Initié par le Plan de développement international en 2007, c’est en 2009 que Freddy Thielemans, alors bourgmestre de la Ville de Bruxelles, lance officiellement le développement « NEO », confié à une société anonyme dénommée Excs, sur le plateau du Heysel. 15 ans plus tard, le projet n’est toujours pas sorti de terre et les critiques à son encontre s’amoncellent.
Héritage du glorieux passé de l’urbanisme fonctionnaliste d’après guerre, le site du Heysel s’insère dans la longue chronologie des Expositions bruxelloises. C’est l’Expo phare de 1958 qui lui donnera sa tonalité actuelle comme territoire à caractère exclusivement événementiel. Pensé à l’époque comme un monde idéal, paré de toutes les vertus du progrès, entièrement piétonnier, le site était largement accessible par automobile et ceinturé d’immenses parkings à ciel ouvert.
En 2007, les 68 ha du Plateau du Heysel deviennent la pierre angulaire du Plan de Développement international de Bruxelles (PDI) [1] destiné à doper l’attractivité de la Ville-Région. Le Plan projette sur le site, propriété de la Ville de Bruxelles, un centre commercial de 100 000 m² (réduit par la suite à 70 000 m²), un centre de congrès de 5 000 places, un nouveau stade de football et une salle de spectacle de 15 000 places.
Un programme ambitieux, transformant ce site public en terrain de jeux pour les investisseurs, conçut comme si le terrain était en friche et ne rassemblait pas d’activité. Or à l’époque, on recense sur le plateau les Palais des Expositions, le stade Roi Baudouin, l’Atomium, des concessions telles que le complexe de cinéma Kinepolis, les parcs d’attractions Mini-Europe et Océade, Bruparck, mais aussi le Trade-Mart (héritage de feu Vanden Boeynants qui a octroyé au propriétaire une concession courant jusqu’en 2060 !), une crèche ainsi que de nombreux terrains de sport.
Le développement de ce qui sera bientôt baptisé « NEO » est confié en 2009 à une société anonyme dénommée Excs, présidée par le bourgmestre de Bruxelles de l’époque, Freddy Thielemans. Selon les protagonistes : « Cette méthode de travail garantit la transparence et le contrôle par la Ville de Bruxelles de tous les actes en rapport avec le projet, la Ville restant seule maître à bord et seule en droit de prendre les décisions nécessaires » [2]. Pas vraiment de quoi rassurer sur les modalités démocratiques… Cet été-là, IEB en collaboration avec le cinéma Nova et PTTL réalisent un court métrage qui sera diffusé à la Cité Modèle lors du festival PleinOPENair pour alerter les habitants. [3]
Ceci dit, on assiste en 2009 à un alignement des planètes institutionnelles en faveur du projet : si la Ville de Bruxelles est en réalité surtout motivée par le nouveau centre de congrès et que le centre commercial n’est jamais là que pour assurer le financement de cette fonction non rentable, la Région bruxelloise via la voix de Benoît Cerexhe, alors ministre de l’Économie bruxelloise, rêve d’un centre commercial au nord de Bruxelles. Ce dernier n’aura de cesse d’invoquer les conclusions du Schéma de développement commercial (SDC) de 2008 : « Au nord la faiblesse de l’offre commerciale globale est réelle : il n’existe qu’un pôle complémentaire (Basilix) et quelques pôles relais (Marie-Christine, Miroir, Helmet et De Wand) (...) il semble donc qu’il pourrait peut-être y avoir au nord de Bruxelles la place pour une nouvelle structure commerciale » [4].
Le phasage du projet sera déterminé selon l’impératif de financement du centre de congrès par le centre commercial. La première phase, appelée NEO 1, comprend donc le plus grand centre commercial de Belgique (72 000 m² !), mais aussi 500 logements, du bureau, des espaces de loisir et plus de 3 000 places de parking. Cette phase suppose que la Ville cède un bail emphytéotique de 99 ans au promoteur contre un canon permettant de financer NEO 2, le centre de congrès et un hôtel.
