Inter-Environnement Bruxelles
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Paysagiste 2.0

© Andreas Stathopoulos - 2023

Marseille, France.

Il est paysagiste. Il a pour prénom J.-L. et pour nom K*****. Il travaille pour l’agence A. qui est son agence. Il a pour projet de déraciner 87 arbres et d’agencer autre chose. C’est sa manière à lui d’aimer les arbres. Il est paysagiste, il s’appelle J.-L. K*****. Il ne dit pas dé-raciner mais transplanter. Il est paysagiste et même paysagiste-conseil de l’État. Avec son agence il a pour projet de déraciner 87 arbres de la place Jean-Jaurès, dite La Plaine, à Marseille. Il est très fier de son projet. Il est paysagiste-conseil de l’État et membre de la Maison de l’architecture de son département, qui n’est pas le département du déracinement projeté. Du déracinement projeté, il dit Projet contextuel, poétique et sensible. Il dit Notre souci est de situer les projets dans leur géographie pour en révéler les potentialités et la mémoire des lieux, et de rendre compte des qualités d’usage et des pratiques sociales. Il s’appelle J.-L. K*****. Il est né le X juillet XXXX. Il est gérant de l’entreprise A. pour l’Aménagement des Paysages et des Sites Paysagistes. Il veut déraciner 87 arbres de la place Jean-Jaurès. À Marseille. Il veut la place pour agencer son paysage. Il a son idée. Son paysage est dans sa tête mais les arbres de la place, eux, ne sont pas dans sa tête. Il dit Notre souci est de situer les projets dans leur géographie. Il s’appelle J.-L. K*****, il a 58 ans. Il aime les gros projets et pratique couramment la langue de bois qui lui permet de les réaliser. Il en est fier. 87 arbres à déraciner, projet contextuel. Il en est fier. Il gagne de l’argent en déracinant 87 arbres plantés en 1981, projet poétique. C’est son gagne-pain. Il gagne son pain à Marseille en déracinant 87 arbres, projet sensible. Il a son paysage dans sa tête, il veut son paysage en vrai. Il a sa langue dans sa bouche, il pratique sa langue. De bois. Les arbres de la place ne sont pas dans sa tête. Il s’appelle J.-L. K*****, il est membre de la Maison de l’architecture de son département et dans sa tête il n’y a pas, sur la place Jean Jaurès, 87 arbres en bonne santé. Cela n’existe pas. Il s’appelle J.-L. K*****, il est paysagiste-conseil de l’État et dans sa tête il a un paysage et dans sa bouche il a une langue de bois. Il s’appelle J.-L. K***** et dans son paysage il n’y a pas d’arbres, il n’y a pas les arbres de la place Jean-Jaurès. Il s’appelle J.-L. K***** et dans sa tête il n’y a pas de paysage. Dans sa tête il n’y a qu’une idée et dans sa bouche il n’y a qu’une langue pour mettre en œuvre son idée. Son idée a besoin de place, a besoin de déraciner 87 arbres. Il s’appelle J.-L. K*****, il a 58 ans et il prend de la place. Il est paysagiste et il veut prendre la place. Il est paysagiste et il ne trouve pas les arbres de la place, plantés en 1981 et toujours en bonne santé, suffisamment majestueux et développés. Il est paysagiste et il veut planter ses arbres à lui. Son bois à lui. Il est paysagiste et il veut remplacer les arbres de la place avec son nom à lui, son agence à lui, son bois à lui. Avec sa langue de bois. Il est paysagiste et il veut remplacer une population qu’il trouve insuffisamment développée dans ses pratiques sociales. Son souci est de situer les projets dans leur géographie mais il se contrefout de la population dans la géographie de la place où il veut prendre place. Il ignore cette géographie, il méprise cette population et ses pratiques sociales. Il est paysagiste et il veut une population développée, pour en révéler les potentialités et la mémoire des lieux. Il s’appelle J.-L. K***** et il veut rendre compte des qualités d’usage et des pratiques sociales en trans-plantant ses arbres à lui, son bois à lui avec sa langue à lui. De bois. Il s’appelle J.-L. K***** et son nom est une machine qui déracine 87 arbres à Marseille sur la place Jean Jaurès. Il s’appelle J.-L. K***** et sa langue est le moyen de mettre en œuvre son nom pour réaliser son idée. Une idée qui insulte le paysage et offense la population. Il s’appelle J.-L. K*****, il a une agence et son agence qui agence est le moyen par lequel il tire profit de la machine qui est dans sa tête, sa langue est le moyen par lequel sa machine dispose, impose et concrétise son idée en son nom. Son nom est son idée et son idée est un projet contextuel, poétique et sensible. Son idée est un projet en bois, comme sa langue, mais pas du même bois que les arbres qu’il déracinera. Son projet photoshopé est taillé dans une écorce numérique ; il est cruel, pathétique et terrible, mais son souci est de situer les projets dans leur géographie pour en révéler les potentialités et la mémoire des lieux, et de rendre compte des qualités d’usage et des pratiques sociales. Sur la place Jean Jaurès, dite La Plaine, à Marseille. Où il a pris la place en méprisant ses usages. Avec son nom-machine : J.-L. K*****.

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