Inter-Environnement Bruxelles
© IEB - 2021

Le développement durable au féminin : savoir faire la vaisselle en économisant l’eau ?

Isabelle Hochart — 24 juin 2011

Les principes et recommandations liés au concept du « développement durable » peuvent-ils renforcer la parité entre les hommes et les femmes ?

Dans quelles mesures les nombreuses stratégies mises en chantier au nom du développement durable contribuent-elles (ou non) à démonter les vieux préjugés sur la place et le rôle des femmes dans la société et contribuer à bousculer enfin les vérités intangibles maintenues par les traditions, les processus éducatifs et les petits gestes du quotidien transmis immuablement d’une génération à l’autre ? Doit-on considérer le développement durable comme un virage historique possible qui pourrait offrir aux femmes l’opportunité de gagner un peu plus en autonomie, en indépendance, en liberté et permettre ainsi de réduire bien des inégalités liées au genre ?

La question est complexe et les contextes multiples. Ni étude ni analyse, cet article est une modeste réflexion issue de la lecture de quelques articles sur le sujet et le recueil de quelques témoignages. Une invitation à réfléchir sur ce nouveau concept un peu fourre tout qu’est le développement durable et sur la manière dont la question des femmes et leur implication y est abordée.

Petit rappel historique

C’est en 1992 à Rio lors de la conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement qu’a été adopté la notion de Développement Durable, faisant émerger une série d’actions, de recommandations et d’objectifs proposés à l’intention des gouvernements. Si la convention cadre, signée par 192 états, fait abstraction de la question du genre, l’implication des femmes fait tout de même une courte apparition au chapitre 24 de l’agenda 21 : « Action mondiale en faveur de la participation des femmes à un développement durable et équitable », sont alors énumérés des principes d’actions, des objectifs et des activités (entre autres) « pour mettre un terme à la discrimination fondée sur le sexe et permettre aux femmes d’avoir un accès à la terre et aux autres ressources ainsi qu’à l’éducation et un emploi sûr et dans des conditions d’égalité .../... La mise en œuvre de ces programmes dépendra de la participation active des femmes aux décisions économiques et politiques et sera essentielle à l’exécution du programme Action 21. »

La parité entre les hommes et les femmes, même en Occident, n’est toujours pas acquise dans bien des domaines : égalité des salaires, partage des tâches quotidiennes, accès aux études, à la connaissance, représentation de la parole des femmes dans les prises de décisions, droit à la propriété etc. la liste est longue et n’est parfois, selon les contextes, essentiellement applicable que dans les textes (souvent rédigés par des hommes d’ailleurs) mais pas trop dans les faits. Dans la plupart des pays en voie de développement être une femme, c’est souvent être finalement bien peu de chose.

Depuis 1992 hélas, force est de constater que la pauvreté se conjugue mondialement de plus en plus au féminin. Les rapports sociaux et de pouvoirs entre hommes et femmes n’ont pas ou très peu évolué et la mise en œuvre des nombreuses recommandations en faveur du développement durable ne semble pas avoir une quelconque influence sur l’émancipation des femmes.

Pourtant, par le biais de stratégies participatives prônées au nom du développement durable, elles sont souvent sollicitées pour de nombreux projets parce ce que considérées comme le moteur essentiel, la courroie de transmission indispensable pour atteindre les objectifs de « bonne gouvernance » cités dans l’Agenda 21.

Un programme féminin peu développé

Le développement durable intègre obligatoirement la préservation de l’environnement mais aussi une bonne gestion de l’économie ainsi qu’une démarche d’amélioration sociale. L’implication de l’ensemble de la collectivité ainsi que la participation citoyenne sont également des facteurs incontournables de réussite au même titre que la mixité sociale. Autre élément important, l’intégration et la représentation des populations les plus fragiles ceci afin de renforcer la solidarité et les égalités sociales.

Il est bien évident que les femmes sont tout particulièrement concernées par tous ces principes énoncés parce que, comme évoqué plus haut, elles sont partout les premières victimes de la discrimination et de la pauvreté. Par ailleurs, et c’est un facteur non négligeable, dans la plupart des sociétés c’est encore et toujours les femmes qui sont en charge de l’éducation des enfants et donc de la transmission des savoirs, des traditions et de la culture. Dans les pays en voie de développement et plus particulièrement dans les campagnes, elles sont également des acteurs de première ligne pour l’utilisation et la gestion des ressources naturelles car ce sont souvent les femmes qui sont en charge de la récolte de l’eau et de l’organisation agricole (sauf dans les grandes exploitations où ce sont évidemment les hommes qui dirigent).

Elles sont alors devenues des cibles incontournables pour toutes une série d’initiatives étiquettées DD, toutes blindées de bonnes intentions. Cependant il convient de rester attentif et critique. D’abord parce que la plupart du temps ces projets restent assez modestes, discrets et peu valorisés, ensuite parce qu’il semblerait qu’au sein même de ces initiatives les femmes restent cantonnées dans des rôles de second plan et « de petites » mains. Elles sont concrètement sur le terrain, particulièrement dans le secteur associatif mais souvent bénévoles, peu représentées dans le secteur des entreprises et pratiquement absentes aux postes de direction et encore moins à la tête d’entreprises.

Certains projets liés au développement durable récupèrent sans problème la participation des femmes au détriment de celles-ci et la question de l’émancipation utilisée, voire détournée, comme l’illustre l’exemple suivant emprunté à Jules Falquet dans son analyse « “Genre et développement” : une analyse critique des politiques des institutions internationales depuis la conférence de Pékin » : « Un cas d’école est constitué par les projets d’agriculture “moderne” et éventuellement irriguée pour l’exportation, destinés à fournir de meilleurs revenus monétaires aux familles. Dans les faits, ces projets sont réalisés presque exclusivement par des hommes et pour leur propre bénéfice, en rognant sur les terres cultivées par les femmes et en utilisant l’eau dont elles ont besoin. Aux femmes, on propose ensuite... un micro-projet de potager pour nourrir les enfants de l’école ». Cherchez l’erreur !