Le projet NEO n’est pas le seul projet de centre commercial à voir le jour au nord de Bruxelles. De l’autre côté du Ring, en Région flamande à Machelen, se dessine un autre projet de grande ampleur : le projet Uplace qui annonce fièrement 82 000 m² de commerces et horeca. La Ville de Bruxelles s’empresse d’annoncer l’ouverture du centre commercial NEO pour 2015, histoire de damer le pion au concurrent flamand. Inimaginable en effet que ces deux mastodontes puissent coexister dans ce mouchoir de poche, à peine 3 kilomètres les séparant, au vu de la pression automobile colossale qu’ils ne manqueront pas de créer et de la concurrence économique insupportable qu’ils exerceront sur les noyaux commerçants avoisinants. Les autorités bruxelloises sont conscientes de cette incompatibilité. Philippe Close, lors d’une séance d’information en 2012 résumera la situation ainsi : « Il va y avoir deux centres commerciaux, c’est faux. Évidemment qu’il n’y en aura qu’un et nous pensons que ce sera le nôtre ». En réalité, ce ne sont pas deux, mais bien trois projets de centres commerciaux qui sont en gestation dans un périmètre restreint puisque la Ville soutient également le projet privé « Just Under the Sky », rebaptisé à son ouverture « Docks Bruxsel » : 50 000 m² de surfaces commerciales prenant place sur les décombres des anciennes poêleries Godin, patrimoine industriel d’exception balayé pour accueillir ces mêmes nouvelles enseignes qui envahissent le monde commerçant contemporain. [5] Sans oublier le développement du site de Tour et Taxis qui table aussi sur un programme de commerces et de bureaux.
Pour contrer cette surenchère dans l’offre commerciale observée en Région bruxelloise et dans son immédiate périphérie, la CSC/ACV, IEB, le Bral, l’Unizo et l’UCM se réuniront en avril 2010 pour définir une position commune : ils fustigeront le manque de concertation entre les régions bruxelloise et flamande générant 248 449 m² de surfaces commerciales et de 324 251 m² de surfaces de bureaux en projet sur des territoires contigus et invitèrent en conséquence les autorités concernées à se réunir de toute urgence dans un souci commun du bon développement économique de ces deux territoires. [6] Après quelques sorties communes dans la presse pour secouer le pouvoir politique au sujet de la pertinence des trois mastodontes de la consommation projetés, la plateforme décida de formaliser son existence autour d’une charte commune le 14 mars 2011 pour devenir la Plateforme pour une économie durable. [7]
Le premier appel d’offres pour trouver le consortium intéressé est lancé en 2012 et reflète les objectifs avant tout financiers du montage : sur les 250 points servant de base de cotation au jury chargé d’évaluer la qualité du projet, 100 concernent la rentabilité de celui-ci. La complémentarité du projet avec le tissu commercial existant est considérée, a contrario, comme un critère facultatif. L’intégration urbanistique ne vaut que 40 points, la qualité architecturale et l’habitabilité, également, idem pour la qualité environnementale. Autant pour les considérations sur la qualité des projets. Pas un mot n’est repris au sujet de l’impact sur l’emploi existant alors que le leitmotiv des porteurs de NEO est la création de 3 000 nouveaux postes sans jamais déduire ceux qui passeront inévitablement à la trappe, soit en raison de la disparition pure et simple de l’activité, soit suite à la mort lente de certaines d’entre elles ne résistant pas à la concurrence du mastodonte.
Les plans, les concours, les appels d’offres se succéderont, aboutissant notamment à l’attribution du marché de la phase 1 au consortium Unibail-Rodamco/CFE/Besix en 2014. La même année, Ville et Région mettent sur pied, quelques jours avant les élections régionales, une société mixte, la SCRL NEO, pour investir 335 millions d’argent public sur 20 ans dans le projet NEO.
Une somme colossale notamment destinée à faire payer par les pouvoirs publics les aménagements tentant de rendre viable ce que la présence du centre commercial et des milliers de parkings souterrains prévus vont rendre intenable.
Très vite, les autorités prirent conscience que pour développer leur programme, elles devraient passer par une modification des affectations du sol. Le PRAS affecte le plateau en équipement collectif, ce qui autorise la création de toute une série de fonctions dont les équipements bien entendu, mais aussi le logement ou du commerce de proximité, mais l’implantation du commerce est limitée à 15.000 m². Or, le projet de centre commercial en prévoit 72.000 !
