Inter-Environnement Bruxelles
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Témoignage : un chalet dans les Ardennes

De la Suisse de mon enfance en passant par le Chili, les aléas de l’existence m’ont portée jusque dans les Ardennes. Là j’ai fait le choix d’enfin m’établir et malgré les embûches, j’ai osé relever un défi : devenir propriétaire de mon bien et être enfin libre d’habiter où et comme j’en avais envie.

© Gwenaël Breës - 2021

En 1993, j’étais étudiante à Namur mais déjà le montant du loyer dépassait la moitié du revenu que je recevais du CPAS. En 1996, j’ai trouvé du travail dans les Ardennes. Hélas, même avec un salaire, il m’a été difficile de trouver un logement, les propriétaires donnant priorité aux couples avec deux salaires. J’ai campé quelques mois sur mon lieu de travail, puis j’ai trouvé une location temporaire et enfin j’ai pu louer une maison à Neufchâteau. Cela m’a permis de tenter de refonder un couple. Malheureusement en 1999 mon compagnon et ses trois garçons me quittèrent après un essai infructueux de famille recomposée. J’avais déjà un fils et étais enceinte à ce moment, cependant je n’avais plus besoin de cette grande maison qui ne représentait qu’un rêve brisé et j’ai mis fin au bail.

Sans logement, j’ai été accueillie par une amie à Anvers, où ma fille est née. Peu après, j’ai trouvé un appartement, où m’a rejoint mon fils. Nous ne parlions pas néerlandais, l’inscription dans une école était presque impossible, la juge de la jeunesse nous a conseillés de repartir en Wallonie. J’ai donc tenté un retour dans les Ardennes, que j’aimais vraiment, mais je n’avais pas de garantie locative. Les propriétaires rechignent à accepter une garantie du CPAS : je me suis alors retrouvée en maison d’accueil, expérience infantilisante que je ne voudrai jamais revivre. Finalement, j‘ai trouvé une maison à louer dans la Basse-Sambre. J’ai retrouvé un peu de stabilité, ma fille est allée à l’école tout près. Mais cinq ans plus tard, le propriétaire n’a pas voulu faire les travaux nécessaires et quand j’ai insisté, il m’a donné mon préavis. Me voilà donc encore obligée de chercher un logement. Je n’en pouvais plus. J’avais au moins déménagé dix fois, j’avais tant besoin de déposer mes valises. J’ai fait un premier essai pour acquérir une petite maison du village, mais sans succès. Les loyers avaient encore augmenté pendant ces cinq ans, contrairement à mes revenus. Une amie m’a proposé de louer temporairement son chalet composé de deux caravanes résidentielles reliées et recouvertes au Parc résidentiel du Lac à Bambois. Le logement était petit mais cosy ; il y avait un jardin pour ma fille et je pouvais garder mes chiens. Voilà comment je suis devenue « habitante permanente de zone de loisir ». Contrairement à beaucoup d’autres locataires ou acheteurs de chalet ou caravane, je savais dans quoi je me lançais, car j’avais entendu parler du plan Habitat permanent (HP) de la Région wallonne. J’ai fait un choix mais j’étais limitée par mes revenus et ma situation familiale. J’aurais pu louer un appartement plus cher, renoncer à ma voiture, à mes chiens et à la campagne. Mais ce choix là, je n’ai pas voulu le faire. J’ai préféré un peu de boue l’hiver, laisser ma fille jouer dehors, quelques coupures d’eau et d’électricité à l’occasion. Mais j’étais toujours locataire temporaire, statut assez mal considéré dans le Domaine.

Deux ans plus tard, mon amie a voulu récupérer son chalet. J’ai alors essayé de nouveau d’acheter quelque chose dans le quartier. Les chalets du domaine étaient à un prix qui demandait un remboursement d’environ 200 euros par mois. C’était dans mes moyens ; restait à convaincre un banquier. Cela n’a pas été facile, j’ai dû faire plusieurs banques. Mon chalet m’a coûté 40 000 euros. Il y avait, et il reste des travaux à faire, mais pour une fois, je n’ai plus eu l’impression d’investir à fonds perdus pour faire un cadeau à un propriétaire. Je pouvais demander à des voisins et amis de m’aider. J’ai osé, avec plus de confiance, m’investir et m’intégrer dans la vie de la commune. J’ai senti mes racines pousser.

Dans la foulée, je me suis investie dans la lutte pour la reconnaissance de notre droit à habiter, là où se trouvent des logements que nous considérons décents. En même temps que je bricolais mon chalet, j’ai décroché un master en politique économique et sociale. Je suis intimement convaincue que garder une seconde résidence qui reste vide une partie de l’année, est un non-sens écologique et une injustice sociale. En effet, n’importe quelle personne qui en a les moyens peut se permettre d’avoir un logement principal hors zone de loisir où il peut se domicilier, et vivre 365 jours l’année dans son chalet ou caravane résidentielle tout en laissant vide son logement principal sans que cela lui soit reproché. Ceux qui sont stigmatisés par le plan HP, ce sont ceux qui ont moins de revenus et ne peuvent pas se permettre deux résidences.

Ce qui est difficile, c’est que les habitants comprennent qu’ils sont dans le même bateau. Il y a pas mal de tension entre les familles de « voyageurs » (anciennement forains, ferrailleurs, métiers itinérants) et les pensionnés, anciens ouvriers ou employés qui se sont installés dans ce qui était avant leur résidence de vacance. Ce sont des mentalités différentes. Malheureusement, une partie des habitants plus « comme tout le monde », a cru que le plan habitat permanent leur permettrait de déménager leurs voisins encombrants. Ils n’ont pas compris que ce plan était destiné à vider à terme la zone de tous les habitants pour la rendre à une destination exclusivement touristique.

Je voudrais que les décideurs politiques se rendent compte que nos quartiers sont des quartiers à part entière, avec toute la vie que cela implique : conflits, solidarité, mouvements, changements et qu’au lieu de programmer une lente mort par asphyxie, qu‘ils leur donnent la possibilité de s’épanouir au point de devenir attractifs pour des touristes, sans pour autant déplacer ceux qui y habitent.

Chantal Leroy
habitante de chalet