D’ici 2020, Bruxelles devra héberger 140 000 habitants supplémentaires. Du coup, la Région ouvre certaines zones au logement. Une porte ouverte à la spéculation immobilière, une mauvaise réponse à la question sociale du boom démographique, estiment une série d’associations (dont IEB) dans une carte blanche, qui a été publiée sur le site du Soir le 2 juillet.
Si la croissance démographique à Bruxelles doit se traduire par la transformation des terrains portuaires pourvoyeurs des emplois peu qualifiés de demain en nouveau terrain de chasse pour les promoteurs du logement de luxe d’aujourd’hui, alors c’est que nous n’en aurons pas su traduire les véritables enjeux. Réduire la démographie à la production de tels logements, c’est aussi réduire la dimension démocratique de la ville et, pour finir, en évincer encore davantage les plus faibles d’entre nous.
La Région de Bruxelles-Capitale fait face à une crise du logement sans précédent. Cette crise, accentuée par une croissance démographique importante, justifie aux yeux du gouvernement bruxellois de modifier en urgence le plan qui définit les affectations du sol (PRAS). Ce plan indique de façon contraignante les fonctions (logement, école, crèche, parc, bureau, commerce, industrie....) qui peuvent prendre place sur le territoire bruxellois. Le modifier pour autoriser plus de logements semble, a priori, une décision pleine de bon sens pour répondre à la crise actuelle. Et pourtant, cette décision pourrait bien ne faire qu’aggraver la situation ...
Se basant sur une étude préparatoire affirmant la capacité insuffisante du territoire pour répondre à la crise du logement, le gouvernement veut modifier le PRAS afin d’autoriser une proportion de logements plus importante, soit dans des zones où celui-ci était déjà autorisé (les zones de bureaux, par exemple), soit dans des zones où il était quasiment interdit car considéré comme peu compatible avec les activités autorisées, essentiellement dans les zones d’industrie urbaine.
Parée d’un verni de rationalité, la démarche interroge à plusieurs niveaux. Premièrement, celui du respect des principes élémentaires de la démocratie. Le projet de modification du PRAS a été élaboré en excluant la participation de la société civile et des habitants alors même qu’un processus parallèle d’élaboration du plan chargé de dresser les grandes lignes de développement de la Région (le PRDD) est en cours. Le bon sens comme le cadre légal imposent pourtant que le PRDD, projet de ville, ait la primauté et vienne avant toute modification du PRAS, outil règlementaire aidant à la mise en œuvre du projet de ville.
Autres violations des préceptes démocratiques : le manque d’accès à l’information (l’étude préparatoire sur le potentiel du foncier existant n’a jamais été rendue publique malgré les demandes répétées), le manque d’objectivation des hypothèses retenues (quelle est la composition sociologique de la croissance démographique ?) ou simplement le peu de temps laissé à la société civile pour analyser un projet complexe présenté à l’enquête publique du 15 mai au 13 juillet, dans une période extrêmement chargée pour tous et empiétant en partie sur la période estivale.
Ensuite, sur le fond. Les mesures proposées dans le PRAS vont favoriser dans une large majorité des cas la construction de logements privés inaccessibles tant aux Bruxellois moyens qu’aux nouveaux habitants conjecturés par les démographes. En effet, les trois quarts de la croissance démographique sont le fait de la natalité dans les quartiers populaires et des migrations dites « économiques », bref, des nouveaux habitants pauvres. Or les changements d’affectation concernent des terrains appartenant en grande partie au secteur privé, sans qu’aucun levier ne soit mis en place pour lui imposer la construction de logements financièrement accessibles à ces habitants.
Par ailleurs, au nom de l’augmentation de l’offre de logements, qui risque bien d’être inadaptée, le projet de PRAS met en péril la fonction économique. Selon la Société régionale de développement bruxelloise (SDRB), la moitié des entreprises qui cherchent à s’implanter ou à se maintenir sur le territoire bruxellois ont des activités incompatibles avec le logement. Les activités productives sont aujourd’hui déconsidérées par de nombreux mandataires politiques qui jugent anachronique leur présence au cœur de la ville. Pourtant, à l’aube d’une crise énergétique sans précédent, la ville aura besoin à court terme de zones dédiées à la relocalisation d’activités productives au service de la ville, lesquelles ne sont pas toujours compatibles avec du logement, surtout s’il est « haut de gamme ». Les terres mises ainsi en péril bordent pour l’essentiel le canal et ses quartiers populaires. Or les activités qui y sont ou qui pourraient opportunément s’y implanter créeraient notamment de l’emploi peu qualifié pour les habitants de ces quartiers. Elles pourraient, en outre, tirer parti de la voie d’eau pour acheminer biens et matières premières et soulager nos voiries de nombreux camions.
Le projet de PRAS tire explicitement un trait sur ce potentiel pour ouvrir la voie aux promoteurs immobiliers. Certains terrains industriels se négocient depuis quelques mois à des prix tirés vers le haut par les potentielles plus-values à réaliser. Or rien à ce stade de la procédure n’est prévu pour capter dès aujourd’hui les plus-values ainsi générées par les changements d’affectation annoncés.
L’ouverture des zones d’équipement à la fonction logement sans restriction est très préoccupante. Le manque d’équipements de proximité (principalement des écoles et des crèches) est déjà criant aujourd’hui. Or cette nouvelle disposition va relancer une tentation importante sur des zones jusqu’alors relativement préservées de la spéculation immobilière et est en contradiction avec le 3e motif du gouvernement d’adapter le PRAS.
Considérant l’ampleur des enjeux, les organisations signataires demandent le report de l’examen de ce projet après un large débat public à organiser dans le cadre d’une enquête publique de minimum 6 mois autour du futur projet de PRDD. Elles réclament qu’un système de captation des plus-values générées par les projets facilités par une éventuelle modification du PRAS soient mises en place avant toute adoption du texte et que ces plus-values servent à augmenter substantiellement le nombre de logements à caractère social. Elles réclament l’accès sans restriction à toutes les études financées par les pouvoirs publics et susceptibles d’éclairer les citoyens, et notamment celles qui objectivent la croissance démographique et les besoins qu’elle engendre tant en matière d’équipements de proximité (écoles, crèches, parcs publics,...) qu’en matière de types de logements (petits ou grands, sociaux, conventionnés ou libres).
Il faut donner une nouvelle orientation à ce PRAS qui, tout en prenant en considération la contrainte démographique actuelle, travaille à proposer des solutions intégrant un projet de ville plus solidaire, développant des formes plus localisées de l’économie et plus respectueuses de l’environnement.
Si rien ne vient brider ce PRAS, les pauvres s’entasseront encore un peu plus dans les logements délabrés de certains quartiers tandis que la clientèle internationale pourra bénéficier d’un pied-à-terre agréable avec vue sur un canal vidé de ses fonctions économique et écologique... La vision de la ville portée par le gouvernement bruxellois mérite plus que le silence assourdissant qui accompagne l’enquête publique en cours.
Signataires
Atelier de recherche et d’action urbaine (ARAU), BruxellesFabriques, Inter-Environnement Bruxelles (IEB), Mouvement Ouvrier Chrétien Bruxelles, Partenariat Intégration Cohabitation à Laeken (PICOL), Union de Locataires Anderlecht-Cureghem (ULAC), la Promenade Verte de Neder-Over-Heembeek asbl
Plus d’infos
Lire la carte blanche sur le site du Soir.
Dans Le Soir, le dossier sur le boom démographique à Bruxelles.