La Commission régionale de développement (CRD) fut saisie d’une première tentative de modification du PRAS et rendit un avis très critique le 29 octobre 2012. La CRD s’opposait à la création d’une nouvelle Zone d’intérêt régional (ZIR) destinée à permettre l’implantation d’un centre commercial. Elle considérerait que la création d’une nouvelle ZIR ne serait d’aucune valeur ajoutée pour les développements futurs de la Région ; que bien au contraire la définition alors actuelle au PRAS, qui plaçait le site en zone d’équipement d’intérêt collectif ou de service public, garantissait le développement équilibré de cette zone en restant compatible avec la capacité d’accueil de la zone et de l’ensemble de la Région. Elle s’opposait en conséquence à la création d’un centre commercial sur le site alors que deux autres projets de centre commercial étaient projetés à proximité ; tout en ajoutant qu’un centre commercial n’apporterait rien à l’attractivité internationale de Bruxelles, et qu’il serait dès lors inadéquat de consacrer une part importante du sol à un centre commercial.
La Région passera outre à cet avis pourtant très limpide et adoptera un premier arrêté qui fera l’objet d’un recours introduit par IEB, le BRAL, l’Unizo, BBL et l’ARAU devant le Conseil d’État. Ce dernier annulera l’arrêté en raison des lacunes de l’étude d’incidences environnementale quant à l’analyse de sites alternatifs pouvant accueillir le programme prévu sur le site du Heysel.
Pour attirer l’attention du public sur ce qui est en train de se passer, la Plate-forme mettra sur pied le Shopping Monster et interviendra dans l’espace public avec le monstre [8]. En 2014, pour creuser la question complexe des promesses d’emplois, IEB fait le point avec la CSC et la FGTB sur les relations entre emplois et type de commerce et publie les premiers résultats de cette étude dans le dossier du Bruxelles en mouvements n° 272 sur les centres commerciaux [9]. Un partenariat se noue également avec Association 21 pour organiser une journée de rencontre citoyenne rassemblant des groupes mobilisés contre les centres commerciaux à Verviers, Namur, Mons et Bruxelles, afin de rassembler les questions, les modes d’action et de se nourrir des expériences des uns et des autres. Une dynamique qui aboutira sur la publication d’une brochure : « Les centres commerciaux : stop ou encore ? ».
Les premiers riverains du projet, les habitant.es de la Cité Modèle, ne sont pas oubliés. IEB développe un partenariat avec le le Picol (Partenariat Intégration Cohabitation à Laeken), Cité Culture et la Coordination Sociale de Laeken, pour sensibiliser les riverains aux enjeux du projet et ouvrir un débat sur la vitalité des noyaux commerçants de proximité des quartiers De Wand et Marie-Christine. Des rencontres régulières seront organisées tout au long de l’année 2014 : balades sur le site, documentaire sonore avec Bruxelles Nous Appartient, pour amener les habitants de la Cité à s’exprimer sur leur cadre de vie, à identifier leurs besoins et les adéquations ou non des réponses apportées par un projet comme NEO : besoins en espaces vert, de détente et de loisirs, de terrains de sport, besoin de commerces de proximité, d’offre culturelle accessible à toutes les bourses...
Du côté des autorités par contre, pas la moindre réponse n’est donnée au flot d’inquiétudes et de critiques que suscite le projet : incertitudes sur la répartition des coûts entre public et privé et sur l’opérabilité du montage immobilier et financier, privatisation pour plusieurs décennies d’une terre publique pour des fonctions en décalage avec les besoins des Bruxellois, concurrences commerciales pour les noyaux économiques de proximité, disparition d’activités touristiques ayant fait leurs preuves... Le journal Médor sortira en 2016 un bilan très critique de la situation [10].
