Depuis fin 2008, le Code du logement impose aux communes et aux CPAS une plus grande transparence des règles d’attribution de leurs logements, mais il ne leur impose pas pour autant une gestion plus sociale de leur patrimoine.
Introduction
La crise du logement, qui touche de très nombreux Bruxellois, oblige les pouvoirs publics à s’engager dans la production et la mise à disposition de logements de qualité, abordables financièrement. Il est totalement inacceptable qu’une part grandissante d’habitants peine à se loger correctement ou à se loger tout simplement. Les attentes vis-à-vis du secteur public sont énormes. La situation actuelle exige des mesures à court terme, favorables à tous ceux qui sont le plus durement touchés par le manque d’accessibilité du parc locatif bruxellois.
Le logement public ne se limite pas, loin s’en faut, au logement social. Les communes et, dans une moindre mesure, les CPAS sont aussi d’importants pourvoyeurs de logements à Bruxelles. Avec plus de 8 000 habitations en location, ces deux opérateurs représentent près de 20% de l’ensemble des logements publics locatifs dans notre région.
Jusqu’il y a peu, ce secteur affichait un manque de transparence évident dans la gestion de ses logements. Difficile, en effet, pour l’observateur extérieur ou le candidat-locataire de savoir comment les logements étaient réellement attribués et à qui ils étaient destinés. Il fallait lever cette opacité qui constituait en outre une véritable porte ouverte aux dérivés clientélistes.
Ce qu’en dit le Code du logement…
Depuis fin 2008, à la suite d’une initiative parlementaire, les communes et CPAS se sont vu imposer des règles dans l’attribution de leurs logements. Ces nouvelles mesures ont été insérées dans le Code du logement.
Concrètement, les autorités locales doivent désormais disposer d’un règlement d’attribution accessible au public et détaillant les modalités d’accès à leur parc locatif. Elles sont par ail-leurs dans l’obligation de tenir un registre des demandes, classées par ordre chronologique et doivent respecter certains critères dans la procédure d’attribution.
Les règles imposées aux communes prévoient aussi l’obligation de fournir annuellement des informations sur les caractéristiques de leur parc locatif, notamment sur les loyers pratiqués. Des données que les communes n’aiment pas diffuser.
Ces nouvelles dispositions ont apporté une certaine transparence dans les pratiques locales, la plupart des communes ayant adopté un règlement d’attribution. Elles restent cependant trop peu ambitieuses, à notre sens, pour mettre fin à certaines pratiques locales discriminatoires, voire illégales. Le législateur a, semble-t-il, tenté de ménager les sensibilités politiques sur la question de l’autonomie communale, en imposant des règles certes, mais néanmoins minimales, préservant ainsi l’indépendance des communes et CPAS dans la gestion de leur patrimoine.
Par ailleurs, et c’est une déception pour le RBDH, aucune mesure n’a été adoptée pour favoriser la socialisation des logements communaux, loués trop souvent à des prix élevés.
En 2009 déjà, le RBDH soulignait les faiblesses de cette règlementation.
Aujourd’hui, à l’heure où la réforme du Code du logement est en marche, nous demandons des modifications qui permettent de mieux contrôler les règles d’attribution locales et qui imposent à chaque opérateur des efforts de socialisation[1], pour favoriser l’accès au logement des ménages à bas revenus.
Constats et propositions
Le RBDH a procédé à l’analyse de l’ensemble des règlements d’attribution disponibles.
Une démarche qui a permis de mettre en lumière certaines pratiques locales interpellantes et de dégager les points sur lesquels le Code du logement doit être renforcé.
Quels sont nos constats et propositions ?
1. Clarifier le champ d’application : déterminer clairement quels sont les logements concernés par les règles d’attribution.
Les communes et CPAS mettent en location différents types de logement. Certains ont été produits sur fonds propres, d’autres ont été rénovés grâce à des subsides régionaux. Ils sont parfois destinés à des publics spécifiques (personnes à mobilité réduite, ou qui nécessitent un accompagnement social, etc.) ou répondent à des projets particuliers (habitat solidaire, à but thérapeutique,…). Néanmoins, tous les logements communaux sont censés être soumis aux règles d’attribution. En effet, aucune base légale ne permet aux opérateurs locaux d’exclure certains logements et de les faire ainsi échapper aux règles du Code. C’est pourtant systématiquement le cas sur le terrain et parfois pour des questions de pure rentabilité économique.
A Etterbeek par exemple, le règlement pré-voit que les logements qui « n’intéressent pas les candidats locataires »[2] peuvent être confiés en gestion à une agence immobilière privée et dès lors être loués en échappant à toutes les règles du Code. Au CPAS de Bruxelles-Ville, ce sont les logements de rapports[3] qui en sont exclus… Des choix susceptibles de provoquer une inégalité de traitement entre candidats-locataires selon le type de logements auxquels ils peuvent prétendre et qui permettent aux autorités communales d’attribuer ces logements en toute liberté.
