Mathieu Sonck – 28 septembre 2016
En 2009, quelques mois avant la fin de la législature, le Gouvernement bruxellois intimait l’ordre à la Ville de Bruxelles d’élaborer un Plan Particulier d’Affectation du Sol (PPAS) pour le site de Tour et Taxis, propriété du promoteur immobilier Extensa, filiale du groupe Ackermans & van Haaren, fleuron du BEL20. Cette demande est balisée par un arrêté gouvernemental fixant la limite maximale de nouvelles constructions autorisables à 370 000 m² et la superficie minimum du parc à 9 hectares d’un seul tenant.
En août 2016, soit sept ans plus tard, le projet de PPAS est présenté à l’enquête publique.
Le projet de PPAS fait l’objet d’un volumineux rapport, mais seules les prescriptions urbanistiques et deux plans ont valeur légale. Le plan d’implantation distribue spatialement les différentes zones urbanisables sur le site, tandis que le plan d’affectation en précise les affectations. Les prescriptions urbanistiques fixent les surfaces autorisées, les gabarits des futures constructions ainsi que les détails des implantations des différentes fonctions nécessaires au développement du site. Ces documents sont accompagnés d’un Rapport sur les Incidences Environnementales (RIE) qui évalue les incidences du projet sur l’environnement au sens large et propose des recommandations pour limiter les incidences négatives.
Le RIE évalue différentes options d’aménagement. Trois options ont été retenues : un développement du site en l’absence de PPAS, un développement « moyen » du site et un développement « faible » du site. Chaque option fait l’objet de sous-options que nous ne détaillerons pas dans le présent texte.
L’option de développement sans PPAS tient compte de ce que le Plan Régional d’Affectation du Sol autorise ainsi que des permis déjà délivrés sur la zone. L’option de développement « moyen » correspond au maximum autorisé par le gouvernement dans son arrêté, soit 370 000 m², tandis que le développement « faible » prévoit le développement de 260 000 m².
In fine, c’est l’option 2, soit le développement moyen (c’est-à-dire maximal par rapport aux limites imposées par le Gouvernement), qui a été retenue. Reste à savoir si ce choix est judicieux. La présente analyse tente de répondre à cette question. Sans vouloir dévoiler la teneur de ce qui suit, nous contenterons le lecteur pressé dès maintenant en affirmant que la réponse est négative...
370 000 m² au chausse-pied...
Le projet de PPAS propose la densité maximale autorisée par le Gouvernement. Cette proposition est contraire à l’analyse faite par le RIE sur de nombreux aspects et contrevient donc avec le droit européen consacrant la protection de l’environnement. En matière de mobilité, par exemple, le RIE pointe un important problème de saturation des voiries sans qu’une solution valable ne soit apportée par les pouvoirs publics. Cette densité est par ailleurs aggravée par le choix de consacrer une part importante du parc à des zones minéralisées dont on peut se demander en quoi elles répondent à la définition d’un espace vert, telle que précisée au PRAS. De même, l’analyse comparative des densités du projet et des quartiers environnants est trompeuse dès lors que les quartiers historiques adjacents contiennent très peu d’espaces verts. L’espace vert prévu dans le projet de PPAS est censé répondre à la demande des quartiers avoisinants, mais s’accompagne d’une urbanisation dont la densité, si elle devait être calculée sans tenir compte du parc est largement supérieure à celle des quartiers voisins, pourtant qualifiés par le RIE comme parmi les plus denses de la région.
Illustration 1 : plan d’implantation.
Il est également à noter que le projet de PPAS entretient un flou dans le calcul des surfaces autorisées. Ainsi, les surfaces autorisées dans la zone X2 (voir plan d’implantation) et situées hors de la Zone d’Intérêt Régionale (ZIR 6A et 6B) ne sont pas reprises dans le calcul de la surface totale autorisée. Il en va de même pour l’hôtel des douanes. Et pire encore pour la gare Maritime, dont le statut dans les prescriptions urbanistiques est également ambigu. Ainsi, le glossaire reprend la superficie de la gare Maritime dans les surfaces existantes, mais les prescriptions particulières autorisent de construire 50 000 m² en son sein. Techniquement, les surfaces utiles dans la gare Maritime pourraient donc largement dépasser les 50 000 m² autorisés. Les prescriptions particulières ne s’y trompent d’ailleurs pas dès lors qu’elles limitent les surfaces autorisées hors sol à 75 000 m². Ce chiffre nous parait néanmoins être contradictoire avec l’objectif de garder la lisibilité de la succession des grandes halles. De plus, l’affectation des 25 000 m² supplémentaires autorisés n’est pas claire. Pour ces différentes raisons, nous demandons que les surfaces autorisées dans la gare Maritime soient limitées à 50 000 m², y compris les surfaces non construites.
