Inter-Environnement Bruxelles
© IEB - 2021

Rester en centre-ville !

Témoignages.

© Jeroen Janssen - 2017

Outre l’accès au logement, le quartier présente comme force sa centralité propre avec ses commerces de voitures mais aussi une grande diversité de produits bon marché, ouverts tous les jours et tard le soir, ses restaurants aux cuisines d’ici et d’ailleurs, ses services de téléphonie et de transfert d’argent, laveries automatiques.

« C’est comme si c’était devenu le centre-ville pour nous, c’est comme un centre commercial pour nous, tout le monde s’y retrouve que ça soit nous les Africains, que ça soit les Belges, les Belges aussi viennent ici acheter des voitures pour les exposer dans leurs garages pour voitures de seconde main. Si tu veux aussi échanger ton ancienne voiture moyennant quelque somme ou moyennant une autre voiture donc c’est un quartier de business. À part la vente de voiture, c’est toujours les objets de seconde main qu’on y retrouve, il y a les frigos, les télés. Il y a des gens qui viennent ici pour acheter ou pour vendre des choses dont l’Afrique a besoin. Il y a des business entre particuliers, c’est lorsque quelqu’un qui a un frigo à jeter par exemple, il fait appel à quelqu’un du quartier qu’il connaît, il va lui dire de se débrouiller pour lui débarrasser un frigo ou une télé qu’il n’utilise plus et alors ça devient une aubaine pour ce gars-là et ça se passe généralement comme ça. »

Artiste nigérien arrivé
en Belgique depuis 1 an

« On aime bien le quartier parce que j’aime bien que quand je voudrais rendre visite à mes amis, que je n’ai pas à me taper des kilomètres, j’envoie un SMS pour demander si tu es à la maison et 2 min plus tard, je suis devant la porte. J’aime bien que quand je veux recharger mon téléphone que je n’ai pas de kilomètres à faire. »

Nigérien employé comme
chauffeur poids lourd

« J’ai tout ici, c’est facile de bouger. Qu’est-ce que tu veux : la pharmacie, la boulangerie, le marché. Le grand marché, il est juste à côté de nous, à l’abattoir… Ici ? On est proche de tout ! »

Marocaine de 44 ans,
à Heyvaert depuis 6 ans

Loin de la réalité décriée des quartiers « ghettos » des banlieues, Heyvaert n’est pas enclavé. On y est à un quart d’heure à pied du centre ville et encore moins de la gare internationale du Midi. Le quartier est également bien desservi en transport en commun.

« Je sors, je marche cinq minutes d’ici, j’ai mon métro, je descends à mon travail. Au lieu de 3 h de train que je faisais, je fais 10 minutes pour arriver à mon lieu de travail, c’est génial. »

Brésilienne de 44 ans, locataire
depuis 12 ans à Heyvaert

Cette centralité s’opère aussi au niveau de l’abattoir et de son marché.

« On a la chance d’avoir un abattoir en ville. C’est un des derniers en Europe. C’est un gain de transport. Imagine que je doive faire 100 km pour aller amener ou voir une bête à l’abattoir et retourner après chez moi. Acheminer des animaux, c’est difficile. Pour quatre heures de route, il faut quatre heures de repos. Et puis, il y a le stress des animaux. La maltraitance est inhérente au transport. […] À Bruxelles, la communauté musulmane est grande, plus 30%, et si on enlève l’abattoir de Bruxelles ? On fait ça où ? À la maison ? Les bouchers viennent chercher leurs bêtes ici. Il y a peu de transport. Tout est simplifié. Et puis, quoi, on le met où, en Flandre ou en Wallonie ? Si c’est en Flandre, il y a des aides. C’est bien. Mais, l’emploi sera délocalisé. Je suis Belge mais je pense en Bruxellois. »

Un grossiste de l’abattoir [1]

La centralité et la mobilité sont deux éléments forts de ce quartier qui laissent ainsi souffler ses habitants malgré ses fortes contraintes (voir la partie « Co-habiter »). Ils permettent de créer des espaces élargis pour celles et ceux qui souhaitent échapper au quotidien, aux bruits, à la pression sociale.

