Souhaitant questionner les notions de normes, de seuils, de principe de précaution, d’intérêt général, etc., cette étude invite au pas de côté nécessaire à la compréhension de la notion même d’environnement et à sa prise en considération dans le développement des sociétés industrielles.
Nous effectuons d’emblée un détour par les étapes qui ont jalonné la reconnaissance de la pollution atmosphérique produite par l’industrie du charbon au 19e siècle dans la Vallée de la Meuse. Un décalage qui interroge la façon dont les différentes formes de pollutions se sont progressivement imposées comme des enjeux de société. Quels protocoles scientifiques ont présidé à quelle reconnaissance ? Quels consensus atteints pour quelle protection ? Comment les normes (seuils) sont-elles fixées ? Quels jeux d’influence et conflits d’intérêts ? Quelles libertés/contraintes pour les États de décider de leur propre niveau de protection en matière d’environnement électromagnétique ? Quelle prise en compte des maux et affections causés par la pollution électromagnétique ?
Cette étude porte une attention particulière à une nouvelle forme de dégradation de l’environnement : le « smog » (brouillard) électromagnétique auquel nous sommes continuellement exposés. Une pollution inédite dans l’histoire des sociétés industrielles en ce que les nuisances générées sont invisibles et inodores.
Depuis plus d’une décennie, IEB s’est engagée à défendre devant les cours et les tribunaux un niveau élevé de protection des habitants face aux rayonnements électromagnétiques. Elle a également co-organisé plusieurs balades électromagnétiques avec des comités d’habitants afin d’apprendre à repérer dans la ville les sites d’implantations des antennes visibles ou cachées, les différents types d’antennes, les ondes qu’elles émettent et à en mesurer leur rayonnement. De nombreux articles ont été rédigés par ses chargés de mission afin d’informer et de débattre sur le sujet. Pour autant, le débat public semble tourner en rond, confisqué par des négociations et accords entre les promoteurs des nouvelles technologies et les responsables politiques, malgré l’engagement d’un nombre de plus en plus important d’associations et de citoyens sur cette problématique. En dix ans, on constate que le niveau d’information du public sur ce sujet a sensiblement augmenté. Un fait qui est largement l’œuvre de collectifs qui se sont emparés de la problématique dès le début des années 90. [1]
Cette dernière décennie, la densité des ondes émises en région bruxelloise s’est considérablement accrue. Aujourd’hui, elle nous autorise à avancer l’hypothèse qu’il s’agit d’une « pollution » à l’instar des dégradations de l’air, de l’eau, du sol,... De 2014 à 2017, le nombre d’antennes y est passé d’environ 5 900 à 10 100 antennes. 2014 a connu l’entrée en vigueur d’une nouvelle norme bruxelloise (seuil) qui a permis aux opérateurs de téléphonie mobile de déployer la technologie 4G et les antennes nécessaires à son fonctionnement à un moindre coût pour leurs dividendes. Or, le nombre des antennes est amené à croître rapidement à très court terme avec l’arrivée imminente de la 5G. Cette croissance entraînera nécessairement une augmentation considérable de l’exposition au rayonnement de radiofréquences qui s’ajoutera aux rayonnements induits par les réseaux 2G, 3G, 4G déjà en place.
La récente annonce du déploiement de la 5G à Bruxelles s’accompagnera d’un nouvel assouplissement de la norme de protection des citoyens face aux ondes électromagnétiques. Combinaison de technologies permettant des communications numériques à très haut débit sans quasi plus d’effet de latence (temps entre deux signaux requête-réponse), la 5G condense le fantasme techniciste d’une gestion numérique de la ville et de nos vies : « smart city », Internet des Objets (IdO – objets connectés), voitures autonomes (sans chauffeur), compteurs d’électricité, de gaz et d’eau communicants, etc. La fulgurance de ce développement numérique et les questions environnementales, sanitaires, sociales et économiques que cette révolution pose, nous invite à prendre de la hauteur par rapport à nos propres pratiques de mobilisation et de contestation qui nous poussent systématiquement dans les cordes du ring juridique, un combat épuisant cent fois remis sur l’étau.