Les gabarits autorisés a posteriori de la clôture du RIE en avril 2015 méritent également un examen minutieux. Ce point fait l’objet d’un chapitre spécifique dans le présent texte.
Par ailleurs, la hauteur limite de référence prévue dans l’arrêté du Gouvernement est de 24 m. Cette hauteur est apparemment calculée par rapport à un point zéro à hauteur du canal (en fait, la gare Maritime présente une hauteur moindre si l’on prend comme référence le sol à proximité immédiate du site). Il conviendra de spécifier dans le PPAS que les gabarits maximum sont à mesurer par rapport au même point de référence que celui utilisé pour mesurer la hauteur de référence de la gare Maritime.
Enfin, l’option 3, plus raisonnable en termes de densité et beaucoup plus compatible avec les contraintes liées à la mobilité et à la qualité de la vie sur le site a été écartée sur base de critères qui méritent l’analyse. Dans le domaine socio-économique, les faiblesses et menaces identifiées étaient facilement contournables, moyennant adaptation. On pense notamment à la mixité sociale et fonctionnelle qui aurait pu être obtenue en modifiant les typologies ou encore au profil des emplois créés par les activités productives. Certaines de ces faiblesses se sont par ailleurs révélées communes avec le choix final. Ainsi, l’option retenue prévoit la privatisation du talus du Laekenveld et des intérieurs d’îlot de la zone Z2. Le même raisonnement est applicable en termes urbanistiques, en réalité, il aurait fallu envisager une option basée sur les typologies imaginées pour l’option 2, mais avec une densité moindre. Cette proposition aurait eu l’avantage de contourner une grande majorité des faiblesses de l’option la moins dense. En matière de mobilité, il est étonnant de constater que l’option 3, de loin la moins impactante en matière de mobilité est écartée exclusivement pour la question de la privatisation du talus du Laekenveld, qui a malgré tout été retenue dans le projet de PPAS ! Enfin, une analyse détaillée des interactions pour chaque option révèle que l’option 3, si elle était adaptée en termes d’implantation et urbanistique, pourrait se révéler de loin le meilleur choix.
IEB suggère que le programme soit revu en mixant le meilleur de l’option 2 (implantations) et la densité moindre de l’option 3 tout en privilégiant le logement, les activités productives et les équipements publics.
Enfin, il convient de préciser le nombre de m² autorisés pour l’ensemble du périmètre du PPAS, en incluant les zones (hors A, B, C, D et E) pour lesquelles cela n’est pas spécifié (la zone de diversité, les bâtiments remarquables, la zone d’équipements, l’hôtel des Douanes,…).
Remarques générales à propos des affectations
Illustration 2 : affectations.
Le choix des affectations pose également problème dans la mesure où il est contradictoire avec l’état des lieux des besoins des quartiers environnants ou même de la région bruxelloise.
Une part substantielle des superficies autorisées est consacrée aux bureaux, alors que le RIE mentionne un stock important de bureaux vacants dans la zone limitrophe du PPAS, ainsi que dans la région. Le RIE convient explicitement qu’il est important de limiter le développement des superficies de bureaux (CH1, pages 95/133), mais le projet de PPAS ne se contente pas d’entériner les permis déjà accordés (environ 65 000 m² en tout), il autorise encore plus de 80 000 m² de bureaux supplémentaires, portant la proportion théorique de surfaces de bureaux à 40% de la surface totale autorisée !
De même, les superficies de commerces autorisées sont surnuméraires par rapport aux commerces existants dans la zone et aux nombreux projets de centres commerciaux en construction ou à l’étude dans la partie nord de la région bruxelloise et de sa périphérie. Ainsi, le RIE indique que selon Atrium, seuls des commerces de proximité sont pertinents et, en même temps, affirme sans le justifier que le commerce sur le site de T&T devra répondre à une demande supra-locale. à cet égard, la décision du doublement des surfaces de commerce autorisées entre la clôture du RIE et l’enquête publique pose question, dès lors que l’incidence socio-économique de cette décision n’a pas été évaluée et qu’aucune garantie n’est donnée sur le type de commerces qui seront implantés à terme…
Il est troublant de constater combien les prescriptions particulières concernant les zones A, B, C et D laissent de grandes libertés au propriétaire du site. Alors que les affectations imposées font déjà l’objet d’accommodements plus que raisonnables au sein même du tableau des surfaces autorisées, il est inopportun de permettre en plus des dérogations pour une fonction faible telle que les équipements, qui pourraient disparaître des zones A et B pour autant que ces surfaces soient compensées dans les zones C et D. Nous demandons donc la suppression de cette possibilité pour que les équipements soient répartis équitablement au sein du site. De même, la grande liberté laissée au propriétaire mériterait que les riverains puissent exprimer leur point de vue sur les demandes de permis déposées. Nous demandons donc des mesures particulières de publicités pour toutes les demandes de permis pour des projets se situant dans le périmètre du PPAS.
