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Projet ferroviaire du Quadrilatère Nord : la concertation fait fi du Plan Régional d’Affectation du Sol et du droit au logement

Le Comité de Quartier Midi, Pétitions-Patrimoine, le Bral et IEB dénoncent la décision de la commission de concertation relative aux maisons de la rue du Progrès à Schaerbeek menacées par le projet ferroviaire Quadrilatère Nord.

Rétroacte

La commission de concertation chargée de se prononcer sur le projet dit du Quadrilatère Nord s’est tenue le vendredi 24 avril 2009. Ce fut une concertation longue et houleuse à laquelle se présentèrent des dizaines d’habitants concernés par les impacts majeurs du projet ferroviaire. Nombre d’entre eux étaient des habitants de la rue du Progrès risquant dans cette affaire pas moins que l’expropriation et donc la perte de leur lieu de vie et de tous les liens tissés sur le quartier depuis de nombreuses années. Pas étonnant que les auditions se prolongèrent toute l’après-midi. Mais les habitants obtinrent peu de réponses à leurs inquiétudes.

L’avis de la commission était prévu pour le 4 mai. Le 24 avril, la Ville de Bruxelles fit savoir qu’elle s’abstenait de se prononcer sur le projet. La commission postposa ensuite son avis au 15 mai, et ce, dans l’attente de l’avis conforme de la Commission Royale des Monuments et des Sites chargée de se prononcer sur la démolition partielle des établissements Aubert-Blaton, bâtiment repris sur la liste de sauvegarde. Le 5 mai, ce fut au tour de la commune de Schaerbeek de se prononcer en défaveur du projet.

Il faut dire que les raisons de s’opposer au projet sont légions :

  • impact social, urbanistique, environnemental, économique et patrimonial très lourd sur le quartier environnant ;
  • démolition sans reconstruction de 28 habitations en bon état entraînant une déstructuration du tissu urbain dans toute cette zone et permettant la propagation des nuisances sonores ;
  • expropriation de ces 28 habitations et des 218 personnes qui y vivent ;
  • non-respect de la prescription 0.12 du PRAS qui ne permet de démolir du logement en zone d’habitation que moyennant la reconstruction d’une surface équivalente en logements dans la zone ;
  • absence d’engagement d’Infrabel sur des mesures permettant notamment de créer des logements dans la zone et de reloger les habitants, de reconstruire un front bâti rue du Progrès et de faire face aux nuisances sonores. Pour tous ces éléments, Infrabel reporte la responsabilité de leur réalisation sur les instances régionales et communales alors qu’il s’agit d’éléments qui devraient être intégrés au permis et conditionner sa délivrance. Dans son avis, la commune de Schaerbeek a jugé cette attitude inacceptable.

Le 6 mai, la Commission Royale des Monuments et des Sites rendait un avis favorable au projet, sous réserve.

Un avis favorable sous condition

Le 15 mai, la commission de concertation se prononçait enfin. Signalons que cet avis ne parviendra aux habitants concernés et aux associations ayant fait montre de leur intérêt pour le dossier que le 25 mai, soit 10 jours plus tard sur leur demande insistante.

L’avis de la commission de concertation est favorable au projet mais le conditionne toutefois à un certain de nombre de mesures, notamment la subordination de la délivrance du permis à la signature préalable de plusieurs conventions :

  • une convention prévoyant l’accompagnement social et administratif des locataires expulsés et la création d’un fonds pour assurer leur accompagnement financier ;
  • une convention prévoyant la reconstruction d’un front bâti dès la fin du chantier à la place du front bâti rue du Progrès ;
  • une convention environnementale spécifique qui garantisse des conditions d’habitabilité immeuble par immeuble.

Une multitude de mesures concernent en outre les conditions de chantier et la problématique des nuisances sonores [1].

Est-ce suffisant ?

Non ! Résolument non ! Et ce aussi longtemps qu’aucune garantie ne sera exigée d’Infrabel pour qu’il s’engage à reconstruire, dans le quartier, l’équivalent du logement démoli par son projet et à y reloger les habitants expulsés. Faire droit à cette garantie est la seule façon de compenser le dommage majeur causé par le projet et de trouver une réponse équilibrée à l’arbitrage à opérer entre, d’une part, l’efficience d’un moyen de transport public servant la collectivité et, d’autre part, la préservation de la vie d’un quartier et le droit au logement de ses habitants. Or cette condition centrale ne figure pas dans la litanie des demandes adressées à Infrabel.