Développer durablement des systèmes égalitaires

Afin d’éviter ces dérives il conviendrait d’inclure la participation des femmes à chaque phase des projets, de la conception en passant par la mise en œuvre et le financement jusqu’à l’ évaluation.

Ce serait également intéressant de démarrer des projets en fonctions des demandes et des besoins des femmes au niveau local. Actuellement les décisions viennent presque toujours « d’en haut », les initiatives souvent élaborées loin de la réalité de terrain et orchestrées par des hommes.

Tous les témoignages s’accordent pour affirmer qu’il y aurait une réelle pertinence d’établir une grille d’approche du genre, d’intégrer la question des femmes dans tous projets liés au développement durable pour faire évoluer la réflexion et les actions vers un système plus égalitaire.
Pour améliorer la condition des femmes bien sûr mais aussi pour renforcer les perspectives du développement durable.

Il est indispensable de renforcer le droit des femmes à toute les étapes de pouvoir et d’établir une parité hommes/femmes à tous les niveaux de société. Elles sont partout reconnues comme des individus volontaires, fiables et de grande capacité. Elles sont par contre encore trop peu nombreuses dans les métiers dits « techniques » intégrés dans le secteur du DD, pour les énergies renouvelables par exemple.

Le Développement Durable pourrait réellement servir de levier (plus certainement dans les pays en voie de développement) pour éveiller les consciences et encourager l’implication et la prise en considération des femmes, participer à leur émancipation, aider à dénoncer les violences et à long terme les éradiquer et plus largement développer des systèmes égalitaires, dans bien des domaines où la plupart du temps les hommes sont encore les seuls maîtres à bord.

Références

  • « Femmes et développement durable, Vision d’avenir et recommandations », Claudine Drion, Collection Analyse et plaidoyer – Le Monde selon les femmes.
  • Intervention au Colloque annuel de l’IUED (Institut Universitaire pour l’etude du Développement), Genève, 30 janvier et 1er février 2003.
    Paru sous le titre : « “Genre et développement” : une analyse critique des politiques des institutions internationales depuis la Conférence de Pékin ». In : Reysoo, Fenneke ; Verschuur, Christine. On m’appelle à régner. Mondialisation, pouvoirs et rapports de genre. Les colloques genre de l’IUED, Genève : Direction du développement et de la coopération. Commission Suisse pour l’UNESCO, Institut universitaire d’études du développement.

Exemples et témoignages

  • Un espoir de parité déjà éteint. Grâce à un système d’épargne collective solidaire et une habile composante de financements publics, 14 familles se sont lancées dans la construction d’une maison passive en co-propriété. Durant quatre années, ces propriétaires en devenir se sont réunis pour réaliser ce projet qu’ils ont très symboliquement baptisé « L’Espoir » (à Molenbeek).
    Pour avoir assisté à quelques réunions de préparation, j’ai le souvenir de femmes très motivées et impliquées dans le projet au même titre que leurs partenaires masculins. Loin d’être effacées, que du contraire, elles étaient débordantes d’une énergie et d’un enthousiasme communicatif. Dans les14 familles impliquées, 3 sont gérées par des femmes. Aujourd’hui les travaux sont terminés et les familles installées dans leurs logements. Selon le témoignage du CIRE (partenaire du projet), si les femmes ont été effectivement très actives tout au long de l’élaboration du projet, elles sont visiblement moins impliquées maintenant qu’elles sont installées dans leur logis. Que ce soit dans la gestion collective de la co-propriété, l’intégration dans le quartier ou l’organisation des activités liés au site (les loisirs des enfants, le jardin collectif), les hommes ont dorénavant priorité de parole dans ces domaines et prennent de plus en plus de place. La personne du CIRE qui a accepté de répondre à mes questions n’a pas de véritables explications concernant ce retrait soudain des femmes et mentionne la pertinence d’ accompagner ce type d’initiative d’une grille de lecture du genre pour garantir une parité hommes/femmes, avant, pendant et après la réalisation des projets.
  • Les femmes à la maison... du Développement Durable. Mundo B, la maison du Développement Durable à Bruxelles abrite plus ou moins 35 associations qui travaillent sur la thématique de l’environnement. Le directeur a gentiment accepté de partager ses impressions et son expérience en y introduisant une réflexion sur la question du genre : « Le domaine associatif semble attirer plus de femmes que d’hommes, peut-être parce que c’est un secteur qui offre plus de disponibilité et de flexibilité. Ici dans chaque association les femmes sont très présentes et impliquées notamment dans les activités et les évènements communs autour de la convivialité. Cependant s’il y a une réelle volonté d’instaurer la mixité et la parité entre les femmes et les hommes, ce n’est pas toujours si simple à réaliser. Le conseil d’administration par exemple est essentiellement composé d’hommes mais présidé par une femme. Au service de nettoyage nous parvenons à créer des équipes mixtes, en revanche lors du recrutement du personnel pour les fonctions d’accueil et d’intendance pour la cafétéria nous n’avions guère le choix, la majorité était des candidates ! Et dans les cuisines, les hommes sont surtout aux fourneaux et les femmes plus au service. Visiblement ce n’est pas si évident de changer les clichés et les habitudes même quand les intentions y sont. »
par Isabelle Hochart

Chargée de mission urbanisme de 2010 à 2016.