De plus, il convient de distinguer les activités productives du bureau pour la simple raison qu’elles ne sont pas comparables. Les surfaces consacrées aux activités productives présentent un important déficit en RBC, alors que l’offre de bureaux est surabondante.
Enfin, il convient d’indiquer le chiffre « zéro » partout où il n’y a pas de chiffres dans le tableau.
Une future gated community ?
Certains éléments du PPAS donnent à penser que le propriétaire du site a réussi à imposer aux pouvoirs publics le fait que l’ensemble du site reste sous son contrôle.
Alors que l’arrêté du gouvernement est clair sur le caractère public du parc, aucune garantie n’est donnée sur le transfert de la propriété du parc aux pouvoirs publics. à l’occasion de la réunion publique de présentation du projet de PPAS dans le cadre de l’enquête publique le 25 août 2016, le représentant du propriétaire a même déclaré qu’il pourrait prendre la décision de fermer le parc si cela s’avérait nécessaire pour des raisons de sécurité.
En refusant de céder aux pouvoirs publics la propriété des voiries (une décision tardive prise après la clôture du RIE, en parfaite contradiction avec les recommandations de celui-ci), Extensa se réserve la possibilité de régenter à sa guise l’accès au site, le privatisant de facto…
En rachetant l’hôtel des Douanes (sur lequel pesait une servitude de passage), le propriétaire du site s’est libéré de la dernière contrainte l’empêchant de faire de ce magnifique site de 45 hectares la plus grande « gated community » de Belgique !
Il faut garantir l’accès public inconditionnel du parc, de la gare Maritime et des voiries. En l’absence de l’accord du propriétaire à ce stade, la seule solution est de les exproprier pour cause d’intérêt public. La gare Maritime pourra faire l’objet d’un bail emphytéotique concédé aux divers futurs occupants.
Le rapport d’incidence est incomplet
Le RIE a fait l’objet d’un addendum en juin 2016. Cet addendum complète le RIE clôturé en avril 2015 sous le prétexte que deux permis ont été accordés à la SA Project T&T (filiale d’Extensa) concernant « la construction d’un immeuble de bureaux (48 290 m²) sur les ZIR n°6A et 6B, de logements sur la ZIR 6A, et de parkings » et « le réaménagement partiel du parc à l’arrière du site de Tour et Taxis ».
Selon l’auteur de l’étude, ces deux permis ont nécessité une nouvelle ventilation de la programmation résumée dans l’addendum au résumé non technique par le tableau suivant :
Si l’on peut comprendre l’augmentation de 10 000 m² autorisée dans la ZIR 6B, il n’est pas expliqué [1] en quoi les permis accordés nécessitent :
Les règles d’implantation ont également été modifiées :
On notera la possibilité laissée d’augmenter les gabarits dans la zone 1 de près de 66% ainsi qu’une révision généralisée à la hausse du taux d’emprise au sol.
Par ailleurs, certaines prescriptions ont également fait l’objet d’une révision, résumée ci-après :
« 1. Modification des parkings et stationnements
2. Le parking en surface est autorisé dans la ZIR 6B ;
3. Les pourcentages de logements moyens sont nuancés en logements conventionnés ;
4. Le taux de CBS passe de 0.4 à 0.3. en zones X1 et X2 ;
5. Les installations de type évènementiel sont autorisées dans le parc.
6. La rédaction de définitions, de certaines zones d’affectation et de la clause de sauvegarde est allégée ou supprimée dans un but de conformité au PRAS.
7. Quelques points manquants : parkings pour cars... élargis à ZIR 6B ; livraisons autorisées en surface ; suppression de la prescription qui mentionne la rétrocession des voiries ; »
L’évaluation des incidences de l’ensemble de ces modifications fait l’objet d’une analyse disponible dans l’addendum au RIE. Ce n’est qu’en se plongeant dans ce document que l’on comprend l’ampleur des modifications proposées, l’addendum au résumé non technique étant particulièrement succinct.
De plus, il faut constater que l’addendum au RIE se limite la plupart du temps à énoncer les différences entre le projet de PPAS arrêté en 2015 et celui soumis à l’enquête publique, évitant soigneusement d’évaluer les incidences en matière socio-économique de l’augmentation de commerces, de la diminution de logements moyens ou de la diminution des équipements. De même, l’analyse en matière d’ombres portées ou de micro-climats générés par les bâtiments élevés paraît particulièrement bâclée. Sans parler de l’impact de la hausse significative du taux d’emprise sur l’écoulement des eaux…
Notons enfin que l’autorisation d’événements organisés sur le site n’a pas été prise en compte au niveau de la mobilité dans le RIE.
