La Porte de Ninove est située entre l’écluse de Molenbeek et le début de la rue des Fabriques, à cheval sur le territoire de la Ville de Bruxelles et celui de la commune de Molenbeek-Saint-Jean. Un espace qui, au fil des années et des législatures, a fait l’objet de multiples tractations politiques et spéculatives.
Le plan d’aménagement directeur (PAD) de la Porte de Ninove a été récemment soumis à enquête publique et a suscité beaucoup de réactions de la part des habitants et des associations du quartier. Il se présente comme une opportunité pour les quartiers avoisinants et prétend apporter « des améliorations locales » alors qu’en réalité, sa seule fonction est de permettre la construction de trois tours. Des tours dont la construction n’aurait pas été autorisée si l’on applique les règles en vigueur, notamment le RRU [1]. Le PAD justifie l’utilité des tours par un arrêté ministériel, qui s’appuie lui-même sur la nécessité de densifier cette zone pour répondre à l’essor démographique que connaît Bruxelles. Le second argument avancé en faveur des tours est que « celles-ci formeraient un signal pour marquer l’entrée de la ville », indispensable donc.
Un Plan d’aménagement Directeur est un outil dérogatoire, grosso modo, il permet pour la région d’imaginer un aménagement sur un territoire en dépit des règles qui s’y imposent. En théorie, il est également l’occasion de penser sur une relativement grande échelle, la destination des sols, les aménagements nécessaires, etc. De ce fait on ne peut que questionner les fondements de ce dispositif qui déroge à tout autre plan et règlement urbanistique (PRDD, RRU, PRM…). Il ne s’inscrit en conséquence pas dans la vision globale établie au niveau régional.
Le terrain qui nous occupe ici est loin d’être immense, et à quelques centaines de mètres, un autre PAD est actuellement soumis à enquête publique, le PAD Heyvaert, ce dernier aurait pu aisément être étendu jusqu’au terrain. En réalité, l’impression prégnante est que ce nouveau dispositif permet de faire des plans "sur mesure" pour de grands promoteurs privés, dans notre cas : Besix.
La lecture du PAD que nous avons réalisé ainsi que nos contacts et nos connaissances du terrain nous amène au constat que le projet proposé ne répond aucunement aux besoins locaux. On parle pourtant de quartiers qui compte parmi les plus denses d’Europe, qui manquent cruellement d’espaces verts et ouverts, d’espaces publics et d’équipements collectifs accessibles à tous.
La construction de ces tours induit inévitablement des conséquences sur les prix du foncier. Tout d’abord, en autorisant la construction de tours sur un terrain sur lequel ce n’était pas autorisé, la région envoie un signal fort. En effet, la valeur du sol aux alentours va augmenter, du « simple fait » qu’il paraîtra désormais possible d’y faire également construire des bâtiments élevés.
Ensuite, la typologie des logements et des activités prévues sur les trois tours, drainera un large public disposant en moyenne d’un revenu nettement plus élevé que celui des habitants actuels, induisant presque inévitablement une gentrification brutale.
Ces deux éléments peuvent, légitimement, faire craindre aux habitants actuels du quartier une pression encore beaucoup plus forte qu’ à l’heure actuelle sur leur loyer. Ces zones concentrent déjà des ménages en difficulté financière, tandis que les loyers sur l’ensemble de Bruxelles ont grimpé de près de 25 % ces quinze dernières années, le PAD va renforcer cet effet de hausse des prix avec les conséquences sociales que cela entraîne.
Du point de vue de l’environnement urbain, le projet de trois tours créera une rupture urbaine et paysagère qui est en totale contradiction avec la volonté de relier les quartiers originellement séparés par le canal et la petite ceinture.
En effet, le PAD souligne la volonté de la Région de relier les quartiers jouxtant la Porte de Ninove. Parallèlement, le CRU5 a pour ambition de créer des “agrafes” entre les communes pour connecter Molenbeek et Anderlecht à Bruxelles. Malheureusement, imposer de tels gabarits revient à créer une gigantesque barrière entre trois communes voisines. Il s’agit d’une incohérence manifeste entre le PAD et différents dispositifs en cours tels que les CRU.
Le projet sépare de manière radicale et disproportionnée les logements au niveau de leur disposition dans le quartier, entre logements sociaux d’une part, et logements privés de l’autre. Des ensembles bâtis plus mixtes seraient donc hautement souhaitable.
L’Espace Pierron sera rogné d’une partie non négligeable de sa surface de jeu/détente. Or cet espace est intensément utilisé par les associations du quartier et par les familles. Il n’est pas envisageable de vouloir diminuer sa superficie pour y construire de nouveaux bâtiments, qu’ils soient résidentiels ou d’équipements. Il faut préserver cet espace à tout prix car il est l’un des rares espaces qui répond à un besoin criant pour les enfants et les adolescents.
Les trois tours prévues sont beaucoup trop hautes et imposantes (la tour la plus haute atteindra 90 mètres).
Les hauteurs admises par le PAD émanent d’une volonté de rentabilité. Rappelons que la Tour Brunfaut - déjà tour iconique du quartier - culminait à 50 mètres avant sa rénovation ; il n’est pas nécessaire de justifier ces constructions par « l’appel urbain ».
Le PAD devrait avoir pour fonction de réduire le gabarit constructible à cet endroit, de façon à préserver les vues, les liaisons et les perspectives.