Dans cet esprit, IEB a organisé le 7 juin 2018 une journée de réflexion, « Pollution électromagnétique. Savoirs et mobilisations », afin de croiser les savoirs et d’élargir les points de vue. L’analyse que nous proposons ici rend compte des exposés et débats qui s’y sont tenus et qui ont réuni des intervenants de différentes disciplines et de différents champs d’action : académiques, chercheurs et militants, juriste, philosophes, biologiste, physicien·ne·s, membres d’association, représentants de collectifs citoyens et scientifiques et de collectifs de patients. Au fil de la journée, une soixantaine de personnes, d’horizons et pratiques variées, ont assisté aux 4 tables de discussions proposées : « luttes et mobilisations sur le terrain », « enjeux sanitaires et environnementaux », « aspects juridiques et institutionnels » et « aspects économiques et sociaux ».
Nous remercions vivement les intervenants pour leurs exposés qui ont nourri notre réflexion et donné lieu à la présente analyse :
Wendy de Hemptinne, physicienne, co-fondatrice de ondes.brussels, elle donne, depuis plusieurs années, des conférences pour informer/sensibiliser sur les champs électromagnétiques ; Colette Devillers, membre fondatrice de l’AREHS, association pour la reconnaissance de l’électro hyper sensibilité ; Olivier Galand, porte-parole de la plate-forme grONDES qui rassemble des comités d’habitants bruxellois opposés à l’installation d’antennes GSM dans leur quartier ; Arnaud Lismond-Mertes, rédacteur en chef de la revue Ensemble du Collectif Solidarité contre l’Exclusion asbl ; Delphine Misonne, chercheur qualifiée au FNRS, Professeur à l’Université Saint Louis-Bruxelles et Maître d’enseignement à l’Université Libre de Bruxelles ; Nicolas Prignot, philosophe et physicien, ancien travailleur à IEB, il a défendu, en 2016, une thèse de doctorat à l’ULB intitulée « L’onde, la preuve et le militant : l’écosophie de Félix Guattari à l’épreuve de l’électrosensibilité et de la polémique sur les dangers des ondes électromagnétiques » ; Grégoire Wallenborn, physicien et philosophe de formation, il coordonne différents projets interdisciplinaires autour des modes de consommation. Chercheur à l’IGEAT au Centre d’Études du Développement durable (CEDD) depuis 2001. Il poursuit actuellement ses recherches sur les « réseaux intelligents » et leurs usagers ; Alexis Zimmer, philosophe et biologiste, il est l’auteur d’une thèse aujourd’hui publiée chez Zones Sensibles, « Brouillards toxiques : vallée de la Meuse, 1930, contre-enquête », qui révèle comment la reconnaissance de la pollution de l’air s’est construite (entre autres) politiquement à partir du cas d’une pollution mortelle dans la vallée de la Meuse dans les années 1930.
« Il y a près de cinq ans maintenant, il était question d’installer neuf antennes-relais GSM juste en face de chez moi, sur un bâtiment social à Etterbeek, avenue Jules Malou. Il fallait réagir vite car les délais légaux pour s’y opposer sont très courts. Nous nous sommes réunis. Nous avons interpellé la commune. Nous avons interpellé les élus bruxellois, le gouvernement et rapidement nous avons décidé d’introduire un recours devant le Collège de l’environnement. Ce recours est toujours pendant après cinq ans. Les antennes ne sont pas installées. Mais les opérateurs comptent toujours le faire. On s’est régulièrement dit que même si, en définitive, on ne devait pas l’emporter, on aurait tout de même gagné une nouvelle dynamique humaine dans le quartier puisque des gens qui ne se connaissaient pas se sont rencontrés. C’est d’ailleurs pour dépasser l’effet du « nimbisme », que nous avons fondé la plate-forme grONDES. Il était important que nos revendications ne soient pas confinées dans un égocentrisme hyper local, mais se tourne vers les autres quartiers. Il fallait éviter que les antennes que nous ne voulions pas « chez nous », « dans notre jardin », soient implantées dans d’autres quartiers voisins. » Olivier Galand, porte-parole de grONDES, Bruxelles, 7 juin 2018. |
Les technologies de la télécommunication et les normes qui facilitent leur déploiement s’imposent dans la cité alors même qu’une partie significative de celles et ceux qui y habitent, y étudient, y travaillent, y dorment,… s’inquiètent de leurs impacts sanitaires, environnementaux, sociaux et économiques et s’opposent à ce déploiement débridé. Pourtant, avec une constance aveugle, les inquiétudes, questionnements, luttes, mobilisations et informations émanant de collectifs citoyens sont disqualifiés ou minimisés par les élus, affirmant, pour leur part, qu’ils agissent avec précaution, principe devenu moteur de l’intérêt général.