Un résumé non technique (RNT) trompeur
Il est étonnant de constater que les conclusions et recommandations reprises dans le résumé non technique de l’étude d’incidence, rédigé à l’attention d’un public non averti soient si peu explicites. Les conclusions tirées à l’issue de l’analyse des phases 1 et 2 sont particulièrement laconiques et ne donnent certainement pas au lecteur le minimum d’éléments nécessaires à une bonne compréhension des choix faits. De même, les recommandations sont particulièrement lacunaires.
Ainsi, dans le domaine social et économique, aucune mention n’est faite dans les recommandations à propos du manque de mixité sociale, alors que cette question est abondamment étudiée dans le RIE et même dans le corps du texte du RNT (voir plus bas). De même, rien n’est dit sur la nécessité de contrôler le type de commerces qui s’implanteraient sur le site.
Pour ce qui concerne l’urbanisme, les recommandations du RNT omettent purement et simplement celles du RIE concernant la nécessité d’imposer 20% de logements sociaux.
En matière de mobilité, il n’y a pas une seule ligne sur les transports en commun !
Du logement, mais pas pour tous...
Le RIE préconise à de multiples reprises la nécessité de garantir la mixité sociale sur le site. A titre d’exemple, on citera le résumé non technique (p.37) :
« Les variantes de maximisation du logement permettent de rencontrer les objectifs des politiques conduites dans ce domaine. L’importance des superficies développées permet d’envisager une diversification de l’offre pour répondre à la variété de la demande et tendre vers une mixité sociale. En effet, il est important que le site ne s’inscrive pas dans une rupture trop marquée par rapport aux quartiers existants (phénomène de ghettoïsation). »
Ou encore (p.42 du RNT) :
« Il importe donc de garantir une mixité sociale sur le site pour permettre de soutenir cette attractivité tout en assurant une bonne intégration du site dans le quartier et éviter une ghettoïsation de ces nouveaux développements. La mise en œuvre de superficies importantes de logements est une opportunité de répondre à des besoins diversifiés sur le marché du logement. Il existe notamment une demande importante de logements sociaux et un manque à l’échelle régionale. Si l’arrêté du Gouvernement impose la réalisation d’un minimum de 30% de logements moyens au sein de la ZIR 6A, il convient également de veiller à la réalisation de logements sociaux sur le site, tout en prenant en compte le fait que la mise en œuvre de logements sociaux peut représenter une charge importante pour les pouvoirs publics. »
In fine, l’option retenue par le Collège de la Ville de Bruxelles prévoit une part de logements sociaux de 20% et moyens de 30%.
Le document « situation de référence à terme », également soumis à l’enquête ne dit rien de moins :
« Le RIE du PRAS démographique souligne que « globalement, le site se trouve [...] à l’intersection d’une grande zone d’habitation et d’une grande zone économique, tout en étant à proximité du centre-ville de Bruxelles », ce qui en fait un site propice au développement optimal du logement. Introduire du logement dans la ZIR 6B permet ainsi de créer « une continuité de logements par rapport au secteur statistique Ulens au sud du quartier Maritime ». D’un point de vue qualitatif, le même RIE recommande de créer en priorité du logement « soit principalement social (parce qu’il en manque sur la zone), soit une vraie mixité de logements avec des logements sociaux, mais également des logements de plus haute qualité, et ce afin d’attirer une population plus aisée ». Les trois options du PPAS Tour et Taxis s’orientent vers la seconde alternative et permettent au PPAS d’envisager la réalisation de 50% de logements privés, 30% de logements moyens et de 20% de logements sociaux. « Cette option permet de tendre vers une diversité sociale, reposant en partie sur l’attrait que devrait pouvoir exercer le nouveau quartier sur une frange aisée de la population. »
Cette recommandation n’a pas été suivie dans le projet de PPAS, sans que cette décision soit expliquée. à l’occasion de la présentation publique du projet par le bureau d’étude, les services administratifs de la Ville et un représentant de l’ex-ADT, il a été répondu que l’explication était à trouver dans les PV du comité d’accompagnement. Un examen minutieux de ceux-ci prouve qu’il n’en est rien. La question du logement social n’a pas été débattue, ni même abordée au comité d’accompagnement.
Comment expliquer un tel décalage entre les multiples recommandations du RIE et la décision finale ? Il y a là une erreur de jugement manifeste...
