Thyl Van Gyzegem – 15 novembre 2017
Annoncé pour 2025, puis pour 2028 par Beliris, le projet de mise en service d’une ligne de métro 3 reliant Albert à Bordet, et décrit comme « l’épine dorsale » du transport public à Bruxelles, a fait l’objet d’une demande de modification partielle du PRAS en vue de fixer son futur tracé. Le rapport sur les incidences environnementales mis à l’enquête publique n’a, non seulement, pas permis de répondre aux critiques que nous exprimions face au projet mais a également donné de nouveaux arguments pour privilégier des alternatives de surface…
Le projet de ligne de métro 3 vise à relier la station Albert située à Forest à la gare de Bordet située sur le territoire de Haren. La ligne de métro devrait remplacer l’actuel tram 3 opérant en pré-métro jusque la Gare du Nord avant de suivre un nouveau tracé impliquant la création de sept nouvelles stations sur les territoires de Schaerbeek et Evere. En conséquence, c’est un total de 4,5 km de nouveau tunnel qui est à creuser.
La création de ce nouveau tracé, ainsi que la construction d’un dépôt à Haren et d’une nouvelle station Constitution à l’Avenue de Stalingrad, nécessitait une modification partielle du Plan Particulier d’Affectation du Sol et devait donc faire l’objet d’une enquête publique régionale.
Après coup, force est de constater que cette enquête publique, portée par perspective.brussels et consultable de septembre à la fin octobre, ne s’est pas déroulée à grand renfort de publicité. En effet, il fallait chercher un peu pour localiser son annonce sur les valves communales. Aucune affiche n’était présente sur les lieux directement impactés par cette modification (le square Riga où la construction d’une station est prévue, par exemple), car s’agissant d’une enquête régionale, il n’existe pas de prescription légale en la matière. Aucune mention n’apparaissait non plus sur le site internet de la STIB (metro3.be) devant pourtant servir de vitrine officielle au projet et comportant par ailleurs une page entière dédiée à décrire le fonctionnement des enquêtes publiques !
Des informations au compte-goutte...
Cette absence de publicité est venue ajouter une couche d’opacité dans un contexte déjà marqué par un manque général d’information de la part des porteurs du projet. Le rapport environnemental constitue, en réalité, la première étude à se pencher sur l’ensemble du projet qui soit rendue publique tant pour les citoyens que pour les conseils d’avis régionaux.
Ainsi, malgré ses demandes répétées, la Commission Régionale de Mobilité (CRM), chargée de débattre et de remettre un avis sur les projets en région bruxelloise, a déploré être sous-informée sur le projet d’un point de vue global. Elle a du se contenter de « présentations sur certaines parties ou certains aspects du projet (...) par des intervenants de rang intermédiaire peu au fait de la justification des projets et des options retenues » [1].
Bruxelles Mobilité, l’administration régionale compétente, n’a, quant à elle, pas été invitée au comité d’accompagnement du rapport sur les incidences environnementales ni n’en a même été tenue informée. Il s’agit pourtant du plus grand projet de mobilité en région bruxelloise des 15 prochaines années.
Pour couronner le tout, durant toute la durée de l’enquête, les séances d’information à destination du public se sont limitées au strict minimum. Lorsqu’une réunion publique a eu lieu à Schaerbeek, le 24 octobre dernier, à l’initiative de la commune, l’administration régionale en charge de la planification, perspective.brussels, a refusé de venir y présenter le projet de modification partielle du PRAS.
L’absence des porteurs de projet privait là les habitants d’informations complémentaires essentielles à la compréhension du dossier et d’un espace pour exprimer les nombreuses craintes et critiques qu’inspirent le projet de métro nord. Une absence d’autant plus regrettable que l’enquête publique régionale ne donne lieu à aucune commission de concertation.
… et des modifications réglementaires à l’avenant
La confusion qui résulte du morcellement de l’information sur le projet n’est pas aidée par le bouleversement de la chronologie d’adoption des différents plans régionaux. C’est en effet au futur Plan Régional de Développement Durable (PRDD) qu’il incombe de définir une vision stratégique, globale et cohérente pour la Région, y compris en matière de mobilité. Cette vision devrait seulement être traduite dans un second temps en termes réglementaires dans le Plan Régional d’Affectation du Sol.
Si le projet de PRDD, soumis à enquête publique en début d’année, consacre le métro comme seul projet de développement du transport public pour les 25 ans à venir, le texte a fait l’objet de nombreuses réactions et n’a toujours pas été adopté à l’heure actuelle.
