Inter-Environnement Bruxelles
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Maisons médicales : quand santé rime avec quartier

Nous avons été à la rencontre de plusieurs médecins travaillant dans des maisons médicales bruxelloises. Des symboles de la « médecine populaire » qui portent en elles une vision particulière de la santé. Des structures profondément ancrées dans leur quartier qui ont beaucoup à nous apprendre…

© François Hubert - 2021

Issues de la vague de contestation sociétale des années 70, le modèle belge des maisons médicales a vu le jour en réponse à la médecine privée et aux complexes hospitaliers. Ces derniers présentaient – et présentent encore – de nombreux problèmes (inaccessibilité pour les plus pauvres, vision de la santé uniforme, le patient devenu client,…) que cette médecine de quartier remettait en question. Depuis trente ans, le nombre des maisons médicales n’a cessé d’augmenter. Il en existe aujourd’hui près de cent, du côté francophone, dont 45 à Bruxelles. Mais qu’est-ce qui définit une maison médicale ?

Maison médicale ?

Avant tout, c’est une structure dont le fonctionnement repose sur un accès aux soins le moins cher possible. Les maisons médicales se basent sur deux principaux types de financement différents. Soit elles optent pour le paiement à l’acte, c’est-à dire à chaque prestation de soins,ce qui constitue le système de paiement « traditionnel ». Soit elles optent pour le système de forfait, fondé sur un accord avec les mutuelles, qui versent chaque mois un montant fixe par patient aux maisons médicales. Dans ce cas-ci, le patient ne paie que sa cotisation à la mutuelle, dont le montant annuel est fixe pour son suivi médical. Le nombre de consultations importe peu alors. C’est une forme de solidarité entre les personnes en bonne santé et celles qui ne le sont pas. D’autant qu’à Bruxelles, la grande majorité des maisons médicales fonctionnent au forfait. Pour ces deux modes de fonctionnement, c’est l’Institut National d’Assurance Maladie-Invalidité (INAMI ) qui supervise au niveau fédéral le respect des conventions. Dans certains cas, on notera la participation financière des Régions, des Communautés ou de diverses fondations.

Comme profession libérale, on s’est rendu compte que finalement les patients avaient d’abord des problèmes financiers. Je ne suis plus à l’acte, mais au forfait, je suis directement payé par la mutuelle et le patient ne paie rien.

Dr Patrick Bakart, maison médicale la Duchesse

De plus, les maisons médicales ont un lien particulier avec le quartier dans lequel elles travaillent. En effet leur mission est centrée sur le soin des habitants d’un périmètre précis. De par leur position de travailleurs de « première ligne », elles connaissent les différentes réalités socioéconomiques des habitants du coin. Il arrive souvent que ces professionnels habitent eux-mêmes le quartier dans lequel ils officient. Leur permettant ainsi de mettre en lien les problèmes de santé personnels avec des conditions de vie plus générales. Au-delà des soins, les maisons médicales sont des lieux de socialisation importants pour le quartier. Les gens se croisent, se saluent, discutent dans les salles d’attente et les couloirs. Diverses activités sont organisées autour de ces structures que ce soit pour une sensibilisation à certains problèmes de santé, des évènements sportifs ou encore des animations pour enfants. Des occasions de plus pour rencontrer ses voisins dans des quartiers qui, contrairement à certains préjugés, sont beaucoup plus vivants que certains quartiers riches.

Dans ce quartier, il y a beaucoup de petites épiceries, il y a une vie de quartier. Ce que je préfère fortement aux quartiers plus chics, où il fait mort dès qu’on sort dans la rue. Je pense que cette vie de quartier, cette chaleur humaine, est importante pour les personnes isolées.

Dr. Jean Michel Lambermont, maison médicale Botanique

Parallèlement, les maisons médicales se distinguent par une approche pluridisciplinaire. Chaque structure se compose de médecins, d’infirmiers et de kinésithérapeutes. A cette configuration de base peut, selon les localités et les demandes, venir s’ajouter des assistants sociaux, des psychologues voire même des diététiciens.

La plupart du temps les maisons médicales travaillent en réseau. A la fois par rapport aux autres maisons médicales pour des raisons administratives (transfert de dossier pour des personnes qui déménagent,…) ou purement professionnelles (conseil de tel spécialiste médical d’une autre structure à tel patient,…). Il semble même courant dans le milieu qu’elles se donnent mutuellement des coups de pouce lorsqu’elles en ont besoin. Et à la fois par rapport aux autres collectifs et institutions du quartier (travail en partenariat sur la question de l’alimentation par exemple). Des traditions sans doute liées à l’idéologie solidaire qui sous-tend les maisons médicales.

