En ces périodes pandémiques, la santé, socle de nos vies, nous est apparue plus fragile que jamais. Dans le même temps, nous découvrions notre dépendance à un système médical libéral construit sur la parole d’experts arrimés au monde hospitalier. Dans ce paysage parfois inquiétant, les lumières des fenêtres des maisons médicales ont continué à briller au cœur des quartiers, telles autant de lucioles dans l’obscurité.
C’est le combat des maisons médicales depuis 50 ans : aller à contre-courant des valeurs néo-libérales pour développer un modèle de santé ancré dans l’héritage anticapitaliste de Mai 68.
IEB avait déjà consacré un dossier de son journal à la santé en 2014 [1]. Nous y pointions les inégalités sociales dans l’accès à la santé, les liens entre cadre de vie et espérance de vie, la responsabilité de l’aménagement du territoire et des politiques de logement sur celle-ci et consacrions déjà un article sur le rôle essentiel de première ligne des maisons médicales dans une ville où 40 % des habitant·es n’ont pas de médecin généraliste et une bonne partie de ceux-ci reportent leurs soins de santé par manque de revenus. À l’échelle planétaire, c’est près de la moitié de la population qui ne bénéficie pas d’une couverture complète des services de santé essentiels.
Le système de santé en Belgique est construit sur trois lignes. La première est constituée des médecins généralistes, la deuxième ligne par les médecins spécialistes et les hôpitaux et la troisième ligne par des services de diagnostic et de traitement très spécialisés généralement implantés dans des hôpitaux. La pyramide belge des soins connaît une hypertrophie des deuxième et troisième échelons tandis que les soins primaires qui interviennent en amont selon un modèle préventif plus que curatif sont malmenés. En 2010, le taux d’hospitalisation en Belgique restait supérieur de 15 % à la moyenne européenne [2]. C’est là tout le combat des maisons médicales depuis 50 ans : aller à contre-courant des valeurs néo-libérales pour développer un modèle de santé ancré dans l’héritage anticapitaliste de Mai 68.
Pour IEB qui se bat pour une ville non marchande dont les habitant·es sont en capacité d’intervenir dans la définition de leur cadre de vie, le modèle des maisons médicales résonne fortement de par son combat pour un droit à la santé qui refuse de réduire le patient à un consommateur de soins.
Le présent dossier s’est construit au travers des interviews de quatre structures liées au monde des maisons médicales :
Au travers de ces échanges sur le vif, nous avons pu reconstruire l’histoire tumultueuse des maisons médicales, dont les prémisses plongent leurs racines dans les années 60, et leur combat face à une médecine libérale composée de spécialistes défendant un modèle de libre concurrence. La mise sur pied d’équipes pluridisciplinaires accompagnant les médecins généralistes et fonctionnant en autogestion pour assurer une médecine préventive, accessible, ancrée dans les quartiers et reposant sur l’autonomie du patient et la prise en considération de la santé dans son sens large.
En effet, le dossier pointera leur rôle dans le développement d’une vision plus globale de la santé prenant en compte une série de déterminants non médicaux tels que le travail, le logement, l’alimentation, le cadre de vie… Cette prise en considération est susceptible d’aider le patient à reprendre pied pour mieux poser ses choix dans sa trajectoire de santé. Et ce parfois de façon collective au travers des pratiques de santé communautaire mises en place par les maisons médicales.
Parmi les déterminants de la santé, toutes les maisons médicales pointent le rôle majeur que jouent les (mauvaises) conditions de logement. Un sujet que nous avons décidé de creuser plus avant dans un article vu notre lutte de longue haleine pour des logements accessibles et de qualité à Bruxelles.
Enfin, nous ne pouvions manquer de mettre en exergue le rôle particulier que ces structures de proximité ont joué durant la crise du Covid. Les différentes périodes de confinement ont en effet fortement exacerbé une série de problématiques déjà existantes. Le confinement a notamment privé certaines catégories de personnes des rares espaces de ressourcement à l’extérieur de chez elles. C’est ici qu’un modèle de santé de première ligne misant sur la proximité, la durée de la relation et la confiance a pu faire ses preuves dans un climat d’incertitude et d’angoisse.
La tendance lourde au libéralisme et à la technocratie ne sont pas en faveur du modèle que défendent les maisons médicales. Néanmoins, celui-ci résiste, croît et fait même des émules comme le montre notre dernier encadré consacré à la toute récente création de maisons de droit offrant une aide juridique pluridisciplinaire de première ligne.
Les maisons médicales ont dépassé leur maladie de jeunesse et font partie désormais du paysage de santé bruxellois et belge. Elles proposent une alternative crédible au modèle dominant de santé, telles des lucioles qui continuent de briller dans nos quartiers au bénéfice de la santé de tou·tes.
[1] « Santé, la fracture », in Bruxelles en mouvements, no 268, janvier-février 2014.
[2] A. HENDRICK et J.-L. MOREAU, 2022, De A à Z, histoire(s) du mouvement des maisons médicales, p. 42.