Au cœur du plateau d’Avijl, site classé depuis 2014, se trouvent des potagers. Ceux-ci forment un écosystème riche en biodiversité, et fournissent au lieu une grande partie de son intérêt et de son caractère si particulier. Pourtant, classer un site qui dépend d’une pratique aussi fragile n’a rien d’évident.
Le plateau d’Avijl, d’une superficie de plus de 88 hectares, situé au sud de la place Saint-Job à proximité du Kauwberg et de Fond’Roy, a un statut intrigant. L’espace est hétéroclyte, composé d’un mélange de sous-bois, de feuillus, de prairies, de clairières, et de potagers, entrecoupés de cheminements relativement intimes. De la fin des années 1930 jusque récemment, l’ensemble était voué à être urbanisé. Les propositions urbanistiques qui se sont succédées reflètent les époques qui sont les leurs. En 1930, la proposition initiale est une extension de l’agglomération par le tracé de voiries, selon un plan qui semble être le simple prolongement de l’existant, faisant presque abstraction du dénivelé du territoire. Dans les années 1960, c’est à un urbanisme moderne d’immeubles « barres » que le projet est voué.
Un plateau en lutte
Ces propositions urbanistiques modernes donneront surtout lieu à une lutte incessante afin de protéger le plateau d’Avijl et d’infléchir son devenir. Aujourd’hui, suite à une procédure initiée par les riverains, environ 75% du plateau est classé, et un PPAS toujours d’application (28ter) prévoit d’y installer environ 200 logements, répartis dans différentes zones constructibles du plateau, dont la commune est majoritairement propriétaire. En près d’un siècle, suite à la mobilisation parfois massive des habitants, très peu de bâtiments ont été construits sur le plateau Avijl. Pourtant, celui-ci est néanmoins utilisé et habité.
Le classement du plateau est intervenu peu après l’adoption du dernier PPAS, et correspond dans les faits à la partie que le PPAS vouait à des espaces verts. Ainsi, le classement ne mettait pas réellement de bâtons dans les roues du projet communal, même si la commune s’est opposée au classement. Ce classement en tant que site n’est pourtant pas un classement en tant qu’espace purement naturel ; il ne s’agit pas d’une requalification en espace vert au PRAS (le plateau Avijl y est toujours en zone d’habitation à prédominance résidentielle) ou d’un classement en zone Natura 2000 par exemple. La situation est donc paradoxale, le lieu étant classé alors qu’il est en zone constructible. Le classement est justifié par des raisons à la fois patrimoniales (historiques), scientifiques (de biodiversité) et esthétiques, détaillées sur la carte jointe à ce numéro du BEM.
Cette situation est intéressante, car elle correspond à une particularité du plateau d’Avijl : il ne s’agit pas seulement d’un espace de nature qui serait à préserver. Le plateau n’est pas une réserve naturelle, il n’est pas un morceau de Nature Vierge cachée au bord de Uccle. S’il existe bien des espaces remarquables à proximité, comme le Kauwberg dont la situation topographique et hydrologique a créé un milieu très particulier, ce n’est pas le cas d’Avijl. Bien sûr, l’endroit est riche, et sa biodiversité importante est intéressante en elle-même, comme l’ont souligné beaucoup de naturalistes. Mais si celui-ci est classé, c’est aussi pour son histoire, et pour les cultures potagères qui s’y pratiquent. Grâce à ces potagers, la biodiversité a réellement eu l’opportunité de se développer. Les haies qui séparent les jardins servent de nichoirs pour les oiseaux, et confèrent au lieu un caractère bocager inédit dans cette région. Les sols riches du plateau permettent à une faune et une flore intéressante de se développer, et ce qui pousse dans les potagers fait un milieu propice à la vie végétale et animale aux alentours.
Une pratique qui met en relation
Il ne s’agit donc pas d’une Nature Vierge, dont il s’agirait d’interdire l’accès aux humains pour protéger sa pureté, mais d’un milieu qui est intéressant parce qu’il est l’objet d’une pratique humaine qui incorpore plantes et animaux. Ce qui a justifié qu’on classe le lieu pour son intérêt à la fois scientifique et historique, c’est que le plateau forme un milieu mettant en relation tous ces êtres et leur permet de trouver une forme de coexistence.
Aujourd’hui la gestion est réalisée à la fois par les habitants et par la commune. Il y a quelques années, des potagers se trouvaient sur les zones vouées à être urbanisées selon le PPAS 28ter. Les jardiniers qui les occupaient reçurent l’ordre de quitter ces terrains. La grande majorité obtempérèrent, mais quelques-uns cultivent encore aujourd’hui, aucun travaux n’ayant commencé. Sur place, il est évident que la pratique des potagers est importante pour le caractère de ces espaces. Dans les zones où la pratique potagère a cessé, les lieux sont littéralement à l’abandon, et deviennent des espaces arborés, moins propice à la biodiversité. Envahies de ronces, les parcelles qui sont dédiées à la construction perdent de leur intérêt.
L’occupation par les potagers, malgré l’ordre de ne plus cultiver, fut un acte de résistance intéressant. En occupant l’espace, ils empêchent celui-ci de se dégrader et maintiennent sa biodiversité et ce qui fait son caractère si particulier. La pratique du jardinage maintien à la fois la biodiversité et l’intérêt historique dont elle est partie prenante. Aujourd’hui, une nouvelle demande de classement a été introduite, qui concerne l’ensemble du plateau, et, la majorité communale ayant changé, le devenir urbanistique du plateau est de nouveau remis en jeu.
L’affiche ci-jointe a été réalisée par Nicolas Prignot et Élise Debouny. Elle s’inscrit dans le cadre d’une recherche sur les hinterlands intérieurs en Région bruxelloise, menée depuis 2015 en collaboration avec Benedikte Zitouni, Chloé Deligne, Noémie Pons-Rotbardt et Livia Cahn, à l’ULB LIEU et l’USL-B CES, avec le soutien d’Innoviris.
À propos des « Écologies de Bruxelles », voir le blog http://ecobxl.hypotheses.org. Contact : ecobxl@collectifs.net. |