Le Code du logement devrait prévoir des sanctions à l’égard des communes et CPAS qui soustraient des logements à l’application du règlement. La tutelle régionale sur les pouvoirs locaux est en mesure de jouer ce rôle.
2. Adopter une position claire concernant les conditions d’admission
Dans toutes les communes, l’accès aux logements est limité par des conditions d’admission. Ces dernières ne sont pas sans conséquences puisqu’elles ont pour effet d’exclure d’emblée et de manière définitive certaines catégories de personnes : inscription réservée aux habitants de la commune, aux locataires « bons payeurs », à ceux qui peuvent justifier de revenus minimum, qui ne bénéficient pas d’une aide du CPAS… Des conditions d’admission discriminatoires qui touchent principalement les ménages les plus fragilisés et qui s’inscrivent en porte-à-faux par rapport à l’article 23 de la Constitution qui consacre le droit à un logement décent, dont les pouvoirs publics sont pourtant débiteurs.
Le Code devrait bannir la possibilité pour les communes de prévoir des conditions d’admission qui excluent les ménages fragilisés de l’attribution des logements communaux. D’autres conditions d’admission devraient au contraire être encouragées, dans la mesure où elles permettent justement de favoriser le droit au logement de ceux qui en sont exclus. Il s’agit de la condition de non-propriété et de l’établissement de plafonds de revenus maximum. Le Code du logement pourrait enjoindre les communes à fixer systématiquement des plafonds de revenus bas pour tout ou partie de leur parc.
3. Encadrer les sanctions administratives
La toute grande majorité des règlements d’attribution prévoient des sanctions administratives à l’égard des candidats locataires qui ne respectent pas certaines règles comme le renouvellement annuel de leur inscription, le fait de ne pas informer l’administration d’un changement de situation personnelle,…
Dans presque tous les cas, la sanction consiste à radier le candidat du registre, temporaire-ment ou définitivement. Une décision qui est loin d’être anodine puisqu’elle réduit à néant ses chances de se voir un jour attribuer un logement, vu le nombre élevé de demandes et le nombre limité d’attributions annuelles.
Ce n’est pas tant l’existence de sanctions administratives qui indispose, mais le fait que certaines d’entre elles soient totalement dis-proportionnées par rapport au comportement reproché ou qu’elles semblent ne reposer sur aucune base objective. Ainsi, à Koekelberg, toute « réticence » à communiquer un change-ment de situation personnelle (composition de ménage, revenus,…) « entraîne automatiquement la radiation de la candidature ». Au CPAS de Bruxelles-Ville, le fait d’introduire une plainte contre une décision d’attribution risque d’entraîner une radiation à vie, si le CPAS juge la requête non-fondée...
L’intégration dans le Code du logement d’une disposition encadrant les hypothèses de radiation aurait donc tout son sens, vu l’attitude de certaines opérateurs locaux.
4. Respect de la loi sur le bail de résidence principale
Certaines communes imposent, via leur règle-ment d’attribution, des conditions locatives qui dérogent aux règles du bail de résidence principale : résiliations unilatérales, révisions du loyer en cours de bail dans des cas non-prévus par la loi, etc. Or, les dispositions relatives au bail de résidence principale s’appliquent aux
communes et CPAS lorsqu’elles agissent comme bailleurs. Ces opérateurs sont donc tenus de respecter les règles impératives du droit du bail, en l’absence de dérogations régionales. Nous sommes d’avis qu’en la matière, les pouvoirs publics doivent être exemplaires, ce qui aujourd’hui n’est pas toujours le cas.
Pour aller plus loin…
L’existence de règlements d’attribution est incontestablement un pas en avant par rapport au passé. Toutefois, cela n’est pas suffisant si les logements restent inaccessibles aux ménages à bas revenus.
Si certaines communes ont fait le choix de louer leurs logements à des conditions sociales, une grande partie des logements communaux restent financièrement inaccessibles aux ménages bruxellois à revenus modestes.
Selon nous, la réforme du Code du logement doit aussi prévoir des dispositions qui encouragent les communes et CPAS à une gestion plus sociale de leur patrimoine. Par ailleurs, la Région a mis en place depuis longtemps différents systèmes de subsides à destination des communes[4]. Ces législations imposent des plafonds de revenus pour certains des logements créés ; or certaines communes ne respectent pas les conditions fixées.
Nous demandons, à ce titre, que la Région exerce un réel contrôle sur les logements communaux subsidiés et qu’elle sanctionne, par des mesures appropriées, les opérateurs qui ne s’y conforment pas. Nous plaidons également pour une utilisation effective de l’allocation-loyer qui permet aux communes de réduire le montant de leurs loyers sans perte financière (puisqu’elle se trouve compensée par la Région).
Notre point de vue consiste à défendre l’idée selon laquelle les pouvoirs publics, lorsqu’ils mettent des logements en location, doivent d’abord viser la catégorie de ménages qui dis-pose de revenus modestes.
Carole Dumont et Marie Didier
Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat (RBDH)
Voir l’analyse dans son ensemble sur le site du RBDH :
www.rbdh.be.