles et autres oiseaux qui manquent de plus en plus d’espaces naturels indispensables à leur survie. L’eau est aussi un élément attractif et ludique qui amène une flore spécifique et modifie agréablement le paysage.
La présence d’un lagunage exige simplement de l’espace (et de fait ce système ne peut se réaliser qu’à condition de disposer de suffisamment de terrain) et le respect de quelques contraintes : un comportement adapté, un entretien régulier mais pas trop astreignant et une certaine vigilance pour contrôler le bon déroulement des choses et intervenir si besoin. Ce procédé, en plus d’être écologique, permet de faire de réelles économies parce que l’installation et l’entretien sont beaucoup moins onéreux pour la collectivité.
Or, le bassin d’épuration des eaux usées créé pour les logements Harenberg n’a aujourd’hui plus rien d’écologique, c’est presque un égout à ciel ouvert, aux grands regrets des habitants et riverains qui subissent les désagréments des mauvaises odeurs de ce qui est devenu un cloaque. En cause, peut-être une mauvaise conception de départ mais aussi les comportements inappropriés des locataires. En effet, par négligence, par ignorance, ou les deux, les habitants n’ont pas respecté les consignes d’utilisation qui recommandent entre autre l’utilisation de produits écologiques et biodégradables. Or, la démarche est loin d’être évidente pour tout le monde. Beaucoup de personne, par habitude, continuent d’utiliser les produits de nettoyage et autres shampoings qui contiennent des substances qui ne pourront pas être éliminées par un processus naturel et vont même le mettre en péril. En plus, la consommation de produits « bio » est souvent perçue comme onéreuse, un frein supplémentaire pour de nombreux ménages qui privilégient les produits bon marché sans vraiment se préoccuper de leur composition.
Un lagunage aux égouts
La seconde phase de construction est annoncée et devrait bientôt sortir de terre mais les prochaines habitations seront cette fois reliées aux égouts existants. Est-ce un constat d’échec ? Lors de l’enquête publique pour la construction de cette seconde phase de logements, Inter-Environnement Bruxelles avait suggéré de postposer les travaux. Un temps nécessaire et indispensable pour trouver des solutions adaptées pour régler les problèmes existants dans le premier projet afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs.
En effet, le lagunage aurait pu faire l’objet d’un travail d’évaluation avec les locataires afin de lui rendre sa fonction initiale et garantir sa sauvegarde, dégager collectivement des solutions pour régler les problèmes et permettre ainsi de reproduire le système pour la suite du projet. Par ailleurs, cette démarche aurait pu s’inscrire à long terme dans un projet collectif d’éducation au logement, mais aussi d’éducation à l’environnement par l’enseignement de pratiques nouvelles via l’utilisation d’un système d’épuration des eaux naturel. Une initiative qui permettrait sans aucun doute de tisser des liens entre les anciens et les nouveaux habitants de Haren autour d’un projet et d’un bien commun, l’eau.
De même, il aurait été souhaitable en premier lieu que les logements existants fassent l’objet d’une évaluation – avec les occupants – afin d’identifier et de comprendre les dysfonctionnements et y remédier. Ce type de constructions, voué à la location, doit impérativement faire l’objet d’une attention particulière. Il est indispensable de réaliser un suivi et un accompagnement des locataires afin de ne pas ruiner tout un système, louable et bien intentionné par ailleurs.
Les constructions de logements selon le standard passif sont à présent obligatoires et les opérateurs publics doivent montrer l’exemple. Le bâti actuel à Bruxelles est ancien, terriblement énergivore et si les possibilités d’interventions existent pour diminuer l’impact environnemental, cela demande souvent des investissements lourds et coûteux. La réalisation de projets innovants qui offrent des perspectives efficaces à long terme est pleinement louable dans la mesure où cela contribuera très certainement à diminuer la consommation en chauffage et donc participera à réduire l’empreinte énergétique de nos futurs logements.
Cependant tous ces efforts seront réduits à néant en l’absence de toute mesure d’évaluation des projets et surtout sans accompagnement des locataires. Cela vaut également pour de nouvelles pratiques comme le traitement des eaux usées via un lagunage qui nécessite juste quelques connaissances et un investissement individuel somme toute assez minimaliste pourvu que l’on possède tous les éléments pour maîtriser son fonctionnement et intervenir de manière autonome en cas de problème.