En 1991, au CERN [1] de Genève, cela déjà fait deux ans que le Britannique Tim Berners-Lee et le Belge Robert Cailliau travaillent sur un système d’échange d’informations qui fonctionne grâce à des liens hypertextes et au réseau internet, créé dans les années 70 pour faciliter les échanges entre chercheurs du monde entier [2]. Leur invention, nommée « World Wide Web » vise à ouvrir le réseau publiquement afin que tout un chacun puisse naviguer de lien en site web et avoir ainsi accès au plus grand réseau d’information, libre et gratuit jamais créé. Un outil d’accès à la connaissance auquel pas grand monde ne croit, y compris le CERN à l’époque, mais qui peut continuer son développement grâce à la ténacité des deux informaticiens dont l’idéal est d’établir une gigantesque bibliothèque mondiale où l’intelligence et le savoir circuleraient à la vitesse du son. Leur invention est en effet sur le point de bouleverser la société. Mais pas forcément de la manière prévue.
Au même moment, à plus de 9 000 kilomètres de là, plusieurs centaines de personnes présentes à Las Vegas sont sur le point d’être soumis à une expérience mise au point par l’ingénieur informaticien Loren Carpenter [3]. Dans une salle sombre, surplombée par un écran géant, des centaines de participants reçoivent une sorte de raquette de ping-pong reliée à un ordinateur dont l’une des faces est verte, l’autre rouge. Aucune instruction n’est donnée à l’assistance tandis qu’apparaît sur l’écran le jeu vidéo Pong, une version basique et virtuelle du tennis de table où deux barres latérales blanches se renvoient une balle pixelisée. Quelqu’un se rend vite compte que tourner le côté rouge de la raquette vers l’écran permet de faire monter légèrement la barre vers le haut et que le côté vert a l’effet inverse. Il ne faut alors que quelques minutes pour que l’entièreté de la salle travaille de concert, sans concertation préalable, certains montrant rouge et d’autres vert afin de positionner la barre à l’endroit exact où elle doit se trouver pour renvoyer la balle dans l’autre sens. Dans la salle, où tout le monde se prend au jeu, c’est l’euphorie. Sur le visage de Carpenter également, il vient de découvrir que, grâce à la mise en réseau permise par les machines, ce qui entraînerait normalement le chaos le plus complet se transforme en un système stable capable de s’autoréguler, et ce, sans entraver la liberté d’action individuelle. Une démonstration connectée que l’instauration d’un ordre peut se faire de manière décentralisée et organique et pour les entrepreneurs de la Silicon Valley naissante, une illustration de la maxime libérale selon laquelle si chacun cherche son intérêt personnel, l’intérêt général sera atteint.
Outre le fait qu’ils témoignent des balbutiements de la mise en réseau permise par l’informatique, les deux événements précités partaient d’un même idéal : s’affranchir d’un pouvoir centralisé et du contrôle qu’il exerce sur nos vies en utilisant le réseau pour se mettre en lien les uns avec les autres et repenser les organisations collectives. Mais ils portaient également en germe des projets politiques très différents. Là où l’invention de Berners-Lee et Cailliau visait à l’émancipation par le partage et la co-création de connaissances sur un modèle de gratuité, les recherches de l’autre côté de l’Atlantique visaient davantage une conception différente de la liberté : celle d’entreprendre.
Presque 30 ans plus tard, force est de constater que l’économie de marché a relégué le projet concret et initial du web au rang d’utopie. Ce qui est devenu bien réel par contre, c’est la quantité de produits créés par certaines entreprises du numérique qui promettent de régler tous nos problèmes.
Dans cette course au progrès, il convient d’être toujours en mouvement pour rester dans le vent et d’être disruptif pour en finir avec l’ordre ancien. Cette volonté de rupture était déjà énoncée dans le spot publicitaire de lancement du premier Macintosh, qui en 1984 reprenait l’imagerie du roman de George Orwell pour ériger l’ordinateur familial comme pourfendeur de Big Brother, abolissant le totalitarisme et l’aliénation. Personnifié sous les traits d’une jeune femme athlétique au bronzage californien, l’ordinateur y brisait le télécran [4] de la police de la pensée à l’aide d’un maillet et annonçait un nouvel écran, qui à l’image du jeu vidéo de Carpenter, serait plus fun, collaboratif et innovant.