Malgré le blocage juridique, la Ville de Bruxelles veut aller de l’avant. Le consortium en charge de NEO 1 dépose une demande de certificat en urbanisme et en environnement pour le projet baptisé « Mall of Europe ». La commission de concertation se tiendra le 7 mars 2018 après que l’administration de l’urbanisme ait récolté 254 remarques et que 160 personnes se soient inscrites, chiffres assez significatifs pour ce type de procédure. Les remarques portèrent essentiellement sur :
Il est clair que le centre commercial constitue la fonction d’attractivité principale du projet NEO. L’ambition est d’attirer des visiteurs venus des quatre coins du pays, voire de l’international, à hauteur de 13 millions de personnes par an (soit 11 millions de plus qu’actuellement) dont 9,6 millions sont associés à la seule fonction commerciale de Neo. Si le plateau du Heysel est plutôt bien desservi en transport public pour les bruxellois, l’aire de chalandise très large visée par le projet pose problème, car en l’absence d’une gare, c’est bien la voiture qui sera le mode de transport privilégié pour accéder à NEO.
Les projections tableront sur une part modale de la voiture d’au moins 60 % en semaine et de 75 % les samedis. Or, la circulation aux abords du plateau apparaissait déjà comme un écheveau complexe au vu de ses multiples fonctions de loisirs à échelle supra-locale et de sa proximité avec le Ring et l’A12. La congestion y est généralisée en heure de pointe générant des reports de circulation sur les voiries aux alentours.
Alors que le terrain est en pente et que les quartiers situés au sud du Plateau du Heysel sont déjà sujets aux inondations, le projet retenu pour NEO doit se construire sur une gigantesque dalle de béton pour compenser la déclivité du site, entraînant une imperméabilisation totale qui ne fera qu’augmenter l’écoulement des eaux vers les riverains ainsi que l’abattage de 748 arbres sur les 856 que compte le site.
Sous la dalle, le projet NEO prévoit la création de 3200 nouvelles places de parking qui viendraient se rajouter à l’offre existante déjà exponentielle sur le plateau du Heysel : Brussels Expo comptant 5 parkings, dont le parking C qui fait à lui seul 10.000 places, pour un total de 12.113 places ! Auquel, il faut rajouter les trois parkings privés (mais pouvant être mutualisés) du Trade Markt pour un total de 1346 places. Un projet de parking de dissuasion, qui semble depuis avoir été mis au frigo, prévoyait en outre la création de 1800 places au terminus de l’arrêt Esplanade…
La commission de concertation rendra au final un avis laconique favorable assorti de quelques conditions tenant sur 15 lignes pour répondre aux 254 remarques transmises durant l’enquête publique et reportera à plus tard le soin de résoudre les problèmes incommensurables de mobilité.
Dans le même temps, la bataille juridique autour de la modification du PRAS nécessaire pour permettre le centre commercial se poursuivra. La Région adoptera un nouvel arrêté qui fut à nouveau attaqué de façon victorieuse. Cette fois, la section législation du Conseil d’État relèvera que la question demeurait ouverte de savoir s’il est complètement satisfait en l’espèce à l’obligation pour « une autorité prudente » d’apporter « dans le plan proprement dit une solution sûre sur le plan juridique à une problématique de mobilité constatée » alors que persistaient certaines incertitudes liées à la procédure de délivrance des permis concernant des modifications d’infrastructures routières existantes pour accueillir les flux de circulation liés aux effets cumulés des projets Neo et UPlace (avis du CE du 6 février 2017).
La Ville et la Région seront dès lors forcées de répondre à l’une des conséquences négatives du projet : l’asphyxie des voiries locales et régionales par les milliers de voitures qui tenteront de rejoindre le centre commercial.
Face à l’impossibilité des voiries actuelles d’absorber les flux automobiles de NEO, quatre scénarios seront mis sur pied par les autorités.
Le premier vise à connecter l’A12 à l’avenue de Madrid puis à créer une boucle de circulation avenue de Madrid, Esplanade-Miramar, boulevard du Centenaire et avenue de l’Atomium le long du parc. Une possibilité qui rentre en totale contradiction avec l’ambition régionale de transformer l’A12 en un boulevard urbain, mêlant circulation apaisée et aménagements qualitatifs, mais qui n’est à ce jour pas totalement écartée puisque le permis d’urbanisme pour la transformation de l’A12 en « A-douce » a été saucissonné en deux, seule la partie sud du projet ayant été lancée.