Pourtant, il n’y a pas d’obstacle majeur au fait d’imposer du logement social sur un terrain privé. L’art.41 du COBAT précise que le PPAS peut décider de l’affectation des charges d’urbanisme et l’arrêté de 2013 concernant les charges d’urbanisme précise bien que les charges d’urbanisme peuvent être affectées au logement encadré qui répond à la définition suivante : « le logement donné en location, acheté ou construit par ou pour un opérateur immobilier public ou une A.I.S. »
Cette définition n’exclut pas formellement le logement social...
La question du logement moyen est également interpellante. L’arrêté du Gouvernement précise qu’un « minimum de 30% de la surface affectée au logement est destinée au logement moyen dispersé sur le site ». Le projet de PPAS propose dans ses prescriptions urbanistiques un minimum de 22 000 m² de logements conventionnés et un minimum d’une surface équivalente de logements répondant aux conditions du prix du conventionné + 25%.
Cette proposition pose plusieurs questions restées sans réponses dans le RIE. L’arrêté fait référence à la notion de logement moyen sans que celui-ci soit défini outre mesure. On peut raisonnablement considérer que la notion de logement moyen visée ici correspond à celle définie dans le code du logement :
« le logement acquisitif moyen, à savoir : - le logement acheté à la Société de Développement pour la Région de Bruxelles-Capitale (ou produit par des tiers avec lesquels elle a contracté en vertu de l’article 21 de l’ordonnance du 20 mai 1999 relative à la Société de Développement de la Région de Bruxelles-Capitale) conformément aux dispositions applicables pour l’octroi de subsides pour la mission de rénovation urbaine de la région de Bruxelles-Capitale, les revenus ne pouvant pas être supérieurs à un plafond déterminé par le Gouvernement ; - le logement mis en vente par une personne de droit public, conformément aux dispositions des articles 146 et suivants du présent Code. Ces règles sont d’application lors de chaque nouvelle attribution de logement. Pour les logements repris aux 1°, 2°, 3° et 4°, le Gouvernement fixe dans un arrêté les conditions de revenus et loyers maximaux. »
Le PPAS parle de logements conventionnés, une notion définie dans l’ordonnance organique de la revitalisation urbaine du 28 janvier 2010 :
« 7° logement conventionné : le logement destiné à l’habitation de personnes, dont les critères de coût et de conditions d’accès sont déterminés par le Gouvernement. Il est acquis, pris en droit d’emphytéose ou en droit de superficie, construit ou aménagé à des fins de location ou de vente à des personnes physiques dans des conditions arrêtées par le Gouvernement ; »
Dans les deux cas, le logement proposé à un prix de 25% supérieur au prix autorisé pour le logement conventionné ne peut être considéré comme moyen.
Le PPAS s’écarte donc considérablement de l’arrêté en ne proposant qu’un maximum de 22 000 m² de logements conventionnés, soit 11,89% des 185 000 m² (min) de logements autorisés.
Il est à noter que comme la limite de 185 000 m² de logements est une limite inférieure, ce chiffre de 11,89% pourrait encore diminuer dans la réalité. En effet, le propriétaire des terrains situés dans le périmètre du PPAS pourrait prévoir plus de logements tout en respectant la limite maximale de 370 000 m². Ainsi, s’il augmente de 10% la surface de logements, portant la surface totale à 203 500 m², la part de logements conventionnés chuterait à 10,81%, bien loin des 30% préconisés dans l’arrêté, et ce malgré les multiples recommandations du RIE concernant la nécessaire mixité sociale (cf supra).
Enfin, on comprend difficilement l’implantation du bâtiment Y2, au centre du parc. Pourtant, le propriétaire du site avait déjà demandé l’autorisation de construire à cet endroit lors de sa demande de permis de 2009. Cette demande avait à l’époque été refusée, comme en atteste le permis délivré le 16/02/2010. Pourquoi ce bâtiment, refusé à l’époque, est-il accepté aujourd’hui ? Le RIE ne l’explique pas...
Le parc, trop petit et pas vraiment public !
Le PRAS prescrit pour la ZIR n°6 - Tour et Taxis :
« 6A. Cette zone est affectée aux logements, aux commerces, aux bureaux, aux activités productives, aux établissements hôteliers, aux activités logistiques et de transport, aux équipements d’intérêt collectif ou de service public et aux espaces verts.
La superficie affectée aux espaces verts publics ne peut être inférieure à 5,5 ha, en ce non-compris les espaces verts associés à la voirie. Ces espaces verts publics peuvent comporter des espaces minéralisés ».
« La superficie de plancher affectée aux logements ne peut être inférieure à 25% de la superficie totale de plancher, en ce non-compris les superficies de plancher affectées aux équipements d’intérêt collectif.
