Les dessins qui parcourent ce numéro de Bruxelles en mouvements ont été réalisés par Ayomide (7 ans), Christian (5 ans), Rania (5 ans), Adam (11 ans), Ziad (6 ans), Luis (13 ans), Deivi (8 ans), Jonathan (9 ans), Esther (4 ans) et Malak (14 ans).
Il y a d’abord eu la force de la pression médiatique, à laquelle on croit échapper. Un martelage incessant, qui s’imprime dans les esprits. Partout, des gens semblent fuir des conflits insoutenables, traversant des mers et enjambant des frontières lointaines. Des hommes, des familles avec des enfants, des jeunes seuls, qui arrivent sans savoir où ils vont. Il n’y a plus de repères, plus rien ne tient debout à part leur corps, fébriles. J’imaginais des gens sur la route, sans visage, ne courant pas parce qu’ils savent qu’il n’y a absolument rien à attraper, seulement des choses à fuir. Vient alors, la colère profonde. Nourrie par le goût amer de l’injuste et de l’incompréhension qui s’abat sur la réalité.
Une fois cela dépassé, il m’est resté l’envie d’aider, le besoin de rencontrer et d’écouter. Mais aussi le besoin de réaliser un travail ensemble, de construire une mémoire autour de ces vies en mouvement, qui tentent d’intégrer une société nouvelle. En particulier les enfants qui, malgré leur scolarisation, peinent à avancer à la même vitesse que les camarades qui partagent la classe et la cour de récréation.
J’ai dû taper sur Google « migrants Bruxelles », j’ai un peu honte mais il fallait bien commencer quelque part, je n’avais aucune piste. Je suis tombée sur une liste d’asbl et autres structures, traitant de la question migratoire à Bruxelles. Je cherchais un lieu d’accueil, un lieu de vie ou je pourrais rencontrer des personnes, discuter avec elles, et peut-être créer des liens. Je cherchais un lieu où vivaient des familles, avec des enfants, pour pouvoir proposer des ateliers créatifs. C’est en gardant ces critères en tête que je me suis arrêtée sur une structure : La Maison des migrants. Une des définitions du mot « maison », dans le Larousse, est : « membres d’une même famille qui vivent ensemble ». Ce mot m’inspire un refuge bienveillant et rassembleur.
Après m’être présentée au comité de gestion, avoir soumis mon projet à leur avis, je propose de mettre en place un atelier hebdomadaire, le dimanche après-midi, ouvert à tous les enfants de la Maison, sans distinction d’âge. Dès la semaine suivante, un groupe se forme, une salle m’est attribuée et l’atelier commence. Ici, les habitants vont et viennent. Toutes les familles ne restent pas et le groupe n’est jamais le même.
En octobre 2016, la fin du bail précaire provoqua la fermeture du lieu, le déménagement et la dispersion de tous ses habitants. Malgré tout, j’ai pu continuer avec 10 enfants, ceux avec lesquels j’étais restée en contact et qui souhaitaient poursuivre le projet. Depuis, les ateliers ont lieu tous les mercredis après-midi, entre les murs que partagent La Maison du Livre et la Bibliothèque de Saint-Gilles. Grâce à l’équipe chaleureuse qui nous a accueillis, l’espace d’atelier est devenu la nouvelle maison pour le groupe, la possibilité de reconstruire un refuge. Ce bouleversement imposa la question de la mémoire : condamné à l’éphémère comment éviter l’oubli ? Dorénavant, le projet se donne un objectif. Les enfants découvrent des artistes, des lieux culturels bruxellois et des outils qui les amènent à produire des images, des dessins, parfois des textes pour les plus grands. C’est un temps d’expression, une possibilité de raconter, un espace de liberté sans jugement, laissant de côté les notions d’échec ou de réussite.
Les dessins présentés sont issus de l’atelier Portrait / Autoportrait. Les enfants se sont photographiés, puis ont travaillé à partir des photos avec l’encre de Chine. Ils ont d’abord essayé de se dessiner, de manière réaliste ou non selon leur désir. Ensemble, nous avons découvert de nombreux peintres qui pratiquaient cet exercice, de Courbet à Basquiat, de l’hyperréalisme à la caricature, l’inspiration et la curiosité grandissent ! Pour passer outre la difficulté de représenter à l’identique, certains ont travaillé des caractéristiques, s’obligeant à s’observer dans les moindres détails. Une fois l’autoportrait fini, nous avons prolongé l’exercice en réalisant un portrait. Chacun a choisi un autre membre du groupe, pour l’observer, l’analyser, le décortiquer dans les moindres détails. À quoi ressemble-t-il celui assis à côté de moi ? Comment je pourrais le dessiner ? Est-ce qu’il me ressemble ? Qu’a-t-il de différent ?
Ces questions ont permis de s’écouter, de prendre le temps de se regarder, de se poser des questions de ressemblances ou de différences, pour arriver sur des questions d’origine et de nationalité. En soi, des grandes questions d’identité auxquelles les adultes n’apportent aucune réponse. En associant leurs travaux, le récit chronologique de cette rencontre et différents témoignages, nous construisons un livre, ensemble, qui tente de répondre à cette question d’oubli.
Ninon Mazeaud