L’arrêt de la Cour constitutionnelle de janvier 2016 [2] abondait dans ce sens. Il déboutait quasi totalement le recours en annulation de requérants opposés à la réduction de leur niveau de protection face aux rayonnements électromagnétiques au seul motif d’un déploiement de la technologie 4G. Les requérants, dont IEB, souhaitaient que l’ordonnance bruxelloise relative à la protection de l’environnement contre les éventuels effets nocifs et nuisances provoqués par les radiations non ionisantes (2007) ne puisse légiférer à rebours des normes jusqu’alors tolérées en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques. La Cour dans son arrêt soutient qu’il n’est pas démontré que le législateur (le parlement bruxellois) ait démontré une conception erronée du principe de précaution en assouplissant la norme, puisqu’il reste dans le même temps largement en dessous des normes recommandées sur le plan international et sur le plan européen. [3]
L’article 23 de la Constitution belge implique, en ce qui concerne la protection de l’environnement, une obligation de standstill qui s’oppose à ce que le législateur compétent réduise sensiblement le niveau de protection offert par la législation en vigueur sans qu’existent pour ce faire des motifs liés à l’intérêt général. À noter que, en droit européen et en droit belge, le principe de standstill, en matière environnementale, fonctionne comme un effet de cliquet : une fois certaines normes de protection acceptées, il est inconstitutionnel de faire marche arrière. Or, dit la Cour, « il ressort des travaux préparatoires [4] de la disposition attaquée que l’assouplissement de la norme a été dicté par le souci de permettre l’introduction de la technologie 4G dans la Région de Bruxelles-Capitale, qui est jugée nécessaire dans le cadre de son rôle international et européen, sans hypothéquer le bon fonctionnement des réseaux 2G et 3G et ce, à un coût acceptable pour les opérateurs − dans la mesure où ils peuvent utiliser à cette fin des sites existants − et sans engendrer une pression excessive sur le territoire, qui résulterait de la nécessité de mettre en service un grand nombre de nouveaux sites, dans le cas où il aurait fallu maintenir la norme actuellement en vigueur. » [5]
La Cour conclu donc « indépendamment de la question de savoir s’il est question en l’espèce d’une réduction sensible du niveau de protection offert par l’ancienne réglementation, l’assouplissement de la norme est justifié ici par les motifs d’intérêt général indiqués : l’introduction de la technologie 4G dans la Région de Bruxelles-Capitale est jugée nécessaire dans le cadre de son rôle international et européen ».
Dès lors, la vraie question est de savoir si les responsables politiques portent ou non un projet politique suffisamment solide pour résister aux pressions idéologiques et financières qui tendent à imposer une gestion court-termiste et principalement techniciste des défis urbains ? Comment soutenir en effet la gouvernance qui négocie la cité avec les industriels des technologies de la télécommunication et sans ses habitants, marchandant nos lieux de vie, nos besoins, nos usages, notre santé, notre environnement ?
Car il s’agit bien d’une effraction. La 4G à peine déployée, la 5G s’impose à Bruxelles et à ses habitants. [Voir illustration ci-contre : Bruxelles, 7 septembre 2018. Qualcomm est une entreprise américaine active dans le domaine de la technologie mobile. Chiffre d’affaires 25,3 milliards de dollars (2015). Crédit photo : Patrick Wouters.] À la mi-juillet, le gouvernement Vervoort signait en effet un protocole d’accord (une feuille de route) avec les 3 opérateurs de téléphonie mobile (Telenet, Proximus et Orange) actifs sur le territoire pour un déploiement pionnier de la 5G à Bruxelles d’ici 2020 [6]. Cette décision place Bruxelles sur la ligne de départ de cette « course que tout le monde devrait gagner » et permet de rassurer investisseurs et opérateurs sur l’horaire d’arrivée en gare du train du progrès.
