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Pavé dans les Marolles : le quartier parle au quartier !

Le Pavé dans les Marolles est un journal de quartier, réalisé depuis 2017 par un groupe de personnes qui entretiennent un lien fort avec les Marolles, qui y vivent ou y travaillent. Venant d’horizons divers, leur motivation est commune : décrypter et rendre public les projets liés aux Marolles, défendre son caractère populaire, encourager la capacité de ses habitant·e·s à définir leur environnement de vie.

Les Marolles occupent une place à part dans l’imaginaire bruxellois : sa population mélangée au caractère frondeur, son Vieux Marché, le mystère de ses souterrains en font un endroit singulier. Encore aujourd’hui, il reste un véritable lieu de vie sociale où l’on vient de tout Bruxelles pour chiner, manger ou discuter dans les cafés qui entourent la place du Jeu de Balle.

Son histoire est jalonnée de luttes sociales dont la plus célèbre reste la Bataille de 1969 contre le projet d’extension du Palais de Justice. Depuis, les menaces ont pris d’autres formes : sablonisation, gentrification, spéculation immobilière, rénovation urbaine aux effets aseptisants, hausse des loyers, autant de processus ayant pour conséquence de rehausser son standing en se débarrassant de ses habitant·es les moins fortuné·es. C’est dans cette histoire particulière que s’inscrit le Pavé dans les Marolles.

Sous le parking, les Pavés

Le journal trouve ses racines dans la bataille contre le projet de parking sous la place du Jeu de Balle, fin 2014-début 2015. Habitant·e·s, échoppier·es, associations, client·e·s et amoureux·ses du Vieux Marché s’étaient organisé·es ensemble au sein de la Plateforme Marolles et avaient fini par obtenir gain de cause, obligeant la Ville de Bruxelles à retirer son projet quelques mois après l’avoir lancé. Outre une victoire assez rapide, cette lutte a permis de tisser des liens informels mais solides entre nombre des membres de l’éphémère Plateforme. L’idée d’un journal, qui permette de maintenir une vigilance collective face aux velléités de transformations urbaines, économiques et sociales qui planent régulièrement sur les Marolles, se concrétisa en avril 2017 avec la parution du numéro zéro du Pavé, consacré à la prolifération de galeries d’art « parachutées » dans le quartier.

Quelques mois plus tard, un Contrat de quartier durable était lancé dans les Marolles par la Ville de Bruxelles et la Région de Bruxelles-Capitale. Censé avoir un impact positif sur le bâti, la qualité de vie et la cohésion sociale, il s’avéra assez vite que les gens du quartier ne semblaient pas en être la priorité et que, sous couvert d’« embellissement », l’esthétique si particulière des Marolles risquait de disparaître sous un mobilier urbain « épuré » et des pavés pailletés de bon marché. Par ailleurs, la dimension participative du Contrat de quartier montra immédiatement ses limites : face à l’opacité du jargon administratif et aux jeux de chaise musicale des échevins en charge de son avancement, les habitant·e·s et commerçant·e·s des Marolles furent nombreux·ses à se sentir perdu·es plutôt que partie prenante. Dès le n°1 du Pavé, en octobre 2017, le Contrat de quartier devint donc un sujet régulier du journal.

Sept numéros plus tard, le Pavé a réussi à installer un espace de parole libre. Chacune de ses éditions est désormais attendue et distribuée gratuitement à 3000-4000 exemplaires. Le journal est devenu un bon moyen de créer des liens et de la solidarité. Il continue également à informer et mobiliser face à des processus de transformation urbaine peut-être moins faciles à appréhender qu’un projet de parking mais pouvant avoir des conséquences tout aussi désastreuses. Dans ce sens, le Contrat de quartier reste une préoccupation importante dont le Pavé tente de décortiquer les rouages et de clarifier les enjeux (un projet de roman-photo est en cours d’élaboration, afin de vulgariser son fonctionnement particulièrement complexe et peu propice à l’implication des personnes concernées).

Un fonctionnement mouvant, condition d’un journal pérenne ?

Mais comment réussir à maintenir un journal qui ne bénéficie d’aucune source de financement ? Le Pavé n’a ni subside, ni bureau. Tout au plus a-t-il bénéficié de la caisse de soutien qu’avait conservée la Plateforme Marolles. L’adjectif « aléatoire » est sans doute celui qui caractérise le mieux son fonctionnement : les dates de réunion ne sont pas fixes, les contraintes de parution inexistantes, les dates butoirs souvent dépassées… Idem pour la rédaction : certain·e·s écrivent dans chaque numéro, d’autres de temps en temps. Et peut-être est-ce précisément ce caractère aléatoire qui permet au Pavé de perdurer. Ce qui est sûr, c’est que les idées de sujets sont nombreuses et globalement, un numéro finit par sortir dès qu’il y a suffisamment d’articles rédigés et d’images pour les illustrer. L’organisation se veut la plus collective possible : le choix des sujets est discuté en réunions et une attention particulière est portée à la répartition des tâches, de la relecture des textes à la distribution, en passant par la recherche iconographique, le graphisme ou la mise en ligne sur le site web…

L’équipe, elle aussi, est mouvante. Aux membres de la première heure se sont greffées d’autres énergies. Le groupe a évolué tout en conservant un « noyau plus ou moins dur ». De temps en temps, certaines personnes s’en vont, faute de temps et d’énergie, tandis que d’autres arrivent avec un nouvel élan. Régulièrement, le lectorat propose des chroniques ou des illustrations. La diversité des membres et des approches permet au journal de proposer un contenu éclectique, comme une fenêtre ouverte sur le quartier. Ainsi, dans un même numéro peuvent se mêler portraits de commerçantes ou d’habitants, articles sur les enjeux du Contrat de quartier, enquêtes ou coups de gueule sur un projet immobilier spéculatif, chroniques régulières (à l’image par exemple d’un feuilleton sur l’histoire de la Maison du Peuple)…

Sous couvert d’« embellissement », l’esthétique si particulière des Marolles risquait de disparaître sous un mobilier urbain « épuré » et des pavés pailletés de bon marché.

