Le secteur du logement s’est vu imposer ces dernières décennies des normes toujours plus contraignantes. Établies pour assurer le bien être et la sécurité des habitants, elles participent paradoxalement dans bien des cas à l’exclusion des ménages les plus fragilisés.
Depuis toujours, les conditions de logement d’une part importante des ménages les plus pauvres ont été dramatiques. Aujourd’hui encore : exiguïté des habitations, sur-occupation, humidité, isolation, luminosité, hygiène, sécurité. Les problèmes rencontrés sont innombrables. En l’absence d’une offre suffisante de logements publics locatifs accessibles, le manque de ressources financières empêche bien souvent les personnes confrontées à ces situations de trouver mieux ailleurs et les exposent à la loi de certains propriétaires peu scrupuleux, voire à celle des marchands de sommeil.
Dans pareil contexte, l’adoption de normes d’habitabilité et d’occupation des logements ainsi que la mise sur pied d’organes de contrôle sont évidemment une bonne chose et doivent permettre en théorie d’éviter les dérives auxquelles nous sommes trop souvent confrontés.
Mais en pratique, force est de constater que les pouvoirs publics ont peu de marges de manœuvre face aux propriétaires. Droit de gestion publique, expropriation, taxes sur les immeubles vides, autant d’outils qui ne sont quasiment jamais mis en oeuvre. D’une part, les moyens disponibles pour organiser des contrôles efficaces sur le terrain paraissent trop faibles, mais surtout, les pouvoirs publics disposent de trop peu d’alternatives à offrir aux ménages qui sont victimes du mal-logement.
L’offre, toujours le même problème
Que le propriétaire soit un privé ou un pouvoir public, le problème reste toujours le même. Que faire des personnes qui occupent un logement insalubre lorsqu’on n’a pas de solution pour les reloger dans un logement abordable et aux normes ? Il existe bien sûr des aides au déménagement, mais les montants de ces interventions sont fort limités au vu des prix pratiqués sur le marché locatif bruxellois (voir article page 12). Au niveau du logement social, le manque de possibilités est si criant que les « opérations tiroir » [1] prennent des années à être réalisées, laissant parfois certains locataires dans des logements à la limite de la salubrité faute d’entretien (voir dans ce numéro l’article : « Eh bien venez une fois chez chez moi, venez voir en hiver… »).
Cette situation a pour conséquence que l’arsenal juridique mis en place pour combattre le mal logement n’est pas opérationnel. Il touche finalement très peu aux situations les plus problématiques alors qu’il a paradoxalement un impact relativement important sur tous les autres logements qui, pour respecter les normes établies, doivent faire face à des critères parfois beaucoup trop exigeants.
C’est quoi un bon logement ?
L’établissement de normes et de règles revêt toujours un caractère subjectif. Les textes de loi qui encadrent les dispositifs autour du Droit au Logement à Bruxelles n’échappent pas à cette règle (voir encadré). La démarche qui consiste à vouloir objectiver les choses en fixant un cadre sur base d’éléments mesurables peut être trompeuse. L’habitabilité réelle d’un logement ne dépend pas que de l’équipement, de l’isolation ou de la taille des pièces, mais est aussi fonction de la manière de l’occuper et d’y vivre. Le cadre légal actuel a multiplié les exigences techniques, mais sans prise en considération de la diversité des besoins des ménages bruxellois. Or, on ne vit pas tous de la même manière [2].
Cette question est d’autant plus importante que la mise aux normes du bâti bruxellois a évidemment un coût et que ce coût est systématiquement reporté sur les loyers des logements rénovés et ce tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Dans l’établissement des normes, la question des besoins réels des locataires est donc cruciale, tout autant que celle de la prise en compte de l’éclectisme du bâti bruxellois.
Gare aux effets pervers Mais même au-delà de ces considérations, c’est en réalité la question même de la rénovation qui pose un dilemme. Faut-il tolérer le mal-logement et l’existence d’un parc immobilier en mauvais état et consommateur d’énergie, ou faut-il pousser à la rénovation et à la mise aux normes mais au détriment des plus pauvres qui se retrouvent de plus en plus exclus de la ville ? On le voit, la lutte contre les logements insalubres ou inadaptés ne peut faire l’impasse sur ces questions. L’imposition de normes est une approche par la technique qui ne fonctionne que si une réelle alternative est offerte aux personnes, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit. L’objectif fixé est bien de protéger les habitants et de leur permettre d’accéder à de meilleures conditions de vie. Dans ce sens, si la lutte contre les logements insalubres conduit uniquement à la fermeture de ceux-ci ou à la hausse des prix des loyers, on ne résout aucun problème. La réalité est aussi simple que ça : c’est le manque de logements décents et accessibles qui génère les dérives et c’est ce même manque qui décourage les autorités de combattre davantage la situation.
Thierry Kuyken
Pour y voir plus clair
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[1] Opération qui consiste à vider un immeuble de ses locataires en vue d’une rénovation en profondeur. Les locataires sont replacés, un par un par, dans d’autres logements sociaux adaptés à leur situation.
[2] Nos habitudes familiales, culturelles, notre âge, nos préférences… sont autant d’éléments qui vont effectivement influencer notre manière de vivre.