Dès lors, la modification partielle du PRAS en vue de permettre un futur métro nord se produit hors du cadre d’une vision approuvée et concertée de la mobilité future en région bruxelloise. Une anticipation qui pose problème vu l’ampleur du projet, son impact en terme de réorganisation de l’offre de transport publics et son poids dans le budget régional de mobilité.
En l’absence de vision d’ensemble, la logique gouvernementale qui prévaut est donc celle de faire ou défaire les plans au gré de l’agenda des projets qu’il soutient. Pour éviter que la modification réglementaire devienne la règle et non l’exception, une modification du PRAS intégrant l’ensemble des mesures nécessaires à l’amélioration de la mobilité bruxelloise aurait pu être mise en œuvre.
Des sources non publiques
Le rapport d’incidences environnementales (RIE) étudie l’impact de la modification du PRAS nécessaire en vue de fixer le futur tracé du métro, de construire un dépôt à Haren, de construire les stations Constitution et Riga et de transformer la station Albert en terminus tram-métro.
Le rapport ne produit aucune nouvelle donnée mais se charge de faire la récolte et la synthèse de données préexistantes dont une bonne partie proviennent d’une série d’études préliminaires réalisées par un consortium d’entreprises nommé Bureau Métro Nord (BMN).
Cette société momentanée dirigée par le bureau d’ingénieurs Sweco Belgium et composée d’entreprises de construction (notamment de stations et de terminaux ferroviaires) et d’une société spécialisée dans le forage de tunnels via la technique du tunnelier, s’est vue confier en 2010 par Beliris à la fois l’étude d’opportunité d’un métro mais également les études techniques tant sur la faisabilité que sur l’élaboration du projet.
C’est dans ces études que furent arrêté le projet de tracé pour le métro nord ainsi que les alternatives de tracés étudiées dans le RIE. Jusqu’à aujourd’hui, ces études n’ont pas été rendues publiques. La Commission Régionale de Développement (CRD) avait pourtant demandé que toute pré-étude auquel faisait référence le RIE y soit annexée [2].
Une technique de mise en œuvre pré-définie
C’est précisément dans ces études que fut arrêtée la décision d’utiliser la technique lourde du tunnelier de grande profondeur, de 9 mètres de diamètre, qui percera la voie du métro à plus de 25 mètres sous terre, en surgelant le sous-sol afin d’éviter les dégradations aux habitations et aux voiries en surface.
La technique, si elle permet de limiter les nuisances de chantier en surface, n’est pas sans risque puisqu’elle provoque des tassements du sol et ne bénéficie d’aucun retour d’expérience à Bruxelles où il s’agirait du premier creusement de cette ampleur dans cette couche géologique.
Elle implique également de creuser plus en profondeur et donc de construire des stations plus profondes, ce qui rallonge d’autant plus le temps de parcours depuis la surface et limite l’attractivité du métro comme moyen de transport. Pour pallier ces inconvénients, le RIE recommande d’étudier l’utilisation de deux tunneliers de plus petit diamètre, qui creuseraient les deux voies séparément, et permettraient de limiter les tassements géotechniques tout en rapprochant les stations de la surface. Une option plus onéreuse qui pourrait dès lors entraîner un nouveau problème : une augmentation des vibrations en surface.
L’alternative aux tunneliers, la technique du « Cut and Cover », moins chère mais impliquant de travailler depuis la surface et donc de suivre autant que faire se peut le tracé des voiries pour éviter les démolitions, aurait été écartée suite à une étude de la STIB qui pointait le trop grand nombre d’expropriations nécessaires. À nouveau, cette étude n’a pas été rendue publique.
Face à l’absence d’une étude publique multicritère comparant les avantages et inconvénients de chaque technique, tant en terme de chantier que de qualité du projet final, il est permis de se poser des questions sur l’impartialité du consortium quant au choix du tunnelier.
En 2016, Alain Flausch, ex-CEO de la STIB, rappelait que l’histoire du métro à Bruxelles avait été marquée par des architectes et des bétonneurs ayant extorqué beaucoup d’argent. Le projet de métro nord pourrait ne pas déroger à la règle : « ce sont les bureaux d’étude qui imposent leurs vues de façon dispendieuse, et les pouvoirs publics ont du mal à tenir la dragée haute au privé » [3].
Bien que le RIE reprenne le choix du tunnelier comme hypothèse de travail, c’est, en définitive, à l’étude d’incidence du projet en tant que tel qu’il reviendra de statuer.
Cependant, le tracé retenu pour le projet de métro nord est tributaire de la technique choisie. Une modification du PRAS à ce stade pourrait se révéler non conforme si l’étude ultérieure devait aboutir à une conclusion différente sur la technique de mise en œuvre.
Voilà pour le contexte général dans lequel intervient cette enquête publique mais que dit réellement ce rapport d’incidences environnementales ?
