Inter-Environnement Bruxelles
© IEB - 2021

Nous aussi on sait spéculer !

Pour ce numéro de Bruxelles en mouvements, nous avons ouvert nos pages aux étudiant·es du Master en « narration spéculative » de l’École de recherche graphique. À travers sept propositions mêlant les disciplines artistiques, c’est un futur désirable pour certains quartiers bruxellois, aujourd’hui en proie à d’importantes transformations immobilières, qui est imaginé…

Bruxelles en mouvements ne prend pas de vacances. Ceci dit, depuis quelques années, les numéros d’été sont devenus l’occasion d’une respiration, d’un pas de côté aux gros dossiers bruxellois que nous traitons le reste de l’année. Après avoir passé plusieurs étés à domicile à regarder Bruxelles sous un angle ludique, poétique ou musical suivi de quelques voyages du côté des luttes urbaines internationales, IEB a, cette année, contacté les étudiant·es du Master en narration spéculative de l’ERG (l’École de Recherche Graphique) pour imaginer un voyage dans le temps.

Initialement pensée comme un regard dystopique sur Bruxelles, cette commande a rapidement été détournée par les principes de la narration spéculative. Specula, en latin, c’est le « lieu d’observation » qui situe celui qui observe, espionne ou guette. La spéculation est aux prises avec des problèmes réels, elle se veut située par la réalité de nos expériences du monde. Il ne s’agit pas d’utopie (cette dernière n’étant pas ancrée dans la réalité d’un lieu), mais de fabrication de possibles là où ils manquent. Spéculer en narration, c’est avant tout tenter de faire advenir dans les récits des situations que nous voudrions voir devenir réelles. Dès lors, plutôt que de penser une énième catastrophe urbaine et architecturale, l’envie de cet atelier de l’ERG était plutôt de proposer des histoires qui mettraient en scène une Bruxelles et un futur désirables.

Pour une partie des étudiant·es, fraîchement arrivé·es à Bruxelles, ce fut une autre façon de découvrir notre ville, loin des cartes postales…

Mais il est devenu difficile pour beaucoup d’entre nous de planifier notre propre existence audelà de deux semaines. Alors, quand on tente de penser le futur de Bruxelles, et un futur désirable qui plus est, on reste sans voix. Nous savons qu’il ne faut pas laisser le futur à ceux qui veulent s’en occuper pour nous, c’est juste que le fracas du monde et la brutalité des événements ne nous ont pas épargnés ces dernières années.

C’est pourtant à partir des plus petites échelles, celle d’une rue ou d’un quartier, que nous pouvons faire ce constat : une Bruxelles désirable existe déjà. IEB et les étudiant·es ont donc arpenté les quartiers traversés par le canal situé entre le Bassin Vergote et la Porte de Ninove ainsi que le quartier de la Gare du Midi, de l’Avenue de Stalingrad et de Cureghem. L’occasion d’aborder les enjeux et les tensions de ces espaces (chantier du métro 3, disparition des activités productives et industrielles, pression sur le logement abordable, le rôle du canal dans les politiques d’attractivité territoriale…). Pour une partie des étudiant·es, fraîchement arrivé·es à Bruxelles, ce fut une autre façon de découvrir notre ville, loin des cartes postales…

À partir de là, des groupes d’étudiant·es issu·es de disciplines artistiques variées se sont regroupé·es autour d’un lieu, d’une question, explorant les rues, prenant contact avec des habitant·es, des associations, des comités de quartiers. Avec et auprès d’elleux, iels ont mis en place des ateliers collectifs destinés à alimenter les pages de ce numéro spécial.

Au fil des 20 pages de ce journal, vous trouverez textes, photos, illustrations, bande dessinée et quelques contenus débordant des pages, vous invitant à vous rendre en ligne. Le tout forme une déambulation dans cette Bruxelles désirable, l’occasion d’observer la vie cachée du canal, d’arpenter les tunnels et couloirs d’un Palais du Midi sauvé de la destruction et réinvesti par les habitant·es de son quartier, d’admirer les maisons et écoles rêvées par des écolier·es d’Anderlecht, d’être plongé·es au cœur d’une assemblée de démocratie urbaine sur le site du Cheval noir à Molenbeek, de rouler dans la Halle Libelco du quartier Heyvaert désormais réappropriée par les habitant·es et de faire un dernier tour de piste à Tour et Taxis avant de faire halte pour un moment de détente bien mérité avec une page de jeux.

Si ce numéro unique vous plaît, n’hésitez pas à prolonger la balade avec la collaboration menée entre IEB, Labofii et le collectif Désorceler la Finance, qui a donné naissance en août 2024 à une balade (anti-)spéculative le long du canal destinée à se désenvoûter des fictions catastrophistes de la ville du futur et qui est relatée dans le numéro 3 de la revue Feral [1]. N’hésitez pas non plus à participer aux moments (rencontres, ateliers, expositions, conférences...) proposés par l’Ecole de Recherche Graphique tout au long de l’année : ils sont souvent ouverts au public.

Et si l’été touche à sa fin, nous entendons bien poursuivre tout le reste de l’année les luttes pour un futur, proche ou lointain, que nous souhaitons collectif, solidaire, social et environnemental.


[1https://cifas.be/fr/cifasotheque/publications/ feral/revue-feral-ndeg3.html