Les nouveaux arrivants sont le signe d’un changement à l’œuvre dans le quartier. Ce changement est peu évoqué dans le témoignage des habitants même s’il est de plus en plus palpable au travers des projets de construction résidentiel menés notamment par Citydev, ou l’organisation de nouveaux événement perçus comme s’adressant à une autre population et actant une division sociale et ethnique de l’espace.

« Un des éléments qui marque la transformation du quartier est l’organisation hebdomadaire de spectacles, souvent c’est des concerts, souvent c’est des shows en salle libre, organisés aux abattoirs. Ce sont des Belges qui le font car ils veulent revenir et donner un autre visage au quartier. »

Travailleur dans les voitures d’occasion
et installé depuis 6 ans dans le quartier

Différents dispositifs publics encerclent peu à peu le quartier : contrats de quartier durable, contrats de rénovation urbaine (CRU), plans d’aménagement directeur (Pad)… le tout encadrant le probable déménagement du commerce de véhicules d’occasion. Alors que ce dernier jouait un rôle de verrou local vis-à-vis des promoteurs, l’effet d’annonce de son départ a des répercussion sur la dynamique immobilière du quartier.

« Donc le fait, c’est bien qu’ils rachètent et qu’ils veulent retirer le commerce de voitures et tout ça, parce que c’est vrai que c’est dérangeant, c’est vrai que c’est salissant, il y a beaucoup de choses. Ils pourront faire ça ailleurs, il y a d’autres endroits. Mais ça aurait été bien qu’ils offrent des logements pour des personnes qui sont dans le besoin, ici à Bruxelles. »

Femme belge d’origine marocaine
vivant avec ses 4 enfants
dans le quartier depuis 2 ans

« Il y a beaucoup de ministres qui ont défilé ici, on a vu des députés mais on ne les a plus revus après les élections et moi je leur disais ça, je disais qu’après les élections on ne va plus les revoir. Le moment venu, on peut intégrer les populations par les contrats de quartier mais avec les contrats de quartier, quand vous voyez la composition de personnes qui y figure, ça ne reflète pas l’image du quartier et c’est pas seulement le contrat qui peut être le pilier à disposition de la population. On aimerait se faire entendre notamment en termes de rénovation urbaine et sociales. Moi je voudrais d’abord que les associations qui travaillent avec les populations, nous on est déjà sur le terrain, qu’on puisse nous aider. Ceux qui habitent dans les nouveaux immeubles, ce sont des populations qui sont venues d’ailleurs et c’est ça le problème en terme d’urbanisation. Parfois les gens ne pensent pas à ça parce que les populations de départ, même s’il y a des programmes de financements qui veulent améliorer l’environnement du quartier, parfois les logements qu’on offre après rénovation ne rentrent plus dans leur budget. Ça devient cher et ils sont obligés de partir, donc c’est des nouvelles populations qui arrivent. »

Nigérien, 45 ans, employé
comme chauffeur poids lourd

« Ici, on a un quartier qui vit grâce au commerce de voitures, et de l’électroménager de seconde main. C’est sûr que le jour où les garages vont partir de cette rue, vous allez voir que la rue va prendre une autre forme ! Moi je dis que les politiques ont déjà leur petite idée de ce qu’ils vont faire mais, malheureusement, ils ne demandent pas l’avis de la population parce que c’est toujours les communes qui prélèvent des taxes sur les commerces et c’est aux communes de trouver l’intérêt que ces commerces partent ou qu’ils restent. Parce qu’un quartier a beau être joli, s’il n’y a pas d’activité, c’est un quartier qui sera mort ! Parce que je suis sûr que si les commerces de voitures s’en vont – et je pense même que c’est déjà programmé pour 2017 – si ces commerces vont migrer vers Vilvorde, nos communautés vont aussi chercher tout doucement d’autres créneaux porteurs plutôt que de rester dans un quartier où ils ne gagnent rien. »

Nigérien, 45 ans, employé
comme chauffeur poids lourd

Des vaches et des voitures — Carnets du quartier Heyvaert