En se réinventant en entrepreneurs du numérique à l’aube des années 80, des libertaires antimilitaristes des années 60 délaissèrent leurs modes d’action politique comme ils avaient délaissé les ouvrages des poètes beatniks au profit des ouvrages d’Ayn Rand, philosophe et romancière, proche du mouvement libertarien, qui défend un individualisme radical. Ils renoncèrent à l’usage de drogues psychédéliques capables de vous faire ressentir une interconnexion avec le monde qui vous entoure, pour mieux donner corps à ces visions dans l’architecture naissante du réseau. Et en passant du contre-pouvoir politique au pouvoir économique, leur projet d’un État limité au profit du marché se matérialisa moins par la constitution d’un parti que par la production en masse d’objets et d’infrastructures permettant de répondre à cet idéal, tout en niant être porteurs d’une idéologie.
Ainsi, loin d’avoir contribué à une décentralisation des processus de décision, en permettant une plus grande transparence et une circulation de la connaissance sur un modèle horizontal, le réseau s’est reconfiguré sur l’ancien modèle vertical du pouvoir. Comme un entonnoir à la plus large cavité possible et au tube le plus fin, il est devenu le moyen pour qu’une quantité toujours plus importante d’informations et de données se retrouvent entre les mains d’oligopoles privés ayant des ambitions commerciales totalisantes sur tous les aspects de notre vie.
À cette fin, de nombreux produits sont mis sur le marché pour permettre l’extraction de données tout en proposant des solutions innovantes pour ordonner le chaos, plus particulièrement dans nos environnements urbains. Et en matière de chaos, la mobilité bruxelloise constitue un terrain propice à l’expansion...
Début 2015, six experts de la firme IBM posent leurs valises à Bruxelles. Ils sont venus mener une recherche de terrain dans l’une des capitales mondiales de la congestion routière et en tirer un rapport pour que la mobilité bruxelloise devienne plus « intelligente » et « efficace ». Dix ans auparavant, la firme, alors sérieusement en perte de vitesse, cherche urgemment de nouveaux débouchés pour ses activités commerciales et identifie le « marché des villes » comme très prometteur et lucratif [5]. Son projet qu’elle nomme « smarter cities » vise à implanter dans l’espace urbain des capteurs et des composants informatiques capables de numériser toute une série d’informations. Sans surprise, le rapport final de la multinationale, qui aurait coûté 470 000 euros, mais qui a gracieusement été offert à la Région, identifie la solution aux embouteillages : déployer des technologies afin de récolter un maximum de données (fournies par les institutions publiques et les “clients”, en fait usagers, des différents modes de transports) et ainsi pouvoir optimiser en temps réel les flux de déplacements.
Si ces modélisations de comportements permettent de proposer des solutions personnalisées à nos besoins plutôt que d’édicter une règle arbitraire imposée par une autorité, elles n’en restreignent pas moins notre liberté d’action. Car ces algorithmes [6] dits prédictifs, le sont non pas « parce qu’ils seraient parvenus à entrer dans la subjectivité des personnes pour sonder leurs désirs ou leurs aspirations. Mais parce qu’ils font constamment l’hypothèse que notre futur sera une reproduction de notre passé » [7]. Le système n’essayera donc pas de ramener l’automobiliste vers le meilleur itinéraire pour tout le monde, mais vers celui qui correspond le mieux à son comportement habituel. Enfermé dans une bulle, supposons que celui-ci veuille changer complètement ses habitudes, il faudra qu’il prouve concrètement à l’algorithme par des actes qu’il souhaite échapper à ses propres régularités.
À l’échelle du collectif, ces systèmes font peser la menace de nous enfermer dans un statu quo qui, sous couvert d’une objectivité de la machine, permettrait de dissimuler les choix politiques et idéologiques posés en amont. En l’occurrence ici, il s’agit de promouvoir une mobilité centrée sur l’automobile et préparer un futur qui ressemble à s’y méprendre au passé. Car ce projet d’analyse de nos comportements en temps réel ne peut pas faire apparaître les choix politiques antérieurs qui nous ont menés à cette situation : aménagement du territoire dévolu à l’automobile depuis 50 ans, exode urbain des classes moyennes et classes populaires qui viennent grossir les rang des navetteurs, baisse de la vitesse commerciale des transports en commun, etc. Dès lors, selon cette logique, pour limiter les embouteillages, il n’est pas nécessaire de construire du logement abordable et du logement social pour diminuer les déménagements hors de la Région, ni construire des sites propres pour que les transports en commun ne soient plus englués dans la congestion, ni mettre fin au subventionnement des voitures de société, en bref ne prendre aucune décision qui impose un arbitrage politique et un rapport de force. Non, ce qu’il faut c’est optimiser nos comportements à l’aide de données, un système où les corrélations importent plus que les causes. Un système qui permet de renvoyer dans l’angle mort les inégalités et les hiérarchies qui composent la société et qui se confère les moyens de les reproduire. Si notre monde est imparfait, ce serait uniquement, car nous manquons de données pour le corriger.