La bande de terrain d’une soixantaine de mètres de largeur intégrée dans cette zone et jouxtant la zone d’activités portuaires et de transport doit notamment être affectée :
1° à une zone de recul verdurisée en vue de permettre un bon aménagement des lieux ;
2° à la réalisation d’une voirie publique permettant une bonne accessibilité aux zones 6A et 6B ainsi qu’à la zone d’activités portuaires et de transport précitée. »
Cette prescription rentre en contradiction avec la prescription 12 du PRAS
« 12. Zones de parc
Ces zones sont essentiellement affectées à la végétation, aux plans d’eau et aux équipements de détente. Elles sont destinées à être maintenues dans leur état ou à être aménagées pour remplir leur rôle social, récréatif, pédagogique, paysager ou écologique. Seuls les travaux strictement nécessaires à l’affectation de cette zone sont autorisés.
Ces zones peuvent également être affectées aux commerces de taille généralement faible qui sont le complément usuel et l’accessoire de celles-ci, après que les actes et travaux auront été soumis aux mesures particulières de publicité.
Les zones de parcs reprises à la carte des affectations, en surimpression, relatives au Palais de Bruxelles et au Domaine de Laeken (Château de Laeken, Château du Belvédère et Château du Stuyvenberg) ont le statut de Domaine royal. Tous actes et travaux utiles ou nécessaires à l’aménagement de ces propriétés du Domaine royal, sont autorisés. »
Notamment par le fait que « Seuls les travaux strictement nécessaires à l’affectation de cette zone sont autorisés », une place publique qui surplombe un parking sous-terrain peut-elle vraiment être considérée comme faisant partie du parc attenant ?
Il y a donc de grandes incertitudes sur la superficie du parc et son adéquation avec les exigences de l’arrêté du Gouvernement. Ceci est d’autant plus vrai qu’il y a un flou sur le mesurage de la surface du parc. Les 9 hectares annoncés par le RIE sont-ils bien ceux qui correspondent au périmètre du PPAS ou contiendraient-il également les surfaces existantes au-delà du pont du Jubilé ?
Certaines implantations sont inacceptables :
Notons également que le statut du jardin collectif situé sur les buttes proches de la rue Lefèvre n’est pas abordé. Il convient de prendre toutes les dispositions pour que celui-ci soit maintenu et mis à disposition des habitants. Le propriétaire de Tour et Taxis est aussi propriétaire d’un certain nombre de parcelles dans l’îlot de diversité, tel que défini dans le PPAS. Il pourrait être tenté à terme de privatiser les buttes au profit d’un développement immobilier à venir sur cette zone.
Selon nos calculs, le parc à prédominance végétale fait 6 hectares. Il y aurait donc 3 hectares à prédominance minérale (parc Beco compris). Par ailleurs, la notion de parc à prédominance minérale est ambiguë. Dès lors que le minéral dépasse la proportion de 50%, on peut s’interroger sur l’utilisation même du vocable « parc ». Le summum étant atteint au niveau de la place publique face à l’entrepôt royal : la place est entièrement minéralisée et surplombe un parking souterrain mais sa surface est pourtant comprise dans le calcul de la surface du parc. De même, les voiries qui bordent l’Entrepôt royal coté ouest sont également comprises dans le calcul des surfaces de parc alors que l’arrêté du Gouvernement l’interdit explicitement ! L’arrêté précise par ailleurs que le parc doit être d’un seul tenant :
Le parc Beco, séparé du site par l’avenue du Port, ne peut dès lors être considéré dans le calcul de la surface de parc. Il en va de même pour les voiries qui longent l’Entrepôt royal.
Les considérations qui précèdent nous amènent à mettre en doute que la surface réelle du parc, telle que demandée dans l’arrêté du Gouvernement, soit de 91 500 m².
L’accès au parc n’est pas garanti à ce stade. Alors que l’arrêté du Gouvernement spécifie bien que le parc doit être public, il n’y a aucune garantie pour que le parc le reste à terme. Il est nécessaire de transmettre la propriété du parc aux pouvoirs publics AVANT l’approbation définitive du PPAS. à défaut, nous suggérons l’expropriation pour raison d’intérêt public.
Le patrimoine sursaturé de fonctions inconnues
Le développement de la gare Maritime doit être concourant à celui des logements situés dans la zone C. L’accès public à la gare Maritime doit être garanti de jour comme de nuit et être pensé comme une porte d’entrée du parc public.
Le programme des affectations prévu dans la gare Maritime est beaucoup trop flou. Les prescriptions autorisent à peu près n’importe quoi à part le logement. Nous suggérons que seuls les équipements publics et les activités économiques y soient autorisées, pour répondre aux besoins criants d’emplois peu qualifiés dans le quartier.
