Inter-Environnement Bruxelles
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Pourquoi il faut construire à Tour et Taxis

Le point de vue de l’Atelier de Recherche et d’Action Urbaines.

Tour et Taxis est un ancien site ferroviaire qui était conçu comme une enclave fermée en périphérie du centre de la ville. Aujourd’hui, il a été rattrapé par l’urbanisation. Il est entouré de quartiers populaires, densément peuplés, eux-mêmes enclavés par le dénivelé, par des infrastructures et des zones gelées (domaine royal et zone ferroviaire de Schaerbeek Formation).

L’enjeu est d’organiser la colonisation de la ville à travers ce site afin de raccrocher les quartiers au-delà, et en particulier le quartier Marie-Christine, au centre de la ville. Quelles sont les conditions pour que la greffe prenne ?

Construire davantage de logements, de tous types

Le permis délivré sur base des plans modifiés suite à l’étude d’incidences et aux remarques et négociations diverses octroie à Project T&T, propriétaire du site, un total de 218 000 m² de superficies bâties. T&T vise 370 000 m² à terme. Dans cette première phase, 40,03% sont consacrés au logements, soit 87 868 m², davantage que les 70 000 m² envisagés par la Région en 2003. On a toutefois sacrifié 555 logements suite au rabotage des gabarits et à l’exigence d’aménager un grand parc (ce qui réduit d’autant la surface bâtie globale). Les prescriptions du PRAS empêchent par ailleurs le logement à front du canal, où des bureaux supplémentaires seront construits.

Quant au statut des logements, Project T&T entend participer à l’appel à projets de la SDRB pour construire des logements moyens passifs pour un total d’environ 10 000 m² dans le bâtiment prévu à front de la rue Picard, en phase 1. Tout le reste serait du logement privé « au prix du marché ». À propos des logements sociaux, le propriétaire déclare que « personne ne lui a rien demandé ». L’ARAU demande donc au Cabinet du Secrétaire d’État Christos Doulkeridis de réparer cet oubli car ce morceau de ville doit être développé dans la diversité et dans l’objectif de répondre aux défis qui se posent à Bruxelles, entre autres le défi démographique qui ne concerne pas, loin s’en faut, que des aspirants propriétaires « au prix du marché », prix qui tendent par ailleurs à s’envoler depuis une demi-douzaine d’années.

La Région doit décider où passera le tram

La priorité des priorités consiste à désenclaver ce site et à le lier au centre-ville (et non à la gare du Nord dans une logique de navette) via au moins une ligne de tram à moyen terme. Plusieurs tracés ont été proposés et étudiés, entre autres dans le schéma directeur et l’étude d’incidences,
mais aucune décision n’a encore été prise quant au tracé du fait de l’incurie coupable des décideurs. La STIB, qui trouvait jusqu’à l’an dernier « qu’il n’y avait pas de densité » vient de changer de discours et assure qu’elle commence demain si le Gouvernement le décide. Dans toutes les villes
qui se soucient de leur développement de manière « durable », les lignes de transports en commun sont en effet conçues avant l’urbanisation et utilisées comme levier de développement territorial. À Bruxelles, non : les pouvoirs publics autorisent ainsi des milliers de places de parking au motif
(légal) que la zone est mal desservie (la faute à qui ?). Project T&T a demandé 4 522 places de parking pour la seule zone 6A, 2 800 ont été autorisées à ce jour, en plus des 1 000 places de la ZIR 6B.
La seule décision prise : remettre sur pied un comité d’accompagnement autour du projet, financé par Beliris, de réaliser une passerelle réservée aux piétons, aux cyclistes, aux transports en commun dans l’axe de la rue Picard. Cette passerelle figure au Plan Régional de Développement de 1995 et une demande de permis avait été introduite en 2002 ! Il importe donc
maintenant d’urgence de décider du tracé d’une ou plusieurs lignes de tram, du moins si l’objectif est vraiment de construire un « éco-quartier ».

L’abandon du BILC, une opportunité pour accueillir des entreprises et des écoles

La Région a abandonné le projet de BILC et préconise la construction d’une plate-forme logistique sur le site de Schaerbeek-Formation. Reste donc une tache aveugle de 15 hectares entre la ZIR 6B et la rue Dieudonné Lefèvre. Ce terrain appartient au Port de Bruxelles, entité publique, et est affecté au PRAS en zone portuaire. Son aménagement futur doit permettre sa digestion et sa perméabilité, d’autant que 500 logements sont en gestation par la SDRB du côté laekenois. Autrement dit, le site ne doit pas être fermé mais traversé par des voiries et articulé autour de la rénovation de la gare de service présente sur le site, d’entreprises « habitat compatibles » et d’écoles ( le PRAS permet la construction d’équipements dans les zones
portuaires).

L’avenue du Port : piétons et cyclistes admis SVP

Le permis délivré pour le réaménagement de l’avenue du Port a été conçu et justifié par la logique « tout camions » qui était celle du BILC. Celle-ci étant abandonnée il importe de revoir le projet dans le sens d’une logique « éco-quartier et usagers actifs ». Il ressort d’ailleurs aujourd’hui un défaut de motivation du permis, qui était légitimé par le projet de BILC. Plus de BILC,
plus d’autoroute avenue du Port.

Rénovation de la gare maritime : ceci n’est pas un parking

La Gare Maritime présente un patrimoine majeur d’une superficie considérable (4 hectares). Son aménagement doit mettre en évidence sa structure et en faire un lieu ouvert sur le quartier et ses besoins.
Quelles sont les affectations prévues ? Des commerces, un marché public, un centre de fitness, des équipements (une salle polyvalente, l’école de cirque, la Fondation Polaire), autour d’une liaison piétonne et visuelle entre la rue Picard et le parc. Le commerce représente au total 27,24% des affectations de l’ensemble de la zone 6A et génère plus d’un tiers des places de parking. Ces 997 places attribuées aux commerces posent problème car elles génèreront davantage de mouvements que les places relatives aux logements ou aux bureaux. Malgré les discours rassurants à cet égard, l’ARAU souligne l’importance de faire de la Gare Maritime un lieu ouvert
aux besoins du quartier et donc aussi moins générateur de mobilité.

Le site doit être perméable

Il n’y a que trois liaisons possibles à travers le site. L’ARAU estime que le site
doit être traversant, dans les deux sens, y compris en voiture, à vitesse modérée. L’aménagement des voiries doit concourir à la mixité des usages et pas à la séparation des circulations. Le parti pris d’organiser la rue Vandenboogaerde prolongée en impasse et de mettre toutes les voitures en sous-sol (80 places de parking à l’air libre) est un parti exclusif qui risque de contribuer à la fermeture du site sur lui-même.

Conclusion

Pour l’ARAU, il faut construire Tour et Taxis parce que ce site est capable d’offrir rapidement une offre significative de logements de tout type proches du centre. Les pouvoirs publics doivent néanmoins prendre d’urgence les initiatives nécessaires en vue de garantir sur le site davantage de logements, des logements sociaux et une bonne desserte en transports en commun de surface. Il importe également de dresser la liste des équipements, en particulier scolaires et des types de commerces nécessaires, tous ouverts sur les quartiers environnants.

Quant à la qualité architecturale et à la durabilité réelle des bâtiments, mis à part ceux qui auront été conservés, il ne faut pas nourrir un enthousiasme immodéré : les images publiées pour illustrer le développement à front du canal montrent des façades de bureaux en verre...

Isabelle Pauthier
Atelier de Recherche et d’Action Urbaines (ARAU)