Et ces données sont sacrément rentables. Même anonymisées, elles sont vues comme un nouvel « or noir » pouvant être raffiné en les croisant entre elles pour faire émerger des profils et ainsi développer de nouveaux produits plus personnalisés ou pour être revendues à des tiers pour des ciblages publicitaires. Vivian Reding, ancienne vice-présidente de la Commission européenne estimait en 2011 que la valeur des données livrées par les citoyens européens était de 315 milliards d’euros et qu’elle pourrait représenter un millier de milliards en 2020 [8]. La fédération patronale bruxelloise (BECI) appelait quant à elle à « faire évoluer la législation pour ‘libérer’ les données – sans préjudice du respect de la vie privée. Ce sont elles qui permettront d’organiser le ‘chaos urbain’ ; ce sont elles qui alimenteront le développement socio-économique des villes dans les prochaines décennies » [9].
La plupart des villes ont entendu l’appel, rares sont celles qui n’ont pas mis en œuvre une politique de Smart City dans un contexte de concurrence pour attirer des capitaux [10]. Mais IBM et d’autres multinationales du numérique semblent déjà être passées à autre chose, à moins qu’elles n’attendent le développement du réseau 5G pour lancer toute une série d’objets connectés urbains [11] dont la voiture autonome constitue l’avatar [12]. Mais entre-temps, pourquoi vouloir implanter des capteurs dans l’espace citadin alors qu’une grande majorité de la population en possède déjà un dans sa poche ? La généralisation du smartphone a changé la donne et redistribué les cartes au profit de nouveaux acteurs, les start up de l’économie de plateforme.
Vélos, trottinettes, scooters, l’explosion de l’offre de véhicules de mobilité en libre-service ces derniers mois s’est propagée selon une politique du fait accompli, sans accord avec le gouvernement bruxellois, rajoutant une couche de chaos à la mobilité bruxelloise. Pas un jour ne passe sans qu’un article de presse ne relate les conflits d’usages que ces engins posent dans l’espace public : stationnement sauvage empiétant sur les cheminements piétons, accidents (parfois mortels), multiplication du nombre d’opérateurs et donc de véhicules en circulation… Pour remédier à ces problèmes, le gouvernement bruxellois imposera aux opérateurs d’obtenir une licence à partir du premier septembre 2019. Il pourra ainsi mieux réguler le nombre d’opérateurs et les obliger à respecter un cadre, notamment en ce qui concerne le stationnement.
Dans un contexte où Bruxelles ambitionne d’atteindre un usage modéré de l’automobile, ces véhicules mis sur le marché par des start up constituent un allié de choix : ils permettent de favoriser l’intermodalité (l’utilisation combinée de plusieurs types de transport) sans devoir effectuer de grandes dépenses d’argent public. Mais en misant sur un mode de transport individuel et privé plutôt que sur une offre collective et publique, le gouvernement effectue un choix politique aux conséquences environnementales, sociales et économiques.
D’abord, car l’intermodalité ne va pas de soi : allier un trajet automobile avec une trottinette électrique, un itinéraire vélo avec du transport en commun ou jongler avec différents moyens de déplacement au fil de la semaine demande une certaine flexibilité qui sied mieux aux jeunes valides, urbains, plutôt aisés, qu’à la majorité de la population bruxelloise. En effet, au-delà des contraintes en rapport avec l’emploi ou la famille (trajets zigzag, horaires coupés…) qui rendent l’utilisation d’un mode exclusif nécessaire (sans pour autant que cela soit nécessairement la voiture) ou des carences en matière d’infrastructures sur le territoire, les inégalités face à la mobilité dépendent également de l’acquisition de toute une série de compétences : représentation dans l’espace, articulation entre cet espace et les modes de transports à disposition, capacité d’usage de l’offre de transport ou des moyens de paiement [13]… Pour débloquer une trottinette, il faut déjà être en possession de deux choses que tout le monde ne possède pas : un smartphone et une carte de crédit…
De plus, la dématérialisation et l’automatisation croissante des outils, qui fait disparaître les personnes-ressources au profit d’interfaces numériques, risquent encore d’aggraver ces inégalités d’accès. Ainsi, les populations des quartiers bruxellois les plus pauvres connaissent un risque élevé d’exclusion numérique sans pour autant constituer un groupe social homogène puisque sont concernés : les personnes moins qualifiées, les personnes âgées, en situation de handicap, certains jeunes, certaines femmes et les minorités ethniques [14].