Au stade actuel, la halle aux Poissons sera privatisée et pourra être affectée à une activité Horeca, coupant le parc en deux parties et rendant le passage très difficile. La zone se situant entre la halle et la gare Maritime est reprise sur les plans comme une zone de construction remarquable, autorisant le propriétaire à la privatiser également. Il faut maintenir la halle aux Poissons telle quelle et exclure toute affectation qui la privatiserait ou favoriserait le cloisonnement du parc.
Enfin, signalons que l’obligation de préserver uniquement les toitures offrant un éclairage naturel ne nous parait pas respectueuse de la charpente et qu’il convient de préciser que la charpente doit être préservée.
Les équipements
Les modifications apportées au projet de PPAS après l’approbation du RIE portent notamment sur les équipements. La part des équipements dans le projet global est diminuée de moitié sans que cela soit motivé à part le fait qu’une salle de sport privée constitue un équipement qui est considérée comme un commerce au PRAS. Le quartier souffre pourtant d’un déficit important d’équipements et l’incidence socio-économique ainsi que sur l’être humain de cette modification n’a pas correctement été évaluée.
Il faut par ailleurs répartir l’équipement dans toutes les zones et faire en sorte que ces équipements soient principalement destinés à un usage local, comme le stipule le RIE. Ainsi, la faculté laissée au propriétaire de déroger aux minima imposés d’équipements par zone pour autant que ce déficit soit compensé ailleurs doit être supprimée.
La diminution de moitié de la part accordée aux équipements entre 2015 et 2016 est interpellante, d’autant que les prévisions concernant la demande en infrastructures scolaires en Région de Bruxelles-Capitale sont alarmantes (8 800 places manquantes d’ici 2022 [2]). Face à ce constat, l’hôtel des Douanes, ouvert sur les quartiers avoisinants, devrait être affecté en équipement d’intérêt collectif et accueillir une école supplémentaire sur le site. Par ailleurs, il n’y a, à ce stade, aucune garantie sur l’installation d’écoles dans la zone d’équipements d’intérêt collectif. Il conviendrait de garantir dès maintenant la construction des écoles nécessaires.
Les activités culturelles basées pour l’instant sur la zone du futur parc Beco sont condamnées par le PRAS. Ces activités très variées et très populaires tant pour la population locale (allée du Kaaï) que régionale (Magasin 4, Barlok), doivent être maintenues dans le périmètre du PPAS.
Mobilité
Transports en commun
La connexion du site au réseau de transports urbains n’est pas assurée. L’arrêté du Gouvernement est pourtant clair à cet égard : « le PPAS veillera à prévoir … la desserte du site en transport en commun performant doit être assuré ; l’arrière du site sera desservi par au moins une ligne de tram en site propre permettant d’assurer la desserte des nouveaux développements. »
La question des transports en commun est peu abordée dans le RIE, malgré des conclusions alarmantes, tenant pourtant compte des hypothèses les plus favorables optimistes du plan IRIS 2 en matière de transfert modal (pp.205-206) : « D’un strict point de vue de la mobilité, toutes les options présentent une situation impactante sur la mobilité du quartier au regard de la part modale de la voiture actuelle et projetée (IRIS II, enquête BELDAM 2011). C’est pourquoi, et au risque de se répéter, les changements de comportement et de mobilité des Bruxellois devront évoluer. »
Le RIE (CH3, p109/206) pointe pour l’option retenue la saturation des accès de l’avenue du Port et de la rue Picard, de la rue Lefèvre et juge l’option retenue comme la plus dysfonctionnelle du point de vue de la circulation.
Enfin, le RIE conclut : « L’ensemble de la demande de déplacements est au-delà de ce que peuvent supporter les voiries. C’est pourquoi le levier stationnement, transports en commun et desserte des modes actifs est essentiel »
Face à ce constat alarmant, les déclarations du Ministre de la mobilité Pascal Smet au parlement (commission infrastructure du 30/11/2015) ne le sont pas moins : « Je n’ai pas l’impression que cela empêche qui que ce soit de dormir que le tram ne passe pas par Tour & Taxis. »
Dans sa réponse à une question parlementaire, le Ministre cite pourtant les conclusions d’une étude commandée par la Région et la STIB et qui préconise la création d’une ligne de tram desservant le site. Cette étude a également été citée en réunion publique le 25 août dernier par le représentant de l’ADT au comité d’accompagnement du RIE, comme préconisant la nécessité d’une ligne de tram dès que le site sera développé à 50%. à la demande d’IEB de pouvoir disposer de cette étude, la Ville de Bruxelles a regretté de ne pouvoir nous la transmettre dès lors qu’elle n’avait pas connaissance de l’existence d’un document finalisé. Une affirmation qui semble confirmée par le Ministre lorsqu’il déclare, à l’occasion de la même séance de la commission infrastructure, que le Gouvernement n’a pas validé l’étude et qu’elle reste un document interne… Et d’affirmer que pour des raisons budgétaires et la conviction qu’une meilleure desserte du site avec des bus aiderait à résoudre de nombreux problèmes de capacité, telle était la voie choisie par le Gouvernement pour les dix prochaines années !
