Implantées dans l’axe de la maison communale qui se prolonge jusqu’au rond-point de la Barrière, les prisons de Saint-Gilles s’inscrivent dans un scénario urbain monumental. Leur désaffection n’est pas seulement un évènement objectif où il s’agit de déplacer une fonction urbaine d’un endroit à l’autre, c’est aussi un acte symbolique d’un certain poids.
Il faudrait certainement faire le lien avec le palais de justice qui imprègne lui aussi et avec plus de force encore le scénario urbain bruxellois qui est aussi une mise en scène symbolique de la structure de l’État belge. Lorsque nous observons ces deux situations analogues et complémentaires nous pourrions être amenés à penser que vider les symboles de leur contenu est une manière de vider aussi quelque chose qui a plus à voir avec la représentation que nous faisons de notre contrat social, ce n’est pas anodin.
Certains d’entre nous ont déjà eu quelques doutes quand ils se sont aperçus, peut-être lors d’une journée sans voiture, que le sens unique de la rue de la Loi faisait disparaître de nos systèmes de représentation collective la formidable perspective sur les arcades du Cinquantenaire. Nous l’occulter dès la fin des années 1950 est aussi une manière de manifester une Belgique en train de se disparaître puisqu’elle n’est plus capable de se mettre en scène au travers de ses monuments nationaux commémoratifs.
Prisons de Saint-Gilles qu’il faudra bien faire disparaître pour accueillir cette population de contribuables qui manque tant à l’équilibre des finances communales, Palais de justice qui ne peut rien contenir d’autre qu’un palais de justice, arcades du Cinquantenaire qu’il s’agit d’effacer des mémoires vacillantes dans la ville en cours de fragmentation, les liens physiques et symboliques entre les éléments structurants du territoire sont nombreux. Avec leur désaffection c’est aussi autre chose qu’un équipement public qui est en train de se faire escamoter pour être planqué subrepticement à Haren ou dans un bâtiment de bureau quelconque.
Il n’y a donc pas que des aspects liés aux fonctions urbaines, à la proximité des usagers, aux modes de déplacements, aux répercussions énergétiques ou au bouleversement d’une commune de la marge, il y va également de quelque chose de plus fondamental. En nous arrachant morceau par morceau ce qui donne de la signification au paysage de nos villes, on nous désoriente. Et si nous nous laissons désorienter, alors il sera plus facile de nous diriger puis de nous enfermer dans les cachots obscurs de nos désirs inassouvis.