Au-delà même de ces considérations, l’offre étant privée, elle s’implante non pas spécialement là où la demande est la plus forte, mais là où la solvabilité des clients est la plus probable. Vélos, trottinettes scooters et voitures partagées sont ainsi disponibles dans les communes les plus aisées (Uccle, Ixelles, Woluwe-Saint-Lambert, Etterbeek, Pentagone-Est) et sont quasi absente sur tout le territoire à l’ouest du canal. L’offre vient ainsi s’implanter en coeur de ville, là où le territoire est déjà excellemment bien desservi par le transport public et non là où elle pourrait être le plus utile comme en périphérie proche par exemple.
Et au contraire du transport collectif, les offres privées sont beaucoup plus volatiles, les sociétés répondant d’abord à leurs actionnaires avant leurs usagers. Ces derniers mois, on a ainsi pu voir dans les rues de Bruxelles des start-up disparaître tout aussi rapidement qu’elles étaient apparues (Go.bee Bike, oBike, ZipCar…). En ce qui concerne la start-up de vélo partagé, Go.bee Bike, celle-ci a quitté la capitale seulement quelques mois après son lancement, officiellement à cause du vandalisme, tout en abandonnant ses vélos neufs (mais de mauvaise qualité, irréparables et non recyclables) dans l’espace public bruxellois, laissant le soin à la collectivité de trouver qu’en faire.
La bulle des vélos en libre-service s’est dégonflée aussi rapidement qu’elle s’était créée à Bruxelles. Les trottinettes bénéficient pour leur part d’une aura de nouveauté et d’innovation qui joue en leur faveur, mais pour combien de temps ? Avant que les pouvoirs publics n’investissent de l’argent dans des infrastructures, il conviendrait d’évaluer la durabilité de ce moyen de transport. Un rapide coup d’œil au modèle économique des plateformes ne permet pourtant pas de rassurer.
Aucune des plateformes actives à Bruxelles n’est rentable et la concurrence fait rage pour éliminer ses adversaires. Non pas tellement sur une guerre des prix, où tout le monde serait perdant, mais sur une guerre du temps. C’est à l’opérateur qui parviendra à perdre de l’argent le plus longtemps, les autres ayant jeté l’éponge avant. Le dernier s’assurera alors une position de monopole qui lui permettra d’augmenter ses prix et d’atteindre une rentabilité. Uber, par exemple, qui investi dans les trottinettes Lime et qui propose Jump son propre système de vélos en libre-service peut compter sur le soutien de Goldman Sachs et de l’Arabie Saoudite qui, via le fonds d’investissement japonais Soft Bank, a placé 3,5 milliards de soutien dans la start up. Nombre de plateformes actives à Bruxelles ont par ailleurs leurs sièges sociaux situés aux Pays-Bas, non parce que le relief se prête bien à l’utilisation de leurs produits, mais parce que le pays, reconnu le 26 mars dernier par l’Union européenne comme un paradis fiscal, n’oblige pas la double imposition et permet d’évacuer les recettes vers des contrées au climat plus clément.
D’un point de vue social, ces entreprises n’hésitent pas à employer des « auto-entrepreneurs », payés à la recharge et sans aucune protection salariale, pour que les véhicules soient opérationnels au petit matin [15]. Une trottinette, avec sa durée de vie de 28 jours, ou un vélo électrique dont la batterie est conçue à partir de cobalt issu pour 60% de la région de Kolwezi, en République démocratique du Congo où 40 000 enfants travaillent dans les mines avec des instruments sommaires pour 1 euro la journée, dont la batterie est rechargée à l’électricité produite par le nucléaire, dont la fabrication est financée par des fonds pétroliers et dont les bénéfices ne sont pas taxés semble toutefois être une solution de mobilité « innovante, technologiquement et durablement » à l’en croire notre ex-ministre de la mobilité [16].
Il faut dire qu’ils s’intègrent à merveille dans la carte postale des nouveaux espaces publics gentrifiés et aseptisés de la Région bruxelloise qui s’adressent l’un comme l’autre à une population solvable.
Malgré ces défauts, ces véhicules partagés jouissent d’une image de changement qui dessine les contours d’une mobilité alternative, moins nuisible à la qualité de l’air urbain. Et chacune de ces entreprises entend faire la guerre à la voiture privée, moins pour des considérations environnementales que pour s’assurer de nouvelles parts de marché.