Dans la foulée, au début de l’automne 2018, la ministre bruxelloise de l’environnement, Céline Frémault (CdH), annonçait un nouvel assouplissement de la norme pour permettre le déploiement de la 5G, taillant un costume ajusté aux opérateurs sur base des recommandations techniques (et non sanitaires) de l’IBPT (le régulateur fédéral) : « L’IBPT déconseille fortement une limite cumulative qui serait inférieure à 14,5 V/m pour une fréquence de 900 MHz. Une limite conservative de 14,5 V/m devrait seulement permettre un début de déploiement minimal de la 5G à Bruxelles dans des conditions relativement similaires aux conditions de déploiement de la 4G ces dernières années, dont on a pu constater qu’elles sont insuffisantes. De plus la limite de 14,5 V/m constitue un seuil qui devra rapidement être revu à la hausse étant donné que ce seuil imposera une limitation à l’évolution actuelle en matière de consommation de données, ce qui entraînera une congestion au niveau de l’accès radioélectrique au réseau plus rapidement qu’à d’autres endroits. C’est pourquoi l’IBPT propose d’adopter la norme au-dessus de 14,5 V/m et jusqu’à 41,5 V/m. Plus on se rapproche de la norme européenne, plus cela garantira la capacité et la qualité des réseaux mobiles, et cela assurera donc également l’expérience de l’utilisateur pour les clients finals. Cela nous permettra de faire partie de la tête du peloton européen concernant le déploiement de réseaux 5G. » [7]
Dans le même temps, face aux levées de boucliers de la société civile et aux appels de la communauté scientifique internationale quant aux impacts sanitaires et environnementaux de la 5G, la Ministre se veut rassurante et promet des balises. « Par précaution, c’est le seuil minimum pour que la 5G puisse se développer qui est envisagé (14,5 V/m en extérieur et encore plus stricte avec 9 V/m en intérieur). La norme reste beaucoup plus stricte que ce que préconise l’OMS (20 x pour la norme intérieure). La norme bruxelloise reste la norme la plus protectrice de Belgique. Les ondes TV et Radio qui échappaient jusque-là à tout contrôle sont intégrées dans la norme et dans les contrôles qui seront opérés pour assurer une bonne protection des riverains. L’effectivité de la norme est conditionnée par l’arrivée de la technologie 5G, à savoir, à l’horizon 2020. Actuellement donc, rien ne changera et on se donne du temps pour mettre en œuvre toutes les balises environnementales nécessaires : un avis du Comité d’experts sur les aspects santé, environnement et économique et techniques sera demandé au préalable ; une concertation effective sera organisée à l’échelle régionale ; une vision partagée devra être conclue entre les opérateurs de mobilophonie et le gouvernement sur les aspects environnementaux, sociaux, technologiques, économiques et en matière d’emploi ; une charte environnementale contraignante liera les opérateurs ; la situation des électro-sensibles sera prise en considération. Il suit de cette démarche adoptée par le gouvernement que le principe de précaution guidera toujours notre dynamique à l’introduction de la 5G pour que Bruxelles puisse devenir une smart city au bénéfice et non au préjudice des citoyens. » [8]
Nous avons, au fil de cette introduction, souligné les notions (normes, principe de précaution, intérêt général,...) sur lesquelles notre analyse tentera d’apporter des éclaircissements, des nuances, notamment par une mise en perspective historique du « concernement » pour les désordres environnementaux causé par l’industrialisation.
Nous effectuerons d’emblée un pas de côté nécessaire à la compréhension de la notion même d’environnement et à sa prise en considération dans le développement industriel.
Nous ferons donc un détour par les étapes qui ont jalonné la reconnaissance de la pollution atmosphérique résultant de l’émanation de gaz et poussières produites par l’industrie du charbon au 19e siècle dans la Vallée de la Meuse. Un décalage qui nous permettra de nous interroger sur la façon dont les différentes formes de pollution se sont progressivement imposées comme des enjeux de société. Quels protocoles scientifiques ont présidé à quelle reconnaissance ? Quels consensus atteints pour quelle protection ?
Que peut-on en retenir qui puisse nourrir notre « concernement » à l’égard de la pollution électromagnétique, considérée comme le dernier avatar des pollutions de l’ère industrielle après celles de l’air, de l’eau et des sols ?