Public précaire…

Leur position de première ligne et l’accessibilité de leurs soins font que les maisons médicales travaillent principalement avec des populations pauvres. On y trouve bien quelques personnes des classes sociales supérieures, mais elles restent largement minoritaires. Il suffit d’observer la répartition géographique des maisons médicales à Bruxelles pour s’en rendre compte [1]. Malgré cette caractéristique économique, l’hétérogénéité du public des maisons médicales est impressionnante. Hommes comme femmes, personnes âgées comme jeunes, aux nationalités multiples, viennent côtoyer ces locaux. Par ailleurs, la communication n’est pas toujours simple pour les médecins lorsque leurs patients ne parlent pas français, ce qui nécessite parfois l’intervention de traducteurs.

Je dirais que notre public est composé pour un tiers de personnes d’origine arabe, un autre tiers de personnes d’origine subsaharienne, surtout liées aux marchands de voitures, et un tiers de vieux Belges, voire du quart-monde belge.

Dr Patrick Bakart, maison médicale la Duchesse

Malgré leurs différences, ces populations montrent de nombreuses similitudes de conditions de vie. Celles-ci sont la plupart du temps liées à la situation économique des patients. En recoupant ces conditions de vies avec les pathologies qui reviennent le plus souvent, les travailleurs des maisons médicales mettent en évidence les liens entre l’environnement (au sens large) des patients et leur santé. Un constat qui est loin d’être neuf et qui reste encore aujourd’hui sans équivoques.

… dans environnement précaire !

Dans la catégorie « principale source de problèmes de santé », le gagnant est…le logement ! Sans rire, les professionnels des maisons médicales sont tous d’accord sur ce point. Lorsque leurs patients développent des pathologies respiratoires (toussotements, nez qui coule, asthme,…), ils finissent la plupart du temps par le mettre en lien avec des conditions de logement précaires. Que ce soit à cause d’une trop grande humidité dans l’air, d’une accumulation de poussières ou encore d’une présence importante de pollutions intérieures (particules de composants chimiques de peinture,…), la majorité des problèmes de santé dans les quartiers populaires sont liés de près ou de loin à l’habitat En outre, notons que la sur-occupation des logements est souvent mise en cause [2]. Que depuis de nombreuses années des associations et des collectifs pointent du doigt les problèmes du logement bruxellois n’est finalement peut-être pas dû au hasard…

Il n y a pas assez de logements, pas assez de chambres pour permettre une certaine intimité, physique et psychologique, qui est aussi une protection contre les bactéries. Il faudrait un espace où on peut étudier, se reposer et préparer son avenir. Ces logements surpeuplés hypothèquent aussi l’avenir éducatif de tous ces jeunes.

La sur-occupation est fréquente ici dans le quartier, il suffit d’aller dans les logements. Nous on va dans les domiciles des gens, et quand on voit les matelas s’accumuler l’un sur l’autre dans la pièce où l’on va examiner le grand-père, on comprend que grand-père ne dort pas sur cinq matelas…

La commune a parfois un problème terrible. S’ils émettent un arrêt d’insalubrité, ils se retrouvent avec les habitants sur les bras. Du coup, ils n’osent pas le faire, parce que ça veut dire que d’une manière ou d’une autre ils doivent les reloger et ils n’en ont pas les moyens.

Dr Patrick Bakart, maison médicale la Duchesse

Les médecins que nous avons rencontrés parlent rapidement de l’alimentation comme facteur principal de problèmes santé dans les quartiers populaires. Lorsque des ménages avec peu de moyens financiers font une liste de course, il est rare qu’ils choisissent seulement des produits issus de l’agriculture biologique. Les produits les moins chers étant souvent de moindre qualité. D’où la présence de diététiciennes dans certaines maisons médicales. Cette thématique est évidemment aussi liée à l’éducation dans son sens large. Pour connaître ce qui est bénéfique pour notre corps en termes de sommeil, de nourriture ou d’activités physique, il faut l’avoir appris de quelqu’un. Le système éducatif et l’entourage familial jouent à cet égard des rôles primordiaux.

Pour une bonne partie de notre public, une grande part de leurs revenus vont dans le loyer. On garde peu pour le bien-être, pour s’alimenter ou pour se soigner. C’est aussi un choix dicté par les finances.

