Sur le terrain du football busi- ness, chaque joueur échangé, chaque maillot vendu, chaque billet écoulé, chaque stade construit devient un instrument de valorisa- tion. La Royale Union Saint-Gilloise installerait bien son nouveau stade au Bempt, pour assurer, notamment, son avenir économique.
Or, si les comptes de la société pro- priétaire du club sont déjà largement bénéficiaires, ce n’est pas le cas de la Commune de Forest, sous tutelle, qui après avoir été rétive au projet, envisagerait de vendre le site pour renforcer ses finances. Les secré- taires d’État régionaux à l’urbanisme, eux, se sont montrés d’emblée très favorables et ont mobilisé leurs admi- nistrations au service du projet [1].
Pour l’instant, Forest n’a toujours pas signé la transaction. Mais cette incertitude n’a pas empêché le club d’avancer. En juin, il a déposé un dossier de demande de permis – quasi complet. Plus encore, il a obte- nu de Bruxelles Environnement une dérogation à l’Ordonnance Nature pour « détruire ou endommager intentionnellement » l’habitat et les sites de reproduction de 21 espèces d’oiseaux et de chauves-souris pro- tégées en Région bruxelloise, ainsi que pour abattre 237 arbres du site.
Cette dérogation a été accordée aux motifs de « raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique ». Une des justifications est pour le moins légère : « le stade participe à la dynamique et à la cohésion sociales locales et au rayonnement de la Région de Bruxelles-Capitale ». En réalité, le rayonnement de la Ré- gion cible un parc fort fréquenté par les habitant·es du quartier forestois et par les 2 000 affilié·es des clubs de sport amateur.
L’arrivée d’un stade de 16 000 places, soumis à des normes sécuritaires strictes, se fera assurément à leurs dépens. Le rayonnement de la Ré- gion bruxelloise mérite-t-il vraiment de supprimer deux terrains de sport amateur, alors même qu’une pénurie de places existe déjà – surtout dans les clubs de football pour jeunes ? Faudra-t-il sacrifier l’accessibilité du Petit Train à vapeur de Forest, dont la réputation dépasse largement les frontières régionales et nationales ? Et risquer d’imperméabiliser davan- tage une zone structurellement inon- dable ? Les désirs de « rayonnement régional » justifient-ils de détruire l’habitat d’une foule d’espèces ani- males et végétales protégées ?
Affirmons-le franchement : un nouveau stade, propriété exclusive d’un club, fera surtout rayonner la société propriétaire, ses finances et probablement ses investisseurs. Et les supporters ? Le tourisme des stades n’est pas sans conséquence sur l’ambiance des matchs et sur le prix des places. Le nouveau stade ne prévoit que des places assises et nous n’avons que la parole des dirigeants actuels pour croire au maintien des tarifs démocratique des abonnements…
Et pourquoi le rayonnement de Bruxelles ne s’inscrirait-il pas dans un autre récit ? Celui d’une Région qui prendrait soin de son sport ama- teur, de la quiétude de ses parcs, du dynamisme de sa vie associative, qui tiendrait compte de ses zones inon- dables, de son habitat naturel et de ses arbres, même les plus malingres. Une Région et ses communes qui conserveraient ses terrains publics au lieu de les vendre au plus offrant, s’assurant ainsi une marge de sécu- rité dans ses ressources foncières.
Une Région qui limiterait la casse sociale en garantissant un logement décent, abordable à ses habitant·es, en investissant dans le logement social et en bloquant la flambée des loyers privés.
La Région rayonnerait davantage en contraignant un club de football expansionniste à renoncer à son pro- jet de stade – à la visée ouvertement mercantile – et à conserver, adapter et rénover son stade historique, le Marien.
Un nouveau stade, propriété exclusive d’un club, fera surtout rayonner la société propriétaire, ses finances et probablement ses investisseurs.
[1] O. PAYE, T. ERMANS, T. LALOUX, Y. L. VERTONGEN, L. COBUT, L. KERVARREC, « Quel stade pour l’Union Saint-Gilloise ? L’avis des supporters », Brussels Studies [en ligne], 2025, et O. PAYE, L. COBUT, Y. L. VERTONGEN, L. KERVARREC, T. LALOUX, T. ERMANS, « Nouveau stade et décision publique : la controverse autour de l’écrin de l’Union Saint-Gilloise », Brussels Studies [en ligne], 2025.