Comment les normes sont-elles fixées ? Opérateurs, fabricants de téléphones portables, pouvoirs publics : tout le monde, sans exception, se réfugie derrière les sacro-saintes recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en matière de rayonnement électromagnétique. Mais l’OMS en tant qu’institution est-elle vraiment si neutre et objective ? Est-elle à l’abri des jeux d’influence et conflits d’intérêts ?
Comment dès lors se jouent les conflits/négociations entre scientifiques, industriels et responsables politiques pour l’établissement de ces normes dites protectrices ? Quelles libertés/contraintes pour les États de décider de leur propre niveau de protection en matière de droit de l’environnement ? Comment la pollution électromagnétique est-elle appréhendée par le droit supra-national, en ce compris en regard de la protection des droits de l’homme ?
Aujourd’hui, un nombre croissant de personnes décrivent les effets biologiques des rayonnements, sentinelles d’une affection aux rayonnements électromagnétiques, les maux dont ils souffrent sont peu voire pas reconnus. Les protocoles scientifiques actuellement à l’œuvre pour objectiver leur souffrance ne tient pas compte du récit qu’ils font de leur maladie. Qu’est-ce donc qui fait maladie ?
Cette attention aux impacts des rayonnements sur la santé et plus largement sur l’ensemble du règne vivant, nous semble être un point de basculement en ce qu’il s’agit de questionner les pratiques scientifiques instituées. Quand peut-on affirmer qu’il y a une « preuve » au niveau scientifique d’une pathologie provoquée par la pollution électromagnétique ? Quelles expériences scientifiques permettraient de démontrer que les rayonnements que nous subissons, êtres humains et non-humains, nous impactent toujours, pathologiquement parfois ?
Le principe de précaution qui préside aux décisions normatives de la classe dirigeante repose en effet tout entier sur le respect d’une norme de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) qu’il ne faudrait pas dépasser (41,5V/m) au risque de subir des dommages thermiques. Or, au seuil que nous connaissons aujourd’hui à Bruxelles, disent certains scientifiques, c’est-à-dire à des niveaux d’exposition beaucoup plus faibles que ceux que tolère l’OMS, nous observons des effets non-thermiques, biologiques. Pourquoi, le législateur ne s’empare-t-il pas des nombreuses études scientifiques qui démontrent ces effets biologiques ?
Les appels à la prudence et les mises en garde les plus pressantes n’émanent pas des personnes électro-hypersensibles elles-mêmes mais bien des scientifiques spécialisés dans cette matière. Dans la perspective du futur déploiement de la 5G, plusieurs appels ont été lancés [9]. Celui initié par l’épistémologiste suédois Lennart Hardell [10] demande que l’on protège la population d’exposition aux technologies sans fil dans des endroits sensibles, « en particulier dans ou à proximité des garderies, écoles, foyers de jeunes, lieux de travail, hôpitaux et homes pour personnes âgées ». Certains pays ont mis en place des règlements, comme la France, nous le verrons, où la loi Abeille a été votée contre vents et marées.
Cent septante scientifiques issus de 37 pays, dont deux Suisses, un médecin zurichois et le docteur en biologie vaudois Daniel Favre, ont signé un appel demandant à l’ONU d’agir pour stopper le déploiement de la 5G pour des raisons sanitaires. Questionné par un journaliste [11] sur le fait que le réseau de téléphonie mobile suisse semblait proche de la saturation et qu’à refuser d’augmenter la puissance des antennes on va pénaliser l’économie suisse (le déploiement seul de la 5G est un enjeu à plusieurs milliards), le Dr Favre s’explique : « Il faut avoir une vision globale de la situation. Nous sommes dans ce que le philosophe et écrivain Eric Sadin appelle la « silicolonisation » du monde. C’est la révolution des technologies numériques dans tous les domaines de l’existence. Cette fuite en avant technologique et ultralibérale ne repose que sur des impératifs économiques et matérialistes, au détriment de l’intégrité de la biosphère, donc de tous les êtres vivants. Cette évolution nous mène vers une servitude volontaire au détriment de l’intégrité humaine, et porte atteinte aux écosystèmes. Les milliards de la 5G ? Oui, cela fera augmenter le PIB, au même titre que tous les dommages collatéraux potentiels (maladies, etc.) de ces technologies ! Je me pose la question : ne sommes-nous pas en train d’assister à un processus massif d’extinction de la vie, en regard de la perte de la biodiversité, de l’effondrement d’écosystèmes, de la disparition d’espèces animales et végétales ? »
Une telle production d’avis scientifiques contradictoires – mais réellement privés d’un débat public contradictoire – nous invitera à nous questionner, au fil de notre analyse, sur la production des savoirs ou de l’ignorance et du rôle qu’y jouent les scientifiques et les experts.