Une épine dorsale discutable
Le projet de métro nord est décrit comme la future « épine dorsale » du réseau de la STIB sur laquelle toutes les autres lignes de transport public viendront se greffer. Ce projet n’est pas conçu pour répondre à la demande locale des communes de Schaerbeek et d’Evere – auquel cas il serait démesuré – mais bien pour répondre à une demande d’envergure régionale tout en permettant de « diminuer la part modale routière au profit des transports en commun » [4].
L’exactitude de cette dernière affirmation dépend en réalité de mesures complémentaires au premier rang desquelles on retrouve l’instauration d’un péage urbain, seul dispositif cité dans l’étude qui permette de faire baisser la part modale de la voiture.
Le projet de métro à lui seul n’entraînerait l’abandon de leur véhicule au profit du transport en commun que pour 8100 personnes par jour. Un chiffre très faible au regard des 400 000 véhicules circulant en Région Bruxelles-Capitale entre 6h et 10h du matin. En enterrant les usagers des transports en commun et en laissant donc plus de place pour les voitures en surface, le projet de métro se révélera incapable de diminuer le trafic routier. Qu’à ne cela ne tienne, pour Brieuc de Meeûs, patron de la STIB, c’est bien la preuve que des lignes de métro, « il en faudrait encore plus ! » [5].
En ce qui concerne la dimension régionale du projet, il convient également d’y apporter des nuances. En permettant de relier Bordet à Albert en une vingtaine de minutes, le gain de temps réalisé grâce au métro pour rejoindre l’hyper-centre de Bruxelles profitera principalement aux navetteurs embarquant à Evere. Le temps gagné se verra en effet amoindri au fur et à mesure que l’on embarque plus proche de la gare du Nord.
En ce qui concerne les trajets internes à la commune de Schaerbeek, ceux-ci seront même rallongés par rapport à la situation actuelle, du fait de la profondeur des stations et du temps nécessaire pour rejoindre la surface (autour de 3 minutes), et ce, d’autant plus pour les trajets qui nécessitent une correspondance.
Enfin, pour les usagers au sud de la station Albert, rejoindre le centre-ville impliquera de nouvelles correspondances et un temps de parcours allongé. Les trams 51 et 4 verront leurs trajets raccourcis avec un terminus à la nouvelle station Albert tram-métro puisqu’ils ne pourront plus emprunté la liaison pré-métro actuelle. Ce qui fait de ce métro, un projet régional qui désavantage une partie du territoire par rapport à une autre tout en renforçant l’isolement de quartiers déjà mal desservis.
Un véritable projet régional pourrait consister à mettre en œuvre un meilleur réseau maillé de surface assurant une desserte plus fine des quartiers, capable d’être mis en service plus rapidement, à moindre coût et sans demander de modification au PRAS. Au contraire, la Région, Beliris et la STIB parient sur une ligne forte se concentrant sur un axe unique sur lequel les autres lignes devront se rabattre.
Une option qui permet d’assurer une meilleure vitesse commerciale en échappant à la congestion automobile et de réduire les frais d’exploitation du réseau puisqu’une rame de métro permet de transporter plus de monde. L’automatisation annoncée du métro permettra également d’économiser des salaires en se passant de conducteurs.
Cette option a pourtant un coût d’investissement considérable, estimé au minimum à 1,6 milliards d’euros, dont les modalités de financement restent floues (à ce sujet, lire : « Qui va payer ? »), et qui n’est pas repris dans le RIE comme un critère déterminant permettant d’analyser le projet de métro et ses alternatives de surface. Pourtant l’impact budgétaire d’un tel projet sur la capacité de la Région et de la STIB à pouvoir investir dans toute autre projet de mobilité pour les 20 prochaines années peut difficilement être éludé.
Pas d’enterrement pour le 55 ?
« [La STIB] n’a jamais dit que l’on supprimerait le 55 », c’est ce que déclarait Brieuc de Meeûs le 16 novembre dernier au micro de BX1 [6]. Pourtant tous les documents publiques sont clairs sur ce point, le projet de métro nord viendra remplacer la ligne de tram 55 dont le tracé est jugé trop similaire à celui du projet et qui connaît des problèmes de saturation. Si la ligne 55 demande effectivement de nettes améliorations, son problème de saturation n’est pas lié à une demande trop forte mais à un bouleversement des fréquences de passage dues aux conflits avec la circulation routière. De plus, la ligne répond à une demande locale et joue un rôle que le projet de métro, cette épine dorsale régionale, ne peut pas compenser.