Mais quels sont les impacts d’une telle initiative ? Favorise-t-elle réellement l’émergence d’une pensée critique, de liens collectifs et de capacités d’action ? Lors de la distribution du journal, certaines discussions s’engagent aux tables des cafés. Et les échanges météorologiques sont parfois remplacés par des discussions relatives aux travaux, à la touristification des Marolles, voire au Contrat de quartier. Plusieurs membres du journal prennent part aux différentes réunions officielles liées à ce processus. Et si, lors de celles-ci, le temps de parole des habitant·es est compté et le débat enseveli sous la technicité et les procédures, le journal offre quant à lui la possibilité d’expliquer les enjeux de manière plus compréhensible et de mener un débat critique sur les projets de « rénovation urbaine » portés par les autorités. Force est de constater que le Pavé a donné à entendre des voix discordantes, permettant parfois d’inf léchir des points du Contrat de quartier vers une plus grande prise en compte des besoins de celles et ceux qui y vivent.

Le Pavé : un long fleuve tranquille ?

L’aventure du Pavé n’est pas dénuée de limites. Elle demande beaucoup de temps et d’énergie, or maintenir un rythme de parution à peu près régulier en se basant sur le bénévolat n’est pas chose aisée, et l’essoufflement guette toujours. Le défi consiste à maintenir l’émulation initiale afin que le journal se maintienne dans la durée. Sans budget, le collectif a fait le choix de ne pas postuler aux appels à projets citoyens du Contrat de quartier : la liberté du journal est à ce prix. Les limites financières du Pavé constituent donc aussi sa force avec pour corollaire une formidable autonomie de parole.

Une autre limite, c’est peut-être la difficulté à toucher toutes les catégories de population. En effet, bien que s’inscrivant dans une démarche populaire et de vulgarisation, les barrières culturelles, linguistiques et sociales demeurent dans un quartier où cohabitent pas moins de 112 nationalités différentes. D’où la volonté de parler de sujets qui touchent directement la vie de ses habitant·e·s.

Outil de débat, espace de parole indépendant, instrument de réf lexion politique, ce journal s’inscrit-il dans une démarche d’éducation populaire ? Dans le collectif, cela semble évident même si la question ne s’est jamais posée en ces termes. Pas besoin de s’enfermer dans un cadre de pensée ni dans un carcan institutionnel. La participation au journal constitue parfois une véritable initiation politique, un moyen d’exprimer son opinion dans l’espace public. La dimension collective est primordiale, tout comme la réciprocité et l’échange ; les plus outillé·e·s transmettent leurs connaissances aux autres, que ce soit en informatique, en aptitude rédactionnelle ou en compréhension des mécanismes de la politique locale. Au Pavé, sur cette base, on tente collectivement d’apprendre par soi-même, de comprendre pour agir, de proposer des outils pour débattre et réfléchir.

Le Pavé confiné

Depuis l’annonce du confinement mi-mars, tout a changé pour les membres du Pavé. D’abord en termes d’organisation et de modalités de fonctionnement : les réunions sont devenues virtuelles. L’utilisation d’un service en ligne de traitement de texte et de travail collaboratif a permis de maintenir les rendez-vous à un rythme soutenu tout en restant dans une dynamique de travail collectif.

La parution du journal papier étant suspendue, des articles ont été publiés sur Internet. Les sujets ont eux aussi été infléchis par la crise du Covid-19 : un contrôle de police mené à la cité Hellemans le 19 avril a fait l’objet de plusieurs articles ; le portrait de Bjorn Boonen, l’un des derniers commerçants des Marolles à être resté ouvert pendant le confinement a été publié ; mais surtout, la fermeture du Vieux Marché est au centre de toutes les préoccupations. Ce marché qui se déroule 365 jours par an, et que seul le « lockdown » de 2015 (suite aux attentats de Paris) avait arrêté l’espace de quelques jours, a dû arrêter de battre le pavé de la place du Jeu de Balle depuis le 15 mars.

De manière plus générale, c’est l’essence même du quartier qui a été vidée de sa substance pendant plusieurs mois. Les Marolles sont avant tout un lieu d’échange, de vie sociale, de vie tout court, qui a semblé comme gelé pendant tout ce temps. La réouverture des commerces a redonné un peu de vie, mais l’absence du Vieux Marché reste criante : le cœur des Marolles ne bat plus.

Telle une fatalité cyclique, il semblerait que le Jeu de Balle soit à nouveau menacé. Les solidarités créées lors de la bataille contre le projet de parking sous la place vont devoir se montrer plus fortes que jamais. Jusqu’à maintenant, le Vieux Marché a toujours survécu ; l’énergie impertinente du Carnaval sauvage prônant le retour des brols dans les Marolles lors d’une danse éclair le samedi 23 mai est de bon augure…

Les limites financières du Pavé constituent donc aussi sa force avec pour corollaire une formidable autonomie de parole. Pour aller plus loin Voir le site du Pavé dans les Marolles, journal à parution aléatoire conçu pour et par des habitant·e·s et usagers du quartier des Marolles.

Un article élaboré collectivement par les membres du Pavé dans les Marolles, rédigé par Camille Burckel et Gwenaël Breës.