Un projet de plan de prévention et de lutte contre le bruit et les vibrations en milieu urbain a fait l’objet d’une enquête publique fin d’année 2018, le gouvernement espère l’adopter début 2019. Ce troisième plan régional bruit, qui répond également à l’appellation plan « Quiet.Brussels » met la focale sur la nuisance provenant du trafic routier ainsi que sur la création de zones de confort. Mais comment et pour qui l’amélioration de l’environnement sonore bruxellois est-il envisagé ?
Il est reconnu par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) que le bruit compte parmi les principaux risques environnementaux pour la santé et que les effets néfastes qui en découlent en font une question de santé publique majeure [1]. Les nuisances sonores peuvent provoquer des troubles du sommeil, des risques de maladies cardiovasculaires et d’hypertension artérielle, voire même entraîner une mortalité prématurée toujours selon l’OMS.
Depuis 2008, les États membres de l’Union européenne sont tenus d’établir des plans d’action visant à gérer les problèmes de bruit et plus particulièrement à réduire le bruit dans les agglomérations tel que l’a imposé la directive européenne 2002/49/CE. Au vu du cadre réglementaire et de l’ensemble des nuisances subies par les habitants de Bruxelles, la Région bruxelloise a adopté un premier plan régional de lutte contre le bruit en 2000 et un second en 2008 resté d’application jusqu’à ce jour. Récemment, un projet de troisième plan régional bruit a été soumis à l’enquête publique entre octobre et décembre 2018.
Ce projet de plan régional de prévention et de lutte contre le bruit et les vibrations en milieu urbain aborde la problématique des nuisances sonores en privilégiant la source des transports (routier, ferrés et aérien). Or, nous sommes frappés de constater que nombre de plaintes adressées à Bruxelles Environnement ou déclarées par les riverains dans d’autres cadres expriment une gêne vis-à-vis d’autres sources également très importantes à Bruxelles : tels que les petits et grands événements employant la diffusion de son amplifié, les équipements sportifs donnant lieu à des rassemblements en plein air fréquents, les bruits de voisinage dus à la densité de l’habitat, la promiscuité mais également la coexistence de fonctions parfois peu compatibles (activités industrielles et habitat par exemple). Nous pouvons également pointer les pics de bruit engendrés par les sirènes des véhicules prioritaires (police, ambulance ou pompier) ainsi que les motos.
« Les points noirs correspondent à des zones habitées ou occupées où il y a une concentration de sources de bruit et/ou un nombre élevé de plaintes liées au bruit. La situation sonore y est perçue comme gênante. Plusieurs principes sont reconnus »
[2].
Les cartes du bruit dans le projet de plan se trouvent être lacunaires au niveau de ces « points noirs ». De fait, si le trafic des transports y est bien repris, d’autres sources de bruit tels que les entreprises de loisirs et fêtes en plein air diffusant de la musique amplifiée de façon récurrente, les chantiers, ainsi que les itinéraires des véhicules prioritaires devraient pouvoir y être intégrés selon une procédure moins complexe. En effet, le rapport d’incidences environnementales du plan renseigne que seules 18 plaintes citoyennes ont été déposées par le biais du cadre réglementaire prévu pour ajouter un point noir à l’inventaire. La mesure 7 du plan prévoit de revoir ce cadre réglementaire relatif aux plaintes collectives. Dans ce cadre, les sources de nuisances pré-citées devraient faire l’objet d’une attention particulière, d’autant que Bruxelles Environnement relate que les établissements d’HoReCa constitue la deuxième source de nuisance sonore amenant les riverains à soumettre des plaintes individuelles auprès de l’administration. L’HoReCa représente 27% [3] des plaintes liées au bruit de voisinage et au bruit des installations classées [4] juste derrière le logement. Il semble donc opportun de réfléchir à l’évolution de l’identification des point noirs ou à intégrer ces informations dans la cartographie des zones de confort et d’inconfort.
Notons que, la carte multi-exposition qui fait état des nuisances sonores issues des transports se base sur une moyenne et ne permet pas d’identifier les zones où il y a des pics de bruit. Pourtant, l’impact du bruit sur la qualité de vie ne peut être réduite à une moyenne qui a tendance à lisser certaines situations. Il serait pertinent que la cartographie de l’exposition au bruit puisse prendre en compte d’autres éléments ponctuels mais réguliers dans certaines zones.