D’abord, parce que le projet de métro supprime 5 arrêts du 55 qui jouent un rôle de mobilité de proximité. Ensuite, parce que la ligne de tram 55 offre une visibilité au noyau commercial d’Helmet que le métro ne permet pas. Enfin, et surtout, car le métro enterre profondément les usagers, ce qui rallonge les temps de parcours sur des petites distances mais rend également son accès plus difficile pour les usages du quartier. Pour les personnes à mobilité réduite, les personnes âgées, les familles avec enfants ou même pour faire ses courses, une ligne de tram de surface est précieuse.
Le projet de métro qui offrirait une capacité de plus de 12 000 voyageurs par heure et par sens sera difficile à rentabiliser puisque la demande actuelle au Nord tourne autour de 2 800 voyageurs par heure et par sens. Un maintien et une amélioration du tram 55 permettrait de proposer une alternative au projet de métro à condition de réorganiser le réseau de surface.
Si l’étude d’une alternative au métro sous la forme d’un tram 55 à haut niveau de service a été menée, celui-ci est déconseillé notamment car il demanderait sa mise en site propre et donc de supprimer trop de stationnement. Quant à l’étude d’une réorganisation du réseau de surface, elle n’est pas menée et se borne aux modifications du réseau qui ont déjà été annoncées par la STIB à l’heure actuelle.
La disparition de la ligne 55 laisserait donc plus de place en surface pour le développement de la voiture. Cette place pourrait être réaffectée aux modes actifs mais rien n’est annoncé en ce sens, d’autant plus que les rails de la ligne resteront puisqu’ils permettent de rejoindre un dépôt.
Dans la justification gouvernementale du projet, on peut lire que celui-ci contribue à « l’amélioration de la situation en matière de stationnement résidentiel et général par perte d’attrait et de compétitivité de la voiture » [7]. Plutôt paradoxal pour un projet qui ne contribue pas à faire baisser la part modale de la voiture et dont l’alternative de surface est discréditée afin de ne pas s’attaquer au stationnement.
Une alternative sous-estimée
Comme le projet de métro ne permettra pas de limiter le trafic automobile, il n’entraînera pas de réduction conséquente des émission polluantes liées au transport. Bien que le métro demande une traction moins énergivore que celle du tram, cet avantage se trouve annulé par la forte consommation énergétique de ses stations. Si l’impact du métro en terme d’émissions polluantes liées à son exploitation a été étudié, ce n’est pas le cas en ce qui concerne le bilan énergétique global du projet en y intégrant la construction de l’infrastructure, son entretien et son exploitation.
Une alternative de transport respectueuse de l’environnement, offrant une grande capacité et permettant de relier Haren et Bordet au centre de Bruxelles et au quartier européen est déjà en place. Elle souffre d’une image plus difficile à valoriser pour le rayonnement international de Bruxelles que celle d’un métro flambant neuf mais représente un potentiel qui ne peut être négligé.
Le réseau suburbain de la SNCB présent sur le territoire de la Région, actuellement sous-utilisé et d’une efficacité mise à mal par les désinvestissements successifs de ces dernières années, devrait enfin voir ses fréquences renforcées dans les années à venir. Ce réseau pourrait être développé comme un soutien au réseau de la STIB. Un soutien qui couplé à une réorganisation et des investissements dans le réseau de surface pourrait faire office de véritable projet de mobilité régional.
IEB
[1] Commission régionale de mobilité, avis sur le projet de modification partielle du plan régional d’affectation du sol (PRAS) concernant la liaison de transports en commun haute performance nord-sud et son rapport d’incidences environnementales. 25 septembre 2017. Url : https://mobilite-mobiliteit.brussels/sites/default/files/170925_avis_crm_prasmetro.pdf.
[2] Avis de la CRD sur le projet de cahier des charges du rapport sur les incidences environnementales du projet de modification partielle du PRAS relative au projet de métro nord. 6 septembre 2016. Url : http://www.crd-goc.be/wp/wp-content/uploads/16072_1957ADfr.pdf.
[3] Colleyn M. « On peut réduire les coûts du métro nord de 20% », La Libre Belgique, 20/09/16.
[4] Arrêté du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale arrêtant le projet de plan régional d’affectation du sol modifiant partiellement le plan régional d’affectation du sol. P.2.
[5] De Muelenaere M. « La ligne 3 du métro bruxellois, un rêve bientôt réalité ? », Le Soir, 09/11/2017.
[6] « Le projet de desservir Schaerbeek et Evere avec un nouveau métro ne fait pas l’unanimité ». BX1, 16 novembre 2017. Url : https://bx1.be/schaerbeek/projet-de-desservir-schaerbeek-evere-nouveau-metro-ne-lunanimite/.
[7] Ibid 4. P.3.