Inter-Environnement Bruxelles
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Notes ornithologiques bruxelloises

Si les ornithologues déplorent la disparition de nombreux oiseaux marcheurs Struthioniformes, comme le fameux Aepyornis de Madagascar – espèce qui pouvait atteindre jusqu’à 450 kg et qui ne disparut que vers 1600 de notre ère – ils documentent cependant peu les invasions récentes d’espèces géantes sur notre territoire, sans doute en raison d’une classification encore sujette à polémique.

© Axel Claes - 2021
« Je vais te manger toute grue. » - Un bourgmestre bruxellois contemplant le quartier nord.

Las, si la mention des observations d’autruches ou de casoars échappés du Parc Paradisio peut sembler plus facile aux jeunes amateurs, il importe de sensibiliser ces derniers sur l’importance de l’ensemble des taxons qui composent cet ordre regroupant les oiseaux incapables de voler.

Les observations de ratites géants se révèlent en effet de plus en plus fréquentes dans la capitale de notre petit royaume. Depuis 1960, ces dernières se sont multipliées jusqu’au cœur de la ville. Le silence de l’atlas des oiseaux nicheurs de Bruxelles [1] à ce sujet est d’ailleurs déplorable, et d’autant plus incompréhensible que les mentions sont quotidiennes depuis des décennies. La Grue des sables [2] (Nephilim arenensis L.), aussi communément appelée Grue du mortier, a en effet colonisé l’ensemble des communes Bruxelloises. Aisément reconnaissable à son port décharné, à la quasi absence de plumage et de rémiges, et surtout à sa taille gigantesque (plusieurs dizaines de mètres de haut) ce volatile, que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier d’ores et déjà de nuisible, agace par sa présence incongrue et son cri proche du grincement métallique strident.

Le silence de l’atlas des oiseaux nicheurs de Bruxelles à ce sujet est déplorable.

Ce n’est pas le lieu de nous étendre ici sur l’ensemble des points d’observation, par ailleurs déjà publiés [3] . Mais cette tribune, et l’exemple offert par la récente nidification près de la gare du Midi, nous offre l’occasion d’interpeller les différentes échelons de pouvoir [4] sur ce phénomène qui n’a pas attendu pour devenir objet de débats houleux.

Les grues de chantiers apparaissent généralement nuitamment. Ce comportement nyctalope explique en partie pourquoi les riverains sont souvent surpris par leur arrivée soudaine. Certains scientifiques (William & Lawson’s, 2000) ont avancé qu’il s’agirait de phénomènes migratoires localisés. Mais ces affirmations ont été réfutées par le sens commun, qui montre que la Grue s’installe partout, en tous temps et en tous lieux [5]. Près de Tour & Taxis, leur installation récente se fit en plusieurs étapes, ce qui suggère sans doute un effet agrégatif, confirmé par l’utilisation finale du site en dortoir par plusieurs individus.

Si l’installation de la Grue est nocturne, son activité est essentiellement diurne. Celle-ci consiste essentiellement à édifier de vastes, gigantesques et imbuvables ensembles de briques, que ce ratite assemble à partir de matériaux divers et de régurgitations de mortier picoré à même les bétonneuses, en un assaut permanent et babellien des cieux. Ce labeur instinctif, présenté comme bienfaisant par les « Amis des Grues » [6], provoque pourtant pour la plèbe de nombreux désagréments, au nombre desquels les agressions auditives n’atteignent pas à la cheville ceux des expulsions forcées. Petites fourmis écrasées par le caractère inhumain de cette industrie, les habitants tentent parfois de se mobiliser. L’activité des comités de quartier entrave hélas rarement l’inexorable progression des titans. Et c’est une pitié de voir sous leurs becs acérés lentement se transformer de joyeux quartiers populaires qualifiés d’insalubres [7] en zones hôtelières, en espaces de bureaux et autres ensembles commerciaux, dont la principale caractéristique est de ne plus permettre à un seul des habitants initiaux d’y résider [8]

La longévité des Grues est souvent étonnante. De nombreux hommes politiques annoncent leur départ dès les premiers signes de nidification, aux fins subtiles de rassurer la populace effrayée par les nombreuses à venir. Mais il s’avère que nos édiles comptent en général mieux le nombre de leurs mandats rémunérateurs que les années de délais impartis. Les Grues continuent ainsi leur longue occupation de nos quartiers et de nos esprits, jusqu’au moment où, expression suprême de notre aliénation intégrée puis revendiquée, nous regrettions leur silhouette élancée, leurs squelettes et leur soudain départ vers d’autres sites à couvrir de leur fientes grises.

Dr. Lichic, pataphysicien - Observatoire Bruxellois du Clinamen


[2Nous emploierons ce terme vernaculaire par défaut, dans la mesure où ce ratite n’est absolument pas apparenté au genre Balearica qui regroupe notamment la Grue couronnée.

[3M. Bhétonnez (2004), « Distribution de la Grue de chantier (Nephilim arenensis L.) à Bruxelles. » In Aves, Série 3, n 2, pp 46-49.

[4Au contraire de l’échelle de Richter, qui enregistre l’ampleur des séismes, l’échelle de pouvoir ne mesure rien, et certainement pas la compétence. Elle se gravit, au sein de partis et de sociétés, et occupe de nombreux humains toute leur vie dans une puérilité proche de celle observée dans les bacs à sables en pré-gardienne.

[5Avec toutefois un tropisme certain pour tous les endroits fréquentés par les touristes, les investisseurs et les banquiers, espèces également nuisibles.

[6Association regroupant nombres d’acteurs notoirement philanthropiques comme des clubs d’investisseurs, des bureaux d’architectes et quelques épais philistins des pouvoirs publics.

[7Notamment par nombre de personnes qui n’y vivent pas...

[8Ces zones sont par contre immédiatement éligibles au « Concours international de la Déshumanisation » récompensant les œuvres, selon les termes du règlement, les plus à même de restituer la bêtise humaine dans ses aspects les plus désincarnés (Règlement disponible chez Becxia Bank).