Pensé comme une attraction phare du piétonnier, financé en majorité à l’aide de 90 millions d’euros de fonds publics régionaux, fédéraux et européens (dont une enveloppe de 12 millions puisés dans le Fonds de relance post-Covid), le Temple de la bière belge a été inauguré dans la Bourse de Bruxelles le 9 septembre dernier. Si l’affectation de l’édifice tourne le dos à son passé, les 17 euros que doit débourser un visiteur ou les 1 500 euros dont un brasseur doit s’acquitter pour y exposer une bouteille en vitrine assurent néanmoins une continuité dans l’aspect marchand du lieu. Loin des projets souhaités par les habitant·es, comme un musée du Capitalisme ou une Maison du peuple, ce « pôle d’attraction » assoie la « reconquête » touristique du centre-ville. Le bourgmestre de Bruxelles-ville répète son mantra depuis vingt ans : « Plus il y a d’événements, mieux c’est [1]. » Bruxelles-les-Bains (remplacé depuis cette année par les Plaisirs d’été), Plaisirs d’hiver, Brussels SummerFestival, Summer Pop, Bucolic Brussels, Balkan Trafik, Couleur Café, TD géant place de Brouckère… la liste est longue et pourrait s’allonger encore, car allez savoir ce qui se mijote, à terme, au Palais du Midi, idéalement situé sur le très bankable axe gare du Midi-piétonnier-Temple de la bière.
Deux décennies de city-branding auprès des promoteurs de l’industrie de la culture et du spectacle ont placé Bruxelles sur le marché européen de l’événementiel. Une place forte, idéalement limitrophe avec la France, les Pays-Bas et l’Allemagne… et défiant la concurrence en termes de prix. « C’est incroyable ce qu’on a réussi à créer. Le mois de juin, on a enchaîné des festivals de tous styles (Core, Graspop, Couleur Café…) », confiait le mayeur au journal La Capitale, début juillet. Et puis la Belgique se traverse si vite : 45 000 nuitées grâce à Tomorrowland qui se déroulait à seulement trente minutes de Bruxelles ! Imaginez-vous tout l’« écosystème touristique » pensé pour attirer grandes expos, festivals, grands noms de la scène pop, grand musée.
Les lieux et les places de vie sont minéralisées et aplanies pour permettre l’implantation de festivités continue. Les espaces publics, parcs et espaces verts se voient privatisés et les terrasses de café n’ont jamais autant mangé les trottoirs. Les toits (dites rooftops) sont aussi investis, de la Bourse à Brucity en passant par les immeubles publics comme la Bibliothèque royale. Le bruit, omniprésent, ne cesse jamais, même la nuit, et l’argent coule à flots.
Mais, au fait, à qui profitent les retombées économiques de ce tourisme de masse et de flux ? Aux propriétaires d’Airbnb, d’hôtels, de restaurants, de fast-foods… Est-il vraiment un bienfait pour l’économie bruxelloise ? Est-ce que l’insoutenable gestion financière du musée Kanal (225 millions pour l’achat et la rénovation) fait du bien aux acteurs de la culture mis sous pression budgétaire ? Est-ce que le tourisme fait du bien aux libraires de la galerie Bortier, où se retrouvent depuis des lustres chineurs de papiers, curieux perdus, passionnés et glandeurs, qui sont aujourd’hui contraints de se mobiliser pour conserver leurs vitrines dans cet espace encore préservé des cheminements conçus pour les touristes ? Comme dans le cas de la Bourse, les apports d’argent public, directs ou indirects, sont clairement visibles pour promouvoir cette politique mais les retombées pour la collectivité (à moins de s’illusionner sur la théorie du ruissellement) demeurent plus qu’incertaines tant Bruxelles continue à manquer d’équipements publics et de logements abordables et bientôt donc… d’espaces publics non marchandisés.
Pendant ce temps-là, les habitants sont au bord du vivre. Cet été, ils ont été nombreux à déposer des plaintes auprès des autorités communales et régionales et à solliciter les associations comme IEB.
La réponse des autorités ? Il n’y a qu’à décentraliser les nuisances. Chaque commune devrait accepter qu’il y ait deux ou trois fois par an un gros événement chez elle ! D’ailleurs, aucun parti n’oserait dire que le tourisme n’est pas important pour l’économie bruxelloise ! Voilà les habitants prévenus, Bruxelles, ce n’est pas la campagne ! C’est champêtre, une fois l’an, place des Palais. Enfin, « Bucolic Brussels, you know !? ». La qualité de vie n’a pas de prix, c’est sans doute ce qui l’empêche de faire partie des priorités de la Ville de Bruxelles…
[1] Nicolas Baygert, « Le Mayeur des mondes », La Revue nouvelle, juillet 2015.