Pour remédier au chaos entraîné par la multiplication des opérateurs, les entreprises concernées et les pouvoirs publics réfléchissent à l’établissement d’une nouvelle application dénommée MaaS (Mobility as a Service) qui centraliserait toute l’offre de transport disponible, tant privée que publique et permettrait l’achat d’un abonnement personnalisé à vos besoins [17]. De nombreuses start-up actives dans le libre-service travaillent actuellement à son élaboration. Mais avec quel modèle économique ? Un surcoût payé par les utilisateurs pour accéder à l’ensemble de l’offre n’est pas impossible, mais sera sans doute peu à même de fidéliser une nouvelle clientèle, un rachat de titres de transport public au rabais pour une revente au prix plein dans l’application serait peu à même de motiver une collaboration avec les opérateurs historiques de transport. Reste le « partage » des jeux de données générées par les opérateurs publics avec ces plateformes, afin que ces dernières puissent les croiser avec d’autres sources et les faire fructifier pour en tirer de bénéfices substantiels. Bénéfices dont la collectivité pourrait bien ne pas voir la couleur.
L’utilisation de ces données par des acteurs privés pose problème à deux niveaux. Au niveau individuel, car les données récoltées, bien qu’anonymisées, ne donnent aucune garantie sur la protection de la vie privée comme des chercheurs de l’UCL viennent de le démontrer [18]. Un bon algorithme sera toujours capable de vous retrouver. Au niveau collectif ensuite, car elles échappent à tout contrôle démocratique alors qu’elles constituent un bien commun qui devrait être mis au service de la société, non dans un but commercial, mais pour une meilleure compréhension des problématiques urbaines, environnementales et sociales et ainsi aider au débat politique et à l’établissement de politiques publiques adéquates.
Ce qui se développe actuellement en mobilité s’annonce aussi dans d’autres domaines qui visent l’hébergement, l’énergie, l’eau, les déchets ou la santé, transformés en services amputés de l’adjectif public. Il est ainsi urgent de repenser un cadre politique des données qui puisse favoriser l’émancipation personnelle et collective. Un projet politique qui cesse de ne considérer les citoyens que comme des clients ou pire, comme des capteurs censés alimenter une machine qui entend solutionner les dysfonctionnements sociétaux sans jamais interroger le projet politique qui leur a donné naissance. De raquettes rouges et vertes de Carpenter aux reflets clinquants des smartphones d’aujourd’hui qui ludifient notre existence, de multiples raisons nous poussent à tous jouer le jeu. Mais nous ne devrions pas abdiquer de l’exigence d’en écrire les règles collectivement.
IEB
[1] Centre de recherche sur le nucléaire en Europe.
[2] Jardon Quentin. « Alexandria, les pionniers oubliés du web », Gallimard. 2019.
[3] L’événement est relaté dans le documentaire « All Watched Over by Machines of Love and Grace », Adam Curtis, BBC, 2011.
[4] Système de télévision inventé par George Orwell dans son roman qui diffuse en permanence les messages de propagande du Parti, et de vidéosurveillance qui permet à la Police de la Pensée d’entendre et de voir ce qui se fait dans chaque pièce où se trouve un individu. (Wikipédia).
[5] Lire : « En cas de crise du logement, contactez votre administrateur système ». Van Criekingen Mathieu, 12/04/16.
[6] Un algorithme est une méthode de calcul, une séquence d’instructions que l’on applique à des données afin de résoudre un problème. Historiquement pensés afin de résoudre des problèmes d’arithmétique, ils sont aujourd’hui utilisés dans presque tous les domaines de la vie.
[7] CARDON D. “À quoi rêvent les algorithmes ? Nos vies à l’heure du Big Data”. p.70. Seuil. 2015
[8] BENABOU V. et ROCHFELD J. “À qui profite le clic ? Le partage de la valeur à l’ère numérique”. Odile Jacobs.
[9] extrait de l’éditorial du rapport d’activité 2015 de BECI, « De l’intelligence pour la ville et pour l’humain », p.1.
[12] Lire : « The Walker is Dead ! Vive la voiture autonome », Jacobs Thibault, Van Gyzegem Thyl. 29/01/18.
[13] « Inégaux face à la mobilité », Orfeuil Jean-Pierre, Observatoire des inégalités, 2017.
[14] « Analyse de la fracture numérique sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, rapport pour le CIRB », UCL, novembre 2017, p.7.
[15] Lire : « L’économie de plateforme, opportunité ou piège pour les travailleurs ? ». Strale Mathieu. 29/01/18.
[18] « Les données privées ne sont jamais anonymes, démontrent des chercheurs belges ». Laloux Philippe, Le Soir. 23/07/19.