La nouvelle ordonnance organisant les marchés bruxellois du gaz et de l’électricité votée au Parlement le 11 mars dernier est entrée en vigueur ce 30 avril. Elle transpose, entre autres, dans le droit bruxellois le paquet législatif dénommé « Clean Energy Package », impulsé par l’Europe, autorisant l’émergence de nouveaux acteurs citoyens sur le marché, les « communautés d’énergie » (CdE), pour le partage de l’énergie renouvelable produite localement. Un texte dense de 400 pages et de 160 articles, discuté et voté au pas de course, avec la ferme volonté, exprimée par le ministre Alain Maron, d’assurer une protection forte des ménages bruxellois les plus vulnérables dans un contexte de crise du marché libéralisé, exacerbée par la guerre en Ukraine. Les projets d’arrêtés nécessaires pour appliquer l’ordonnance doivent encore être soumis à l’avis du Conseil d’État, qui attendait l’adoption formelle de l’ordonnance avant de se prononcer. Et le temps presse pour permettre aux personnes en difficulté financière de profiter dès les prochaines semaines d’une série de dispositions de protection prévues dans l’ordonnance. Pour faire face à leur facture d’énergie voire d’eau, biens de première nécessité, un « nouveau public » se tourne en effet vers les CPAS, qui enregistrent une deuxième crise après celle engendrée par le Covid. Un tableau aggravé en région wallonne puisqu’il faut y ajouter l’affiuence qu’ont connue les CPAS suite aux inondations de juillet 2021. Travailleurs et travailleuses mal rémunérés, femmes isolées avec enfant(s), étudiants… viennent s’ajouter aux ménages en situation de précarité qui bénéficient d’un tarif social.
Comme le rappelle utilement la Fédération des services sociaux dans un communiqué de la mi-février, « la facture de gaz ou d’électricité risque bien de plonger des milliers de ménages bruxellois dans la précarité énergétique ou vers la spirale de l’endettement ». Le régulateur fédéral (CREG) évalue à 5 500 € par an la facture globale d’énergie pour un contrat conclu en janvier 2022 (chiffres inchangés en mars), alors que le revenu médian imposable par ménage en Région de BruxellesCapitale est de 19 723 € par an. La facture d’énergie absorberait donc à elle seule près de 30 % des revenus médians nets d’un ménage si celui-ci ne bénéficie pas du tarif social [1].
Alors que la précarité énergétique mesurée [2] touchait environ 75 000 ménages bruxellois en 2021 (soit 14,4 %), seuls 2 160 ménages bruxellois (0,4 %) bénéficiaient du statut de client protégé en 2021 pour l’électricité [3].
La nouvelle ordonnance va donc dans le bon sens en créant un service universel sous la forme d’une « fourniture garantie » et en révisant le statut de client protégé, tout en supprimant le dispositif injuste et inefficace de limitateur de puissance qui était imposé aux ménages vulnérables ou endettés.
La fourniture garantie requiert que le ménage ait déjà eu des refus de fourniture de la part d’au moins deux fournisseurs commerciaux différents suite à des dettes ouvertes chez eux et impose de passer par le CPAS. Par contre, le statut de client protégé permet d’être fourni au tarif social, par Sibelga, désigné fournisseur de dernier ressort, le temps d’apurer la dette envers le fournisseur commercial, de ne pas s’endetter davantage et d’être protégé pendant la durée de son apurement.
Le statut de client protégé (CP) sera désormais octroyé pour une durée de 5 ans (durée qui est indéterminée actuellement), sauf pour les personnes concernées par une médiation de dettes ou un règlement collectif de dettes, pour lesquelles la durée du statut reste indéterminée. Cette durée permettrait d’encourager le fournisseur commercial à la conclusion de plans d’apurement sur une durée de 5 ans. Les clients protégés sont donc plutôt des personnes qui ont des difficultés à payer mais qui devraient normalement revenir après un temps au fournisseur commercial et ne plus être protégées.
Les plafonds pour accéder à ce statut ont été rehaussés pour permettre à une tranche de la population qui jusqu’ici n’a jamais eu de soucis à payer son énergie de faire face à des factures de plus en plus élevées. Un ménage peut en faire la demande écrite à Brugel, le régulateur régional, sur base de ses revenus. Désormais, le plafond est de 37 600 € de revenu annuel brut (voire 52 600 € s’il y a au moins deux salaires au sein du ménage), majoré de 3 000 € pour la première personne à charge et de 1 500 € pour les personnes à charge suivantes. Remarquons que ces montants sont égaux à ceux qui permettent de bénéficier de la catégorie III des primes Renolution [4] 2022. Au demeurant, 80 % des Bruxellois peuvent y prétendre aujourd’hui.
La coupure d’électricité et de gaz sans passer par le juge de paix reste interdite pour tout client résidentiel sauf dans les cas où une personne consomme sans avoir pris un contrat valable pour son point de fourniture. Aucun changement donc de ce côté au désespoir des chantres du libéralisme.
Dans la foulée de cette nouvelle ordonnance, l’on ne peut qu’encourager l’insertion du droit à l’énergie dans l’article 23 de la Constitution en compagnie d’autres droits dits économiques, sociaux et culturels tels que le droit au travail, le droit à la santé, le droit à l’épanouissement culturel ou encore le droit à un environnement sain. Bref, insérer le droit à l’énergie – et le droit à l’eau ! – au côté du droit à un logement « décent », c’est-à-dire un logement chauffé, éclairé [5] et équipé en eau de distribution.
[1] Le tarif social de l’électricité équivaut à la moitié du prix moyen commercial, et le tarif social du gaz, à un prix 80 % moins cher que le prix moyen commercial. Voir le « Tableau de bord mensuel électricité et gaz naturel » sur le site de la CREG, régulateur fédéral.
[2] C’est-à-dire la part des ménages qui consacrent une part trop importante de leur revenu disponible aux factures énergétiques, après déduction du coût du logement.
[3] Avis d’initiative de Brugel-20210713-323, relatif à l’état du marché de l’énergie en Région de Bruxelles-Capitale.
[4] Fusion des primes à l’énergie et primes à la rénovation.
[5] N. BERNARD, « Du droit au logement au droit à l’énergie », Revue politique, 17 février 2022.