Sachant que la création d’une ligne de tram prend rarement moins de 10 ans pour être effective, le Gouvernement doit s’engager dès aujourd’hui pour que la ligne de tram promise soit opérationnelle dès que 50% du site sera urbanisé. à défaut, et sous peine de ne pas se conformer aux directives européennes ad hoc, les permis demandés devront être bloqués !
Les accès et passages piétons / cyclistes
Le cheminement piéton et cycliste dans le parc est entravé à hauteur de la banane à cause du rétrécissement du parc. Il conviendrait de garder une largeur de 120 m dans la ZIR 6A, tel que proposé dans le schéma directeur.
L’accès au square du Laekenveld mérite une attention particulière : pas d’escalier monumental ! Les habitants demandent un chemin en pente avec lacets, accessible aux PMR, vélos, poussettes…
Il convient de restaurer l’accès au parc par le coin de la rue Picard et de la rue de l’Escaut, comme demandé dans l’arrêté. Cette liaison permet un accès aux modes doux protégé de la circulation automobile.
Parkings et voiries
Rappelons une recommandation du RIE : « La limitation du stationnement est un levier nécessaire à la mobilité durable. C’est pourquoi la création d’une offre supplémentaire de stationnements dans le périmètre du PPAS, mais hors ZIR ne semble pas soutenable du point de vue environnemental. »
Le schéma directeur préconisait un maximum de 2 600 places de parking. L’étude de mobilité pointe à maintes reprises l’impossibilité d’éviter la saturation des voiries avec 3 500 places de parking. Nous demandons une réduction des places autorisées à 2 600 places. A défaut, il convient de prévoir une reconversion progressive des parkings devenus surnuméraires à la suite de l’augmentation de l’offre en transports publics. Pour les logements, vu les contraintes de mobilité, il convient de limiter le nombre de parkings à 0,7, voire 0,5 si nécessaire par logement.
Les parkings doivent par ailleurs se situer sous les bâtiments, comme stipulé dans l’arrêté du Gouvernement. Cette disposition permet de maximaliser les zones de pleine terre.
De même, les parkings en voiries autorisés in extremis (après la clôture du RIE) n’ont pas fait l’objet d’une évaluation suffisante des incidences. Il convient de les interdire à nouveau et d’imposer les zones de livraison directement dans les bâtiments.
Il conviendra de demander à la Commune de Molenbeek d’être très stricte dans sa politique de stationnement pour que les futurs habitants de T&T ne puissent pas stationner dans le quartier.
La propriété des voiries publiques doit être cédée aux pouvoirs publics. Cette exigence a disparu entre la version 2015 et la version 2016 du PPAS.
En conclusion
Ce projet de PPAS fait la part belle aux intérêts d’Extensa qui sont particulièrement éloignés de l’intérêt général : densité maximale, parc dont la superficie est en-deçà des promesses faites, absence de logements sociaux, non-respect des obligations en matière de logements conventionnés, absence de garanties sur l’accès public en tout temps et à toute heure du parc, etc.
C’est que les pouvoirs publics semblent bien faibles face à Extensa. Le Ministre-Président de la Région de Bruxelles-Capitale l’a récemment confirmé publiquement au Parlement le 16 novembre dernier, parlant du site de Tour et Taxis :
« Pour en revenir à notre interaction avec le secteur privé dans ce dossier, concernant les seuils de rentabilité et les investissements, je n’ai aucune crainte vis-à-vis du projet qu’il développe. Mais, ayant connu la situation précédente avec d’autres interlocuteurs, je sais que ces gens sont tout à fait capables de faire dormir du foncier pendant des années. Ici, on discute avec des groupes qui figurent dans le top belge des portefeuilles fonciers. Il ne faut pas sous-estimer cette dimension au cours de la négociation. »
Une déclaration inquiétante quand on connaît les besoins de la région. Face au cynisme d’Extensa, il aurait mieux valu faire planer la menace d’une expropriation pour cause d’intérêt public dès 2009 et l’adoption du schéma directeur, avant même d’octroyer le moindre permis pour de nouvelles constructions, nous n’en serions probablement pas là…
[1] à part le fait qu’une salle de sport privée pourrait être considérée comme un commerce plutôt qu’un équipement.