Brève chronique sur un comité aux prises avec les chantiers pharaoniques des institutions européennes à Bruxelles, ou comment tenir tête aux manœuvres erratiques des grands acteurs politiques, économiques et administratifs à l’échelle d’une ville qui n’est pas que la capitale de l’Europe.
1988 signe le début de la construction de l’hémicycle du Parlement européen. Un an plus tôt, en prévision de l’énorme chantier, naît l’Association du Quartier Léopold, jardin de l’Europe (AQL). Pour les habitant·es des quartiers situés au sud du dispositif européen à Bruxelles, il s’agissait de faire face à la pression urbaine induite et de tenir tête aux manœuvres toujours hors cadre des grands acteurs politiques, économiques ou financiers. L’AQL sera amenée à s’intéresser d’emblée au phénomène de la dérégulation en matière d’aménagement du territoire. La manipulation réglementaire pour mieux « accueillir l’Europe à Bruxelles » est encore aujourd’hui ce qui nourrit spécifiquement les problématiques urbaines. Les usagers internationaux rebaptiseront le quartier Léopold « Quartier européen ».
Le champ d’action de l’AQL est délimité à l’est par les boulevards de la petite ceinture, au nord par la rue de la Loi, à l’ouest par la chaussée d’Etterbeek et au sud par la chaussée de Wavre. Peu présents dans le noyau occupé exclusivement par l’administratif international, celles et ceux qui habitent encore la ville se trouvent plutôt autour de la chaussée de Wavre et de la place Jourdan.
La spécificité du « quartier européen » s’est révélée à tous·tes lors de la récente crise sanitaire. Massivement déterminé par son orientation à l’international dans tous les secteurs d’activités urbaines, le quartier s’est vidé du jour au lendemain. Ses usager·es sont retourné·es travailler chez elles·eux, qui n’est pas à Bruxelles. Cette situation particulière est liée à une triple mono-fonctionnalité :
Un quartier qui n’est plus habité qu’à la marge, au mieux par une population qui n’y habite pas vraiment, devient alors un terrain d’expérimentation ouvert, un Far-West pour l’Europe. Les comportements opportunistes, concentrationnaires et décomplexés des acteurs économiques et politiques peuvent alors s’y déployer. Ce phénomène est rendu possible par la déconstruction permanente du cadre juridique d’abord, le détournement de ce qui en subsiste ensuite. Observons alors ce qui s’est passé autour de la construction de deux parcelles situées au croisement de la chaussée d’Etterbeek et de la rue de la Loi, où se superposent la structure de la ville traditionnelle mixte de la chaussée d’Etterbeek en fond de vallée et l’axe institutionnel de la rue de la Loi.
À partir de la fin des années 1990 déjà, et
surtout à partir de 2001, quand le traité de Nice
attribue le siège officiel des institutions européennes à différents pays, les plans de développement se succèdent à un rythme soutenu :
De 2012 à 2024, l’AQL, en coordination avec IEB, le BRAL et le GAQ rejoints par l’ARAU, puis le Comité Tervuren Montgomery et plus ponctuellement le Quartier des Arts, fait face à un vaste projet de démolition/reconstruction de la rue de la Loi qui va s’exprimer sur les deux parcelles précitées :
Pour pallier l’annulation du Règlement régional d’urbanisme zoné (RRUZ) Loi, la Région invente puis lance une nouvelle procédure, le Plan d’Aménagement Directeur (PAD). Le collectif Bas-les-Pad contestera cette nouvelle manière de réglementer pour déréguler et échapper au Règlement Régional d’Urbanisme (RRU) ainsi qu’au Plan régional d’affectation du sol (PRAS). Dans le cadre du PAD Loi, la crise sanitaire et ses conséquences sur le télétravail ont remis en question la construction de toujours plus de bureaux à Bruxelles ; le PAD Loi fut donc retiré.
Mis face aux réalités et pour relancer un quartier européen en déshérence, le Gouvernement régional s’engage alors dans un processus participatif exceptionnel afin de donner des orientations partagées, plus en phase avec les enjeux climatiques et sociaux (logement, diversité, diminution des superficies bureau, impact des démolitions-reconstructions, îlot de chaleur, biodiversité, protection du patrimoine déjà construit…) :
Ces documents à peine avalisés, de nouvelles demandes de permis d’urbanisme concernant les deux parcelles sont déposées, qui en explosent tous les critères. L’AQL attend la délivrance très prochaine du troisième permis d’urbanisme de la tour The One pour engager le énième recours. Le permis du nouveau centre de conférence de la Commission européenne (Leaselex 4) devrait bientôt suivre.
Entre-temps, par la méga-vente de la Commission européenne (Cityforward), l’État fédéral, en tant que propriétaire foncier de référence, est rentré massivement dans le jeu. Au regard du destin expérimental du territoire, faut-il s’attendre à une nouvelle phase de bruxellisation ? Affaire à suivre !
À la poubelle la participation et le retour à une ville résiliente ? En attendant, la température monte, le vote d’extrême droite aussi. Dans le contexte institutionnel issu des dernières élections, ce n’est pas de bon augure et le productivisme architectural n’a sans doute pas dit son dernier mot. L’AQL et ses partenaires non plus.
Lors de la récente crise sanitaire, massivement déterminé par son orientation à l’international, le quartier s’est vidé du jour au lendemain.
Bas-les-PAD