Aussi, la plainte est une procédure qui atteint ses limites en termes d’objectivation des nuisances dès lors qu’elle n’est utilisée que par une partie outillée de la population. L’exemple des nuisances sonores liées au survol aérien de Bruxelles est parlant. Alors que la zone du canal, densément peuplée, a connu une forte augmentation du bruit lors du plan de dispersion des vols de 2014, les plaintes enregistrées à ce sujet provenaient principalement d’autres quartiers du sud-est de Bruxelles.
Nous pourrions nous attarder sur d’autres réalités que les points noirs et les cartographies actuelles du plan ne permettent pas de mettre en lumière. Le logement est la principale source de plaintes relatives aux nuisances sonores en RBC, il représente 36% des plaintes traitées par Bruxelles Environnement en 2017 [5]. On peut aisément supposer que le confinement dans des logements où les occupants sont en surnombre par rapport à leur capacité engendre des situations de proximité intense qui exposent ses occupants à des nuisances domestiques importantes et qui leur sont nuisibles.
Si une partie des mesures du plan entend améliorer la qualité acoustique des bâtiments, la source du problème de la suroccupation des logements reste prégnante. La crise du logement se creuse avec plus de 40 000 personnes en attente d’un logement social adapté à leurs besoins. En s’attachant d’abord à l’amélioration acoustique des bâtiments, les mesures prévues ne répondent que très partiellement à la problématique.
De manière particulièrement pertinente, le rapport des incidences environnementales du plan soulève, à plusieurs reprises, le risque de gentrification car l’amélioration du cadre de vie par la réduction d’une nuisance comme le bruit a pour conséquence une revalorisation des quartiers et participe à leur attractivité résidentielle. On peut pointer les constats suivants du rapport d’incidences environnementales du plan bruit :
« L’amélioration du confort sonore risque d’augmenter le prix de l’immobilier et d’écarter les populations plus vulnérables vers des zones plus soumises à une forte exposition sonore (phénomène de gentrification) » [6].
« La diminution notable du bruit et l’amélioration du confort et de la qualité de vie dans les quartiers risquent d’entraîner une augmentation du prix de l’immobilier, pouvant entraîner un phénomène de gentrification » [7].
Le PRDD, adopté en juillet 2018, prévoit la protection, l’amélioration et la création de zones de confort [8] et le projet de plan bruit propose des mesures en ce sens. Deux volets sont identifiés : les quartiers où vivre au calme et les quartiers où trouver du calme au niveau des espaces publics. Ici encore, le risque de gentrification est soulevé.
« L’amélioration des conditions de vie aux abords des zones de confort risque d’augmenter le prix de l’immobilier et d’écarter les populations plus vulnérables vers des zones plus soumises à une forte exposition sonore » [9].
Si des zones de confort existent déjà et que le plan appelle à les préserver, il identifie également deux autres types de zones. Il y a les zones de carence où créer des zones de confort et des zones de confort à améliorer.
Premièrement, l’approche multicritères employée pour l’identification des zones dites de confort et d’inconfort est interpellante [10]. La méthodologie choisie afin de déterminer les zones de carences, les zones de confort à conserver et les zones de confort à améliorer repose sur deux approches. D’une part, l’objectivation de la répartition du bruit sur le territoire par le critère de niveau de bruit moyen (égal ou inférieur à Lden 55dB(A)). D’autre part, la cartographie a été affinée par le biais d’une enquête de perception dans dix quartiers de Bruxelles avec un échantillon total de 600 Bruxellois participant à l’enquête de terrain. La stratégie choisie concernant les zones de confort et d’inconfort repose donc pour partie sur une approche subjective peu représentative de la population puisque l’échantillon est très réduit.
De même, il est étonnant que le survol aérien de Bruxelles ne soit pas pris en compte dans les critères d’identification des zones d’inconfort, alors que le plan de dispersion des vols de 2014 a provoqué de nombreuses réactions des riverains. Il est à ce titre surprenant que certains quartiers pourtant soumis, soit fréquemment à des nuisances sonores importantes, soit à des pics de bruit, ne fassent pas l’objet d’une attention particulière pour établir cette stratégie.
Sur base de la cartographie des zones de confort, des zones de carence sont mises en évidence « où il n’est pas possible d’avoir accès à pied à une zone de confort ou à une zone de confort potentielle d’accès public, voire de vivre au calme, (ces zones) constituent des zones d’enjeux » [11]. Le plan détermine 25 zones d’enjeux, divisées en trois niveaux de priorité. C’est principalement le critère de densité qui a ensuite conduit à désigner six zones prioritaires où créer des zones de confort. Les critères permettant l’identification des zones de confort à créer ou à améliorer et l’ordre de priorité opté nous semblent insuffisants.