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Chargée de mission
[1] Teslabel, association de fait depuis 1993, asbl en 1996, collectif Dé-Mobilisation, association de fait active entre 2008 et 2012, grONDES, association de fait depuis 2012, AREHS, association de fait depuis mai 2015, ASBL fin 2018, Ondes.brussels association de fait depuis mars 2017.
[2] Arrêt n°12/2016 du 27 janvier 2016, publié au Moniteur le 24/03/2016.
[3] Pour un récapitulatif de l’évolution de la législation à Bruxelles lire « Recours contre la montre : à quand une législation protectrice contre la pollution électromagnétique ? », Alexis Dabin, Stéphanie D’Haenens, Bruxelles en mouvements n°293, mars-avril 2018, p.18-21.
[4] Extrait des débats : « Depuis l’adoption de l’ordonnance du 1er mars 2007, force est de constater que l’on a connu une évolution technologique extrêmement rapide en matière de téléphonie mobile. À l’époque, la 2G était déjà bien développée, mais la 3G n’en était qu’à ses balbutiements. Depuis lors, en novembre 2011, le Gouvernement fédéral a délivré les licences 2600 MHz pour le développement de la technologie LTE de quatrième génération (dite 4G). Cette technologie nouvelle s’avère plus performante puisqu’elle offre une capacité de transmission de données beaucoup plus élevée que la 2G et la 3G pour une même puissance émise. Sur le plan environnemental, ceci permet de limiter les rayonnements émis à trafic constant. [...] Il apparaît dès lors nécessaire d’adapter le cadre législatif actuel si l’on veut tout à la fois permettre le développement de nouvelles technologies et garantir un réseau 3G et 2G performant, ce dernier restant largement utilisé par une part non négligeable de la population. [...] Cet assouplissement peu sensible de la norme assure un nouvel équilibre entre les développements technologiques récents et le maintien d’une protection efficace contre les éventuels effets nocifs des radiations non ionisantes. Il permet le maintien d’une offre de téléphonie mobile de qualité et le déploiement de la nouvelle technologie LTE dans la capitale de l’Europe, tout en conservant une norme d’immission particulièrement sévère, la plus restrictive du pays et nettement plus stricte que celle en vigueur dans d’autres pays européens. Le niveau de protection demeure en effet 50 fois plus élevé que les recommandations de l’OMS et de l’ICNIRP et le principe cumulatif de la norme bruxelloise est conservé. Ce principe est en effet le seul à prévenir une augmentation de l’exposition de la population quel que soit le nombre d’antennes ou d’opérateurs à Bruxelles » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2013-2014, A-466/1, pp. 2-3).
[5] Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2013-2014, A-466/2, pp. 1-8, 12-17.
[6] Lire à ce sujet l’éditorial du numéro 296 du Bruxelles en mouvements (septembre-octobre 2018) qui esquisse les retombées économiques de la 5G : « 5G : l’exploitation sans travail (c’est la santé !) ».
[7] Institut belge des services postaux et des télécommunications. Étude du 12 septembre 2018 concernant l’impact des normes de rayonnement bruxelloises sur le déploiement des réseaux mobiles. En ligne.
[8] Stéphane Nicolas (directeur de cabinet de Mme Fremault dans un mail du 13/11/18).
[9] Voir International Appeal : Stop 5G on Earth and in Space signé en ligne par 23 000 internautes, 2018.
[10] L’EMF call, www.emfcall.org, demande des normes réellement protectrices Scientist’ 5G Appeal, 2017.
[11] « Déployer la 5G revient à mener des expériences sur les humains et la nature », Christian Rappaz, 25 novembre 2018, L’illustré (magazine suisse).