Dr. Nele Vandenbempt, maison médicale la Clé

Les symptômes d’ordre psychologique semblent particulièrement croître ces dernières années. Les soucis socioéconomiques quotidiens (travail, loyer, documents administratifs,…) imposent une pression sur les individus tandis que l’isolement dû à l’individualisme croissant de notre époque provoque un mal-être certain. Ce qui a des répercussions néfastes sur la santé de ces personnes. Ainsi les maisons médicales engagent couramment des psychologues et des assistants sociaux pour remédier dans la mesure du possible à ces problèmes. Selon les médecins de ces structures, les liens entre personnes du quartier peuvent être, à ce point de vue, très précieux.

Je crois que les conditions de travail sont très dures, ils ont des horaires coupés, le matin très tôt ou le soir très tard donc, pour la santé ce n’est pas bon, cette flexibilité. Surtout de ne pas connaître l’horaire de la semaine qui vient, et donc de ne pas pouvoir régler toutes les affaires des enfants. ça rend les gens malades, à cause du stress, de l’insécurité.

La pression grandit sur des populations déjà précarisées. Ils n’ont plus d’identité sociale, leur mot à dire, ils se sentent inutiles, marginalisés, contrôlés, ils ne comptent plus pour la société.

Dr. Nele Vandenbempt, maison médicale la Clé

Recul économique

Les maisons médicales sont des points-clés pour la santé des quartiers populaires. Elles battent au rythme de leurs habitants et sont aux premières loges des réalités des plus démunis. A l’heure où la médecine traditionnelle – toujours trop chère – continue sa route vers plus de spécialisation, les maisons médicales restent une alternative. L’idée n’est pas neuve mais elle a fait ses preuves en termes de santé pluridisciplinaire et accessible à tous (ou presque). Sans compter que la demande de ce type de soins est forte à Bruxelles. Un modèle qu’il nous semble primordial de développer pour éviter au maximum qu’une bonne santé ne reste un privilège de riches.

Néanmoins, les maisons médicales ne règlent pas tout. Il est évident que tous les facteurs dont nous avons parlé sont fortement liés au quartier dans lequel on évolue et au salaire qu’on gagne. Ce qui est caractéristique du mode de production capitaliste dans lequel nous baignons. Si nous souhaitons réellement améliorer la santé des Bruxellois de manière efficace, la solution ne peut passer outre une transformation sérieuse du contexte socio-économique. Il est plus qu’urgent de garantir aux habitants les plus pauvres des logements sociaux décents dans des quartiers qui ne les excluent pas ipso facto (gentrification, individualisation,…) pour s’attaquer au cœur du problème. La santé des habitants des quartiers populaires risque dans les prochaines années de se détériorer. En attendant plus de justice sociale, des maisons médicales supplémentaires ne seraient pas du luxe !

On m’a dit carrément : il faut que tu te la fermes, parce que l’élu veut être élu la prochaine fois, au moins garder son mandat jusqu’à la prochaine élection. Il y a peu de gens qui ont une projection à 15-20 ans. On manque d’écoles, comme si c’était arrivé en une fois… Pareil pour le logement. Les politiques ne réfléchissent pas plus loin que la fin de leur mandat.

La commune doit prendre les choses en main, construire des logements sociaux, à des prix convenables, et faire bloquer les loyers. Bruxelles est maintenant une capitale où il y a de grands écarts de revenus. Le contraste est fort, les prix augmentent énormément, les loyers augmentent trop par rapport à la qualité des logements.

Dr Patrick Bakart, maison médicale la Duchesse

Les gens n’ont pas eux-mêmes de solutions, sauf s’ils se mettent ensemble et essayent de faire bouger les choses. On veut que les gens prennent les choses en main, pas seulement leur santé mais aussi leur travail, leur logement et d’autres choses de la vie quotidienne.

Dr. Nele Vandenbempt, maison médicale la Clé

Pour plus d’informations, voir le site de la Fédération de Maisons Médicales et de Collectifs de Santé Francophones : www.maisonmedicale.org.


[1Les quartiers plus riches au Sud et à l’Est de Bruxelles ne comportent pratiquement pas de maisons médicales alors que les quartiers « populaires », plus pauvres, de l’Ouest, du Nord du centre de Bruxelles en sont pleins. La carte des maisons médicales membres de la Fédérations des Maisons Médicales et Collectifs de Santé Francophone est disponible sur le site : www.maisonmedicale.org.

[2Pour plus d’informations sur les problématiques liées au logement, voir les Bruxelles en mouvements n°255 (Démographie : le dossier complet) et n°267 (Loyer ou manger ?).