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Tram 55 versus Métro

Samy Hadji – 16 décembre 2016

En novembre dernier, le Gouvernement bruxellois et la STIB ont présenté à la presse les plans du nouveau projet du métro-Nord de Bruxelles. Au menu : la réalisation de sept nouvelles stations, d’un dépôt et d’un tunnel de plus de 5 kilomètres. Un projet pharaonique qui va prendre plusieurs années et risque bien de transformer profondément les habitudes des quartiers traversés par cette nouvelle ligne 3 de métro lourd.

Au-delà de l’impact local qu’il aura immanquablement sur les habitants et les commerçants des quartiers concernés et que nous abordons plus loin dans ce texte, le projet de métro-nord va avoir un impact sur l’ensemble de la mobilité de notre région, tant son budget important limitera les autres investissements en la matière. Un budget pour le moins flou à l’heure qu’il est, et dont l’évolution restera, comme c’est souvent le cas pour ce genre d’infrastructures, plus qu’incertain jusqu’à la mise en service prévue pour 2025. On en veut pour preuve l’évolution des chiffres sur la seule période de 2009 à 2016, puisque le budget initialement prévu est d’ores et déjà passé juste endéans ces 6 ans de 750 millions d’euros à 1,8 milliards [1].

Les tracés

Le projet de métro aura des implications sur une large partie du réseau, et notamment sur les infrastructures des boulevards centraux et sur la gare du Midi, mais nous nous intéresserons ici au tracé appelé « l’extension Nord », c’est-à-dire le tronçon de la gare du Nord à la gare de Bordet. Cette nouvelle ligne de Schaerbeek à Evere s’étendra sur cinq kilomètres et va compter sept nouvelles stations de métro ainsi qu’un dépôt-métro à Haren.

L’emplacement des stations est déjà connu : Liedts, Colignon, Verboekhoven et Riga sur la commune de Schaerbeek, ainsi que Tilleul, Paix et Bordet sur la commune d’Evere. Elles seront espacées de 400 à 700 mètres, et creusées entre 25 et 30 mètres du sol, à une profondeur jamais égalée à Bruxelles. Le tunnel sera foré à l’aide d’un tunnelier géant au départ de Haren jusqu’à la gare du Nord à une vitesse de 10 mètres par jour [2]. Selon le consortium « Bureau Métro Nord », chargé des études techniques, il faudra excaver plus d’un million de mètres cubes de terre [3].

Le Gouvernement bruxellois a choisi ce tracé parmi plusieurs alternatives en raison de sa grande (quoique relative) faisabilité technique et en raison de son fort potentiel de clients, puisque le métro capturera les usagers actuels du tram 55 qui sera purement supprimé.

Le lobbying du maïeur de Schaerbeek a sans doute joué un rôle dans ce choix, puisque ce tracé passe entre autres par la place Colignon, siège de l’administration communale de Schaerbeek. La station Colignon va donc être construite à proximité directe de la maison communale, un bâtiment classé, érigé sur une colline de sable, à un endroit où la nappe phréatique se trouve à moins de 25 mètres de la surface du sol [4].

Des travaux importants donc qui, s’ils ne débuteront pas demain puisqu’ils seront soumis à toutes les procédures légales, s’étaleront dans le temps. À la lecture des différentes phases annoncées, on peut facilement estimer que les travaux avec leurs perturbations s’étaleront sur plus d’une décennie, si les permis sont accordés dans les temps et si les entrepreneurs exécutent les travaux dans les délais impartis.

Le budget

Les investissements pour l’extension de la ligne 3 de métro-Nord seront pris en charge par l’accord de coopération BELIRIS avec la Région de Bruxelles-Capitale. BELIRIS prévoit de fournir la moitié du budget, à charge de la Région de Bruxelles-Capitale de financer le solde. Les montants sont tellement impressionnants qu’ils risquent de geler tous les budgets destinés à la mobilité pour plusieurs années. Au lendemain de la 6e réforme de l’État, le Gouvernement régional se félicitait du refinancement de la Région. Aujourd’hui, ce projet de métro pose de réelles incertitudes sur l’avenir financier de Bruxelles même au-delà de sa politique de mobilité. L’amortissement du coût d’investissement et d’exploitation de cette ligne risque de tenter la Région de récupérer les investissements engagés, via l’opérateur (STIB), en les répercutant sur le prix du ticket et des abonnements de transport en commun.

Une solution supplémentaire de financement serait un « Partenariat Public-Privé » grâce auquel des investisseurs financeraient les travaux pour la Région qui étalerait le remboursement sur 25 ou 30 ans. Cette solution n’est toutefois pas idéale, car elle impose le payement d’intérêts importants, ce qui fait gonfler le coût total.

La maîtrise du coût des ouvrages est un point important pour ne pas gaspiller et éviter de dépasser les budgets. En effet, le forage à l’aide de tunnelier oblige à certains endroits d’utiliser des techniques souvent onéreuses de stabilisation des sols (injection, congélation). La Région ne risque-t-elle pas de se mettre dans une situation difficile ? Pourra-elle encore financer d’ autres aménagements futurs en mobilité à Bruxelles, tels que les aménagements piétons et cyclables, les boulevards urbains, les nouvelles lignes de tram,… ? Nous pensons que non. D’ailleurs, on a vu ces dernières années l’abandon d’un certain nombre de lignes de tram qui étaient en projet, telles que le tram censé desservir le site de Tour et Taxis.