Un deuxième scénario envisage la création d’un nouvel accès depuis l’est et l’autoroute A12 en passant au travers du parc d’Osseghem. Cette route, qui emprunterait les avenues du Comte Moens et du Gros Tilleul, transformerait ces deux voiries locales en boulevard urbain, créant par la même occasion une barrière infranchissable entre les parcs d’Osseghem et de Laeken. Conscients des incidences désastreuses pour la qualité de vie, de l’air et de l’environnement naturel et paysager et de l’impopularité d’une telle idée, les porteurs de projet s’empresseront d’abandonner l’idée publiquement via la presse et par la voix de Rudi Vervoort au Parlement.
Le troisième scénario met l’accent sur « l’optimisation », comprendre l’élargissement, de l’infrastructure routière existante. C’est le scénario qui entraînerait les plus grands reports de circulation sur l’avenue Houba de Strooper et avec le plus de nuisances pour les habitants des quartiers aux alentours. Raison pour laquelle, c’est aussi le scénario qui est le plus difficile à tenir politiquement.
Reste un quatrième scénario, l’utilisation d’une voirie de liaison privée, reliant le parking C à l’avenue Impératrice Charlotte, en passant sous la chaussée romaine, dont le permis a été accordé à Brussels Expo en 2016. L’objectif initial de cette voirie était de faciliter l’accès des véhicules logistiques au site du Palais des Expositions et de répondre à la demande des riverains du site d’atténuer ce trafic dans l’avenue des Magnolias.
Si les chantiers ont bien été réalisés sur la partie bruxelloise du projet, le tunnel et les voiries situées de l’autre côté de la frontière ont fait l’objet d’un recours de la Région flamande voyant d’un mauvais œil le développement du projet NEO.
Il faudra attendre juin 2023, pour que la Région flamande délivre enfin le permis, mais assorti de conditions qui reviennent à son utilisation initiale : une voirie privée régulée par des barrières situées à toutes les intersections, réservée au transport logistique et aux services d’urgence et de police, avec toutefois une ouverture au public prévue dans le cadre des grands évènements organisés sur le plateau du Heysel (concerts, spectacles, compétitions sportives, foires, salons, congrès…). De quoi mettre un sérieux frein à son utilisation pour desservir NEO…
En réalité, tant pris séparément que conjointement, aucun des scénarios imaginés par les porteurs du projet n’empêche l’augmentation conséquente du trafic routier dans les quartiers alentour. Le sort réservé au plateau du Heysel contraste avec les mesures prises par la Ville de Bruxelles dans le Pentagone où une maille apaisée sera instaurée. Le Bourgmestre, Philippe Close, déclare d’ailleurs en 2018 : « le tout à la voiture de 1958, c’est fini, on est passé dans un autre modèle » [11]. Une déclaration que l’on pourrait tout aussi bien appliquer à l’obsolescence programmée du centre-commercial.
Le 6 mars 2020, le Conseil d’État annulera, pour la troisième fois, la ZIR n° 15 du PRAS servant de base légale au projet NEO suite à un recours introduit par des riverains. Les moyens étaient axés essentiellement sur les questions de mobilité. Le Conseil d’État répétera pour la énième fois que les garanties concrètes sur la table pour répondre aux besoins en mobilité sont insuffisantes.
En l’absence d’un PRAS réactualisé, rien n’avance et l’équilibre du projet commence à se fissurer, tout comme les bâtiments de Brussels Expo qui sont dans un état déplorable et attendent une rénovation. Dans un contexte de pandémie qui a eu un effet sur l’organisation des grands salons, la Ville acte le 15 juillet 2021 l’abandon de NEO 2, le volet comprenant un hôtel et un centre de congrès de 5000 places.
Dans la mesure où la création du méga-shopping de NEO 1 n’avait pour vocation première que de financer le centre de congrès, on aurait pu s’attendre à une remise à plat complète du dossier…
Il n’en fut rien. En 2019, la Région lance une consultation citoyenne en vue de la création d’un Plan d’Aménagement Directeur (PAD) Heysel qui englobe un périmètre plus large que le plateau proprement dit, mais intègre le projet NEO comme un élément avec lequel il faut composer.
