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Pierre d’Angle : un asile de nuit au cœur des Marolles

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Depuis sa création en 1987, Pierre d’Angle a vu son métier considérablement évoluer. S’adressant à un public en décrochage social grave, notre association a dû, au fil du temps, s’adapter tant à l’évolution de son public qu’à celle du contexte institutionnel.

En 1987, Bruxelles n’était pas comparable, et elle ne l’est toujours pas, à Paris ni à Londres quant à la taille et à l’ampleur de ce qu’on appelait le « sans-abrisme ». Mais déjà à l’époque, des manques dans le tissu des interventions publiques et associatives se faisaient sentir, les gares fermant leurs portes et certaines situations n’étant pas rencontrées par les dispositifs existants.

C’était avant la création de la Région, et les seuls interlocuteurs en matière d’hébergement et d’aide aux personnes sans-abri étaient la Vlaamse Gemeenschap et la Communauté Française, sans moyen suffisants pour relever ce défi. L’objectif de Pierre d’Angle était alors de donner un lieu d’accueil inconditionnel, gratuit et anonyme aux sans-abri.

Avec la création de la Région et de sa Commission Communautaire Commune, un interlocuteur Bruxellois est apparu et a su prendre la mesure des enjeux et défis à relever et préparer, sans que l’on ait pu le pressentir à l’époque, l’évolution et la diversification des « origines » et des histoires qui amenaient une partie de la population à se retrouver à vivre dans la rue.

Une population en décrochage social

Aujourd’hui, les « vagabonds » n’ont pas disparu du paysage urbain, malgré la suppression de la loi, certes désuète, qui les encadrait. C’est pourquoi Pierre d’Angle a voulu, dès le départ de son existence, et au fur et à mesure de son élargissement à de nouveaux partenaires, contribuer à améliorer les services et à diversifier les interventions [1] auprès de cette partie de la population en décrochage social grave, bien au-delà de l’urgence, qui semble parfois pourtant si criante.

Ce ne sont pas tant des nouveaux besoins qui sont apparus au fil du temps, que l’accumulation de difficultés sociales (logement, travail, troubles de santé mentale, rupture familiale, etc.) qui plongent les personnes dans une vie d’immédiatetés ayant parfois à nos yeux l’apparence de l’urgence. Mais qui pourrait aller bien en vivant dans la rue ? Qu’il soit (candidat) réfugié, sans-papier, ou « originaire du cru » de plus ou moins longue date, celui qui vit dans la rue est sans repères de toute façon et dans tous les cas.

Un travail de 1e ligne

En 2012 se furent 17 047 nuitées « servies », 6 695 refus faute de place, 1 937 personnes venant « pour la première fois », 23 nationalités différentes « identifiées ». Sur place même, au-delà des 48 lits disponibles en 2 dortoirs tous les soirs, les services ont été étendus en journée, toujours dans le cadre de partenariats, tels que douches ou sieste l’après-midi en semaine.

Depuis plusieurs années maintenant, la Croix-Rouge assure une permanence de « premiers soins » qui permet de ne pas devoir recourir pour tout aux circuits médicaux et hospitaliers. En période hivernale, suite à une attention plus grande alors que les difficultés ne sont pas forcément moindres aux autres saisons, nous nous inscrivons dans l’action menée par le Samu Social à la demande du Collège Réuni de la Commission Communautaire Commune.

La gratuité, l’inconditionnalité et l’anonymat font toujours partie des aspects fondamentaux de notre approche. Ils sont essentiels pour tenter de rétablir une confiance entre les personnes accueillies, qu’elles soient hébergées un soir, ou orientées vers des formules plus adaptées : mineurs clairement identifiés, famille avec de jeunes enfants, femmes.

Le logement, un levier parmi d’autres

Plus globalement, la problématique du logement retient aussi toute notre attention, même si nous travaillons essentiellement face à l’immédiateté des besoins. C’est ainsi que nous contribuons à plusieurs projets d’encadrement de logements à plus longue durée, et que notre appartenance à IEB, ainsi qu’au RBDH [2] via l’AMA [3], prend et garde tout son sens.

Notre priorité dans ce domaine est notre implication dans « Housing First » [4], un programme de psychiatrie sociale permettant l’accès direct à un logement pour les sans-abri les plus fragiles (assuétudes, exclusion sociale, santé mentale). Il ne s’agit pour ces personnes que d’une première étape, car de même qu’on ne se retrouve que rarement à la rue suite à un seul évènement, on n’en sort pas non plus à partir d’un seul levier actionné : logement, travail, réseau de solidarité, etc.

Néanmoins, habiter quelque part constitue un des piliers de l’insertion. Même si cela ne suffit pas en soi, le logement permet à une personne de « régulariser » sa situation et d’espérer tisser des relations durables avec son environnement (quartier, voisins…). Le domicile permet ainsi la stabilisation de la vie de tous les jours, et il ouvre aussi bien souvent l’accès à des revenus de remplacement, ce qui est une étape importante du processus de réinsertion.

Conclusion

À sa modeste échelle, notre association tente de contribuer à assurer auprès des personnes en grand décrochage social une aide de qualité, selon des modalités respectueuses de leur autonomie, et qui tiennent compte de leur capacité à reprendre pied dans la société là où elles sont, pour aller vers un bien-être, parfois lointain, à améliorer.

Il est essentiel de limiter autant que possible la durée de décrochage des personnes en précarité.

En ce sens, l’hébergement dit d’urgence, et que nous préférons appeler d’immédiateté, constitue une première étape qui vaut de toute façon mieux que la précarité de la rue, mais n’a de sens que si d’autres perspectives peuvent être offertes aux personnes grâce à un travail de réseau des associations et pouvoirs publics soutenus par des politiques et des moyens suffisants et transversaux.

Ceci est d’autant plus important que face à l’évolution des groupes rencontrés, on ne peut pas dire que les défis aient diminué, que du contraire ! La complexité parfois insurmontable des difficultés vécues par certaines personnes en fonction de leurs situations administratives, candidats ou ex-candidats réfugiés par exemple, peut rendre toute action à longue durée impossible, voire inutile et contre-productive.

Marc Renson
Pierre d’Angle
http://pierredangle.skynetblogs.be


[1Travailleurs de rue avec « Diogènes », accueil de jour, réseau d’interventions psychosociales « Santé Mentale et Exclusion Sociale », Association des Maisons d’Accueil Francophones et Fédération Bi-communautaire.

[2RBDH : Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat.

[3AMA : Association des Maisons d’Accueil – www.ama.be.