Tendanciellement, on peut observer qu’au sein des zones de confort à créer, les zones prioritaires de niveau 1 et partiellement de niveau 2 (Molenbeek-bas et Pentagone Ouest) se situent au sein de la Zone de Rénovation Urbaine (ex-EDRLR) et une partie significative des pôles de développement prioritaires (cf. Carte 2 et 4 du PRDD adopté en 2018). On peut se questionner sur le choix de créer prioritairement des zones de confort là où différents leviers de revitalisation urbaine sont déjà déployés, en vue de revaloriser ces territoires (CRU et CQD) dans un contexte de risque de gentrification. En effet, il existe d’autres zones de carence sur le territoire qui auraient pu être sélectionnées si d’autres critères avaient été préférés.
Nous craignons que la stratégie adoptée dans la création de zones de confort acoustique par le plan bruit, au nom de la qualité de vie, contribue à renforcer les processus de gentrification déjà en œuvre à Bruxelles.
Ces zones seront, par les mesures du plan bruit, rendues plus attractives résidentiellement et culturellement. Il s’avère donc qu’en voulant s’attaquer aux zones d’inconfort, la priorité est donnée aux quartiers étant déjà sujet à de nombreuses interventions gentrificatrices, d’autant plus que la création de la Zone de Rénovation Urbaine (ZRU) en 2016 accuse un tournant des leviers utilisés vers l’amélioration des espaces publics et axes structurants dont les risques accrus de gentrification ont été soulevé en son temps.
De plus, en parallèle des mesures visant la création de zones de confort, l’autre levier principal pour offrir un environnement sonore de meilleure qualité à tous est justement d’utiliser des outils tels que les CRU (Contrat de Rénovation Urbaine), les PAD (Projet d’Aménagement Directeur) ou les Quartiers Durables.
Le plan bruit vient donc tendanciellement à l’appui ou en complément de la politique de revitalisation urbaine menée dans les nouveaux quartiers (pôles de développement prioritaires), ou dans la ZRU et risque, par conséquent, d’accentuer le phénomène de gentrification. La stratégie adoptée ne permet pas de rencontrer l’objectif d’une mise en place d’un maillage équilibré et équitable tel qu’avancé à ce stade.
Il serait opportun de freiner le risque de gentrification par une politique drastique d’encadrement des loyers et de création de nouveaux logements sociaux, notamment, en affectant prioritairement les charges d’urbanisme à la réalisation, la transformation ou la rénovation de logements sociaux.
La fin de l’enquête publique du projet de plan régional bruit s’est clôturée en décembre 2018 et sera suivie par une audience publique en janvier 2019 et une déclaration environnementale qui synthétisera l’ensemble des remarques introduites durant les procédures de participation et les réponses données. Il est à espérer que les mesures soient revues en regard des risques soulevés par le rapport d’incidences ou par les riverains et associations. Il convient donc d’améliorer la situation des nuisances sonores à Bruxelles en privilégiant des interventions équilibrées sur l’ensemble du territoire.
[1] OMS, Lignes directrices relatives au bruit dans l’environnement dans la Région européenne – Résumé d’orientation, 2018.
[2] Fiches documentées de soutien à quiet.brussels de Bruxelles Environnement, Effet acoustique du réaménagement des points noirs, n°12, page 1.
[3] Fiches documentées de soutien à quiet.brussels de Bruxelles Environnement, Fiche 42 : traitement et analyse du bruit de voisinage et du bruit des installations classées, p.4, août 2018.
[4] Les activités, équipements ou produits qui peuvent avoir un impact sur l’environnement et le voisinage sont repris sur une liste et sont appelés, de façon générique, « installations classées ».
[5] Bilan du Plan de prévention et de lutte contre le bruit et les vibrations en milieu urbain en RBC (2009-2017), Juillet 2017, page 32.
[6] Rapport sur les incidences environnementales du projet de plan quiet.brussels, fiche 6 : Planification du territoire et paysage sonore, page 69.
[7] Rapport sur les incidences environnementales du projet de plan quiet.brussels, fiche 16 : Vie publique, page 88.
[8] Dans le projet de plan régional bruit une zone de confort acoustique est définie comme une zone dont le niveau de bruit est inférieur à 55 dB(A) sur au moins 50% de la superficie de chaque zone.
[9] Rapport sur les incidences environnementales du projet de plan quiet.brussels, fiche 7 : zones de confort, page 70.
[10] Fiches documentées de soutien à quiet.brussels de Bruxelles Environnement, Zones calmes et zones de confort acoustique en RBC, n°54, avril 2018.
[11] Ibidem, page 9.