En mai 2022, la Région met à l’enquête publique pour la quatrième fois un projet de modification de PRAS qui détaille les grands scénarios de mobilité imaginés sans pour autant déterminer quels seront les scénarios retenus. Et pour cause, l’étude d’incidences environnementale pointe qu’aucun de ceux-ci ne sont satisfaisants. L’enquête ne donnera pas lieu à l’adoption d’un arrêté. Mais en plein été 2024, la Région mettra à l’enquête pour la cinquième fois un nouveau projet de modification du PRAS quasi identique au précédent.
À la différence près que pour prémunir cette version d’une attaque au Conseil d’État, l’examen en détail des solutions de mobilité est renvoyé à une autre échelle territoriale via l’adoption future d’un Plan Particulier d’Affectation du Sol (PPAS) rédigé par… la Ville de Bruxelles. Une parade qui permet à la Région de se dédouaner de ses responsabilités et à la Ville de rassurer les investisseurs et promoteurs immobiliers sur l’avancement du cadre légal.
Bien que contestés depuis 15 ans, de nombreux aspects du projet demeurent aujourd’hui toujours aussi opaques, notamment sur le plan financier et sur les clauses passées avec les promoteurs. Tout au plus sait-on que la Région a déjà déboursé 100 millions d’euros et la Ville près de 10 millions d’euros pour NEO 1. Quant à NEO 2, l’abandon du projet se solde par une ardoise de 8 millions d’euros pour les frais d’études divers à laquelle s’ajoutent 3 millions d’euros d’indemnités aux sociétés qui avaient décroché les marchés de travaux.
Ce qui est clair en revanche, au regard du consensus parmi la société civile et tous les conseils d’avis de la Région lors de la dernière enquête publique, c’est que NEO est obsolète et doit faire l’objet d’un réexamen complet. IEB, la plate-forme pour une économie durable et les comités d’habitant.es ne demandent pas autre chose : qu’une évaluation soit menée en concertation avec les habitants et les acteurs socio-économique pour que le réaménagement du plateau du Heysel soit pensé de façon démocratique et équilibrée, au profit de l’intérêt général. [12]
En septembre 2024, la Région et la Ville n’ont pas réussi à faire approuver leur quatrième mouture du PRAS avant les élections régionales comme prévu. Le projet mégalomane de centre-commercial Uplace à Machelen, enlisé pendant des procédures juridiques pendant 17 ans a lui été abandonné au profit d’un nouveau projet baptisé Broeklin, qui vient juste d’obtenir son permis d’urbanisme. Croisons les doigts pour que la prochaine législature tourne enfin la page de cette triste et coûteuse saga.
[1] Lire à ce sujet : 2007 : Le Plan de Développement International (PDI) ou comment (essayer de) mieux vendre Bruxelles
[2] Communiqué de la Ville de Bruxelles mars 2009.
[4] Une affirmation au conditionnel pourtant assez vite contrebalancée par la suite du document : « cette zone est moins bien desservie par les transports publics. La structuration des voiries et la barrière naturelle du canal limite l’accessibilité. Les déplacements favorisés se font selon un axe sud-ouest nord-est. L’installation d’un pôle d’attractivité régional ou national dans cette zone serait donc très difficile. En effet sa zone de chalandise serait barrée par les limites naturelles du canal et par l’influence du Westland Shopping Center (…) », p.27.
[5] À ce sujet, lire C. Scohier, 2008 : De l’utopie Godin au centre commercial Docks Bruxsel
[6] La politique économique bruxelloise n’a pas besoin de projets pharaoniques de centres commerciaux et de bureaux.
[7] Sur la création et les objectifs de la plateforme, lire C. Scohier, « Une coalition de résistance inédite », in Revue Politique, 2013 : https://www.revuepolitique.be
[8] Visionner le film Le poulpe en nous, 2012 : https://www.dailymotion.com/video/xrsuhh.
[9] Voyage au centre commercial, octobre 2014.
[10] Éric Walravens, « Bruxelles. Au nord, c’étaient les shoppings », Médor, décembre 2016.
[11] Philippe Close : « Le gouvernement Michel a investi moins que les autres dans la sécurité ». V. Lamquin. Le Soir. 17/12/2018.