La commission fait fi de ce volet de mesures alors que :

  • la commune de Schaerbeek demande pourtant, dans son avis, qu’une convention signée préalablement garantisse le financement de la reconstruction de logements dans la zone ;
  • la déclaration de clôture du comité d’accompagnement chargé du suivi de l’étude d’incidence recommande que la reconstruction de logements dans la zone soit réalisée avant le démarrage du chantier en vue de reloger les locataires expulsés.

Il ne s’agit par ailleurs pas seulement d’un arbitrage en opportunité mais aussi d’une question de légalité !

La concertation entérine la violation du Plan régional d’affectation du sol (PRAS)

La zone de la rue du Progrès est considérée au PRAS comme une zone d’habitation. En vertu de son article 2, les zones d’habitation doivent être affectées au logement. Elles peuvent toutefois être affectées à des équipements d’intérêt collectif ou de service public pour autant certaines conditions soient respectées dont la compatibilité de l’activité avec l’habitation et la continuité du logement.

Toutefois, la prescription 0.7 du PRAS prévoit que dans toutes les zones, les équipements d’intérêt collectif ou de service public peuvent être admis dans la mesure où ils sont compatibles avec la destination principale de la zone considérée. Mais :

  1. Le chemin de fer n’est pas considéré comme un équipement d’intérêt collectif ou de service public. En effet, le PRAS définit lui-même ce qu’il faut entendre par cette terminologie : « Construction ou installation qui est affectée à l’accomplissement d’une mission d’intérêt général ou public, notamment les services des pouvoirs locaux, les immeubles abritant les assemblées parlementaires et leurs services, les équipements scolaires, culturels, sportifs, sociaux, de santé, de culte reconnus et de morale laïque.
    Sont également considérés comme de l’équipement d’intérêt collectif ou de service public, les missions diplomatiques, les postes consulaires de carrière des Etats reconnus par la Belgique ainsi que les représentations des entités fédérées ou assimilées de ces Etats.
 Sont exclus les locaux de gestion ou d’administration des autres services publics. »
    Même si une installation ferroviaire est d’utilité publique ce n’est pas pour autant qu’il s’agit d’un équipement d’intérêt collectif ou de service public.
  2. Le projet ne permet pas de préserver la destination principale de la zone considérée puisque la démolition des 28 habitations de la rue du Progrès ampute la zone d’habitation d’un quart de ses logements et soumet les habitations préservées à des niveaux de nuisances sonores excédant les seuils admissibles.
    Ces éléments n’ont échappé ni au bureau d’étude ni à la commune qui considèrent que le respect de l’esprit du PRAS suppose de reconstruire dans le quartier une superficie de logements au moins égale à la superficie existante soit 9.000 m2.

La commission de concertation écarte ces arguments d’un revers de main en considérant que le terrain excédentaire résultant de l’opération de démolition/reconstruction reste un terrain constructible en zone d’habitation du PRAS. C’est oublier un peu vite que le bureau d’étude déconseille fortement de reconstruire du logement à cet endroit vu les conditions d’occupation dégradées qui en résulteraient pour les habitants accolés à un viaduc ferroviaire frôlant leurs habitations.

Les rails du Quadrilatère auraient-ils une utilité publique plus prononcée que ceux du Diabolo ?

Récemment, la Région a dû procéder à une lourde procédure de modification du PRAS pour permettre la mise en œuvre du projet Diabolo. Personne ne conteste l’utilité publique de ce projet qui vise à faciliter la desserte l’aéroport de Bruxelles National. Celui-ci supposait néanmoins de modifier l’affectation de trois îlots en zone d’industrie urbaine. Si la notion d’équipement d’intérêt collectif avait pu être retenue pour ce projet ferroviaire-là, il n’aurait pas fallu procéder à la modification du PRAS.

Il appartient désormais tant à la Région qu’à Infrabel de prendre leur responsabilité dans ce dossier et de signer préalablement à la délivrance du permis une convention par laquelle Infrabel s’engage à reconstruire une surface équivalente en logement dans le quartier, et ce, avant le démarrage du chantier en vue de permettre le relogement des locataires.

Contacts :
- IEB : Claire Scohier, 02/893 09 09, 0473/667 505, claire.scohier@ieb.be.
- BRAL : Ben Bellekens, ben@bralvzw.be.
- Comité du Quartier Midi : comite@quartier-midi.be.
- Pétitions-Patrimoine : info@petitionspatrimoine.be, 02/217 89 81.