Le Tram

Pendant la durée des travaux qui seront découpés en phases sur une période de minimum 6 ans, les habitants subiront également les désagréments de la réorganisation provisoire des transports de surface et en particulier des trams qui desservent les quartiers concernés. Une fois les travaux terminés, la réorganisation du réseau de surface n’est pas encore clairement connue. On sait que cette nouvelle ligne 3 de métro signifie l’abandon de la ligne 55.

Quid des tram 25, 32, 93 et 62 ? Quelles seront les connexions directes existantes entre les quartiers qui vont subsister ?

Le métro ne permettra plus les correspondances attractives avec les lignes de surface. Les habitants et commerçants situés le long de la chaussée d’Haecht et de la chaussée d’Helmet devront effectuer des déplacements importants pour gagner une bouche de métro à Tilleul ou à Riga, les stations de métro étant beaucoup plus espacées entre elles que les arrêts de tram (plus de 600 mètres). Fini le tram 55 qui permettait d’atteindre rapidement habitations et commerces. Ne serait-il pas plus intéressant de revaloriser l’outil déjà connu, le tram, pour son efficacité en matière de déplacements ainsi que pour son rôle structurant sur l’espace urbain ? Sans compter que le tram est un outil bien plus respectueux de l’environnement.

Le tram a joué un rôle essentiel en pleine révolution industrielle. Il a accompagné, voire façonné le développement de la ville. Le supprimer c’est perdre cette trame historique et urbaine, c’est aussi changer la nature des lieux qu’il traverse et dessert. À chaque fois qu’une nouvelle ligne de métro a été inaugurée, une ligne de tram est morte. Or, le tram existe à Bruxelles depuis 1869. Supprimer une ligne de tram, c’est un petit peu confisquer une partie de l’histoire de la ville.

L’impact sur les quartiers

Il y a de quoi s’inquiéter quand on sait que plusieurs questions concernant la gestion d’un tel chantier ne sont pas encore résolues, comme la logistique des travaux et la réduction des nuisances, la gestion des déblais, les installations de chantiers, le stockage des matériaux, le parking, la qualité de l’air sur et autour du chantier, la mobilité sur l’ensemble du tracé, l’acoustique des travaux, les vibrations, etc., sans compter l’impact socio-économique sur les commerces.

Plus que le simple regard nostalgique sur ce qui disparaît ou qui change, il y a un véritable risque de déstructuration des quartiers traversés par cette ligne de métro-Nord. Les quartiers qui seront directement desservis par une bouche de métro subiront une pression non négligeable sur les prix des loyers. Par contre, les quartiers éloignés des stations risquent de voir baisser les prix de l’immobilier et augmenter l’isolement, si la desserte en transport y devient moins bonne suite à la suppression des transports de surface. La mise en place de ce métro annonce déjà l’arrivée d’une autre population au dépens des habitants actuels.

Conséquences pour les usagers

La nouvelle ligne de métro offrirait un lien direct (sans correspondance) et plus rapide entre les nouvelles stations qu’elle desservirait et les stations existantes de l’axe nord-Sud. Il ne faut toutefois pas voir dans ce gain d’accessibilité, qui se ferait aux dépens d’usagers d’autres lignes (L32, L55, L3 et L4), un avantage considérable par rapport à la situation actuelle.

L’augmentation de la vitesse commerciale, mise en avant par BMN et l’opérateur STIB, ne tient pas compte du temps de déplacement global, qui inclut, outre un temps de marche plus important pour atteindre les stations de métro aussi un temps de déplacement « vertical » entre la surface et le quai des métros. Avec des stations à 28 mètres de profondeur en moyenne, il faudra à l’usager encore prendre trois à quatre volées d’escalators pour atteindre le quai. Si on rajoute ce désagrément au sentiment d’insécurité, cette profondeur pose également question en cas d’évacuation d’urgence des stations.

Conclusion

On constate dans plusieurs villes d’Europe que le tram est conçu comme un outil de valorisation des quartiers et de l’amélioration de l’espace public en général, jouant par là un rôle social, tout en offrant une visibilité à un projet efficace en terme de déplacements. La Région fait des efforts pour offrir des alternatives en matière de mobilité comme le plan Piéton, les pistes cyclables bi-directionnelles, le réseau S, etc. Le métro léger n’offre-t-il pas une alternative entre tram et métro ? À la place d’un métro, ne serait-il pas plus judicieux de renforcer la ligne de tram 55 en lui offrant un itinéraire en site propre, en allongeant les quais pour accueillir des trams plus longs ce qui le rendrait quasiment aussi efficace qu’un métro, et de prolonger la ligne 4 jusqu’à la gare de Schaerbeek ? [5]

Le projet de métro-Nord ne se justifie pas puisque des solutions alternatives existent. Celles-ci sont tout aussi efficaces, moins coûteuses, moins lourdes et plus rapides à mettre en œuvre. Il est également temps d’avoir un vrai débat public sur ce genre d’infrastructures qui touchent l’ensemble du territoire de la région et des usagers des transports en commun.


[1Pierre Lacomte et Claude van den Hove, éditions ALITER. Le rail, clé de la mobilité, Bruxelles, 2016.

[3Le Vif, 19 novembre 2016.

[4Lacomte, P. & van den Hove C., Opcit.

[5Alternative proposée par l’ARAU : www.arau.org.