Le projet d’extension Nord du métro prend des allures concrètes avec la station « Constitution » dont les procédures d’obtention de permis sont en cours. Riverains et commerçants craignent le projet et l’impact des travaux alors que les autorités rechignent à communiquer, témoignant d’un problème de gouvernance.
Si le métro bruxellois est réputé pour les œuvres d’art qu’il abrite, tous les courants ne sont pas logés à la même enseigne. Qu’à cela ne tienne, les surréalistes seront satisfaits que le projet de métro Nord voie son premier maillon sortir de terre plutôt dans le Sud (à Lemonnier plus précisément), tandis que les symbolistes apprécieront le choix de l’appellation « Constitution » pour un ouvrage situé sous l’avenue de Stalingrad, a fortiori sous l’allée dite Rosa Luxemburg [1]. Face à des figures révolutionnaires, toute victoire libérale, fût-elle symbolique, est bonne à prendre.
En avril 2016, la STIB entamait donc les procédures d’obtention de permis pour une station Constitution. La station Lemonnier, inadaptée pour la circulation du métro lourd, serait vouée à disparaître et une nouvelle station multimodale devrait être construite sous l’avenue de Stalingrad pour le métro et sous le boulevard du Midi pour le tram. D’après le projet, la station de métro nécessite la déviation de la ligne 3 (prémétro actuel). Le tunnel en ligne droite entre les arrêts Anneessens et Lemonnier serait abandonné. La future Constitution serait reliée d’une part à l’arrêt Anneessens par un nouveau tunnel passant sous le Palais du Midi, d’autre part à la gare du Midi par un second tunnel sous la place de la Constitution (Anderlecht). Le pré-métro de la ligne 3 serait donc remplacé par un métro lourd. Quant aux trams 51 et 82, ils rejoindraient la nouvelle station Constitution par la trémie actuelle le long du boulevard du Midi, avant de retrouver un arrêt souterrain à la gare du Midi [2]. Une trémie serait creusée sur l’avenue Fonsny (Saint-Gilles) pour permettre aux trams de retrouver le tracé existant vers Forest. Le tram 81 venant d’Anderlecht continuerait d’utiliser la trémie Bara (Anderlecht) pour partager ensuite l’itinéraire des trams 51 et 82. Les arrêts de la rue Couverte seraient donc supprimés et renvoyés en souterrain. Le phasage très optimiste des travaux prévoit au total 5 années d’intervention dont une phase de forage de puits Stross de part et d’autre de l’avenue de Stalingrad, cette artère commerciale très active et récemment rénovée avec succès à l’occasion d’un contrat de quartier.
Dans le cadre de sa mission de relais entre autorités et habitants sur les projets d’aménagement urbain, l’asbl Convivence [3] a organisé plusieurs stands et soirées d’information. Les remarques que nous avons récoltées sur le terrain témoignent principalement de l’incompréhension (pourquoi un si gros projet alors que le quartier est bien desservi en transports ?), de l’opposition (la vie de quartier va en prendre un coup) voire de la colère (nos commerces vont mourir). L’enquête publique portant sur le cahier des charges de l’étude d’incidences a suscité une pétition des commerçants opposés au projet, ainsi qu’une demande massive des riverains pour être entendus par la Commission de concertation. La crainte majeure est la disparition pure et simple des commerces à cause des travaux qui rendront l’avenue de Stalingrad inutilisable durant de nombreux mois.
Scénarios alternatifs ?
Le projet spécifie que la station Lemonnier est inutilisable pour deux motifs. D’une part des raisons de sécurité : le métro ne peut pas croiser un autre mode de transport sur rails, or le maintien de la station actuelle nécessiterait de faire se croiser le métro 3 et les trams 51 et 82. D’autre part parce que le rayon de giration du tunnel entre Lemonnier et la gare du Midi est trop serré pour le métro lourd. Conséquence : il faut décaler la station et recréer un tunnel avec un rayon plus large.
L’étude d’incidences recommandait d’étudier le scénario proposé et un scénario « zéro », c’est-à-dire l’utilisation de la station Lemonnier.
En clair, elle se contentait d’analyser ce que le maître d’ouvrage voulait faire (le projet actuel) et ce qu’il affirmait déjà savoir (l’impossible maintien de la station Lemonnier).
Suite aux nombreuses demandes d’objectivation du projet et des choix opérés, la Commission a imposé la prise en considération, entre autres :
Aire géographique
Le second point où les demandes ont abouti à une maigre avancée concerne la portée géographique de l’étude d’incidences. Les volets urbanisme, mobilité et chantier doivent désormais s’étendre jusqu’à la place Rouppe tandis que l’impact sur les transports se calculera tant à l’échelle du quartier qu’à celle de la région. La portée de l’étude reste tout de même insuffisante, particulièrement quant à l’impact sur le commerce : des mécanismes de dédommagement aux commerçants seront étudiés et proposés « le cas échéant ». Rien de contraignant si ce n’est ce que la loi prévoit déjà.
Notons encore que d’autres critiques principalement urbanistiques et environnementales étaient adressées, portant notamment sur le déplacement de l’œuvre d’art « Pasionaria », l’abattage d’arbres et l’impact des accès tant sur l’alignement des arbres que sur la perspective et la déambulation offertes par l’allée Rosa Luxemburg [5], la difficulté de creuser un tunnel sous le Palais du Midi [6], mais aussi le risque de rupture urbaine que constitue le creusement d’une trémie sur l’avenue Fonsny.
Une participation inexistante
Outre la difficulté de prendre connaissance d’un dossier à ce point technique en 15 jours seulement, les habitants et commerçants déplorent également qu’un projet d’une telle envergure ne fasse l’objet d’aucune concertation en amont. La crispation et le défaitisme s’ensuivent et il est particulièrement difficile dans ces conditions pour une association comme la nôtre de remplir sa mission d’information pourtant reconnue par la Région. Pire, alors que la tension gagnait les commerçants, une séance d’information prévue par la STIB en présence du Ministre de la mobilité Pascal Smet a été annulée quelques heures avant sa tenue. Depuis, plus aucun canal d’information officiel ne subsiste entre le quartier et les autorités. De manière informelle, nous avons appris qu’une présentation serait faite après bouclage de l’étude d’incidences, donc probablement entre juin et septembre, avant que le projet ne soit définitivement soumis à l’enquête publique avec un dossier complet.
En tout état de cause, la perception de la participation comme un frein se perpétue dans le chef des autorités publiques alors qu’elle permettrait non seulement d’améliorer les projets mais aussi de garantir l’inclusion des citoyens dans le processus de décision politique. Ce qui, en ces temps de défiance et de populisme, est loin d’être négligeable.
[1] Militante et théoricienne marxiste, cofondatrice du Parti communiste d’Allemagne. Elle donne son nom à la promenade centrale de l’avenue de Stalingrad entre la place Rouppe et le boulevard du Midi.
[2] Le gros œuvre de cet arrêt existe, seuls les aménagements et la jonction vers la nouvelle station Constitution sont à réaliser.
[3] Convivence est une association membre du Réseau Habitat, subventionnée entre autres pour l’axe « développement local intégré » qui consiste en l’amélioration du cadre de vie des habitants et l’augmentation de leur implication dans les projets de quartier en lien avec l’aménagement du territoire.
[4] Avis de la CC du 21/06/2016.
[5] L’avis de la Commission Royale des Monuments et Sites est particulièrement critique quant aux obstacles formés par les accès à la station sur l’allée.
[6] L’édifice remarquable repose sur des pieux en bois et la zone en sous-sol est structurellement inondée.