En situation existante, entre le parc et les futurs projets d’habitation réaffectation de l’ancien « Dépot Design », Imprimerie Hayez, etc.) le quartier vit et vivra encore une longue période de travaux, avec les nuisances qui les accompagnent. Il est important que le quartier puisse respirer. La construction des trois tours prévues dans le PAD augure de nombreuses années supplémentaires de chantiers.
Les habitants ainsi que les associations locales déplorent que le PAD projette la densification d’un quartier qui est déjà saturé.
Ajouter 30 000 m² d’habitations et d’hôtels dans un quartier qui souffre déjà d’une surpopulation est à notre sens une mauvaise décision.
En outre, l’accumulation d’autres projets dans ce quartier entraînera un large afflux de nouveaux habitants.
Pourquoi la Région choisit-elle de mettre ce quartier sous pression ?
La Région ne parlait-elle pas dans le PRDD d’une densification qualitative et maîtrisée et d’un rééquilibrage entre les quartiers plus denses et moins denses de la ville ? Il semble qu’on en soit loin...
Les incidences sur la mobilité sont trop faiblement évaluées dans le RIE (rapport d’incidences environnementales).
Il faudrait davantage prendre en compte et mieux analyser les conséquences du projet sur les besoins en transports publics. En effet, le projet risque d’accroître la demande et d’alourdir les problèmes de circulation dans le quartier.
Le Triangle est enclavé entre la petite ceinture, qui est déjà saturée, et le canal, où les voies de circulation sont à sens unique et à l’arrêt pendant les heures de pointe. Permettre l’implantation d’un hôtel de 250 chambres, d’une tour d’appart-hôtel et d’une tour de logements ne peut qu’augmenter les flux de circulation motorisée (bus touristiques, taxis, voitures privées). De plus, aucune disposition concernant l’augmentation des flux motorisés n’est développée dans les documents du PAD ce qui est par ailleurs ne serait pas souhaitable pour l’avenir du quartier.
Le stationnement sera encore plus difficile qu’à l’heure actuelle.
Le RIE souligne le risque important de créer un report de stationnement dans les quartiers voisins. La situation actuelle est loin d’être optimale et ce PAD va l’empirer en proposant des centaines de nouveaux résidents motorisés auxquels vont s’ajouter les occupants des 250 chambres d’hôtel. Le parking souterrain projeté ne sera pas suffisant pour absorber l’ensemble des besoins que ce projet induit.
Plus précisément, le rapport d’incidences indique qu’il n’y a pas assez de places sur le triangle Besix pour y créer tous les emplacements de parkings nécessaires, loin de là. Où se stationneront dès lors les autres voitures des habitants des trois tours ?
Le projet ne garantit aucune durabilité et, au contraire, fige le tissu urbain dans une proposition indélébile qu’il sera difficile de corriger plus tard. Les tours à Bruxelles ont donné lieu à de nombreux échecs urbanistiques (avec des répercutions pour les quartiers qui les abordent) depuis les années 60.
Au niveau écologique, le projet que le PAD rend possible sur la parcelle triangulaire du promoteur Besix est insensé. Il n’y a aucune étude sur l’empreinte carbone de la construction des tours. Les tours à Bruxelles ont déjà prouvé leur faible durée de vie, leur important taux de rotation d’occupation et leur taux de vacance très élevé. Par ailleurs, une fois construites, il est difficile et coûteux d’améliorer leur intégration dans le tissu urbain (voir le cas des tours WTC et Upsite, qui sont des échecs manifestes à Bruxelles en terme d’activation).
Ce projet s’inscrit dans la droite ligne d’un mode d’urbanisme révolu, responsable en son temps de ce qui a, par la suite, été désigné sous le terme de « Bruxellisation ». En voici la définition : « La Bruxellisation est un terme utilisé par les urbanistes pour désigner les bouleversements urbanistiques d’une ville livrée aux promoteurs au détriment du cadre de vie de ses habitants, sous couvert d’une ‘modernisation’ nécessaire » [2].
La pauvreté de la proposition urbanistique nous fait craindre un nouvel échec dévastateur pour le quartier et ce, tant d’un point de vue objectif (ombres portées, tourbillons…) que subjectif (manque d’intimité dans l’espace public, espaces aseptisés, sensation d’écrasement, perte de la ligne d’horizon…). Le pied des tours est une zone où les usagers ne font que transiter. Or, c’est du contraire dont a cruellement besoin la Porte de Ninove ; il faudrait y créer des espaces ouverts ou aérés, composés d’espaces publics de qualité qui seraient perméables aux quartiers des alentours.
Le projet privé Besix bénéficie d’un environnement propice à la spéculation immobilière. Avec d’un côté, le canal en perspective et de l’autre, un grand parc financé par les pouvoirs publics. Puisque le parc et le réaménagement des espaces publics sur et autour du Triangle seront financés par les pouvoirs publics, il serait légitime de récupérer la plus-value foncière ainsi octroyée à Besix dont le projet sur le terrain voisin bénéficiera directement.
Une autre possibilité serait que, le terrain appartenant à Besix n’ayant pas grande valeur sans ce PAD, la région l’exproprie pour en faire un projet d’utilité publique.
Le quartier aspire en cet endroit à une ouverture, à un dégagement paisible permettant aux différents habitants de la zone de s’y détendre et s’y côtoyer, une zone où l’on peut apprécier une vue dégagée, où l’on peut voir les différents points de repères de la ville de Bruxelles (la flèche de l’Hôtel de ville, le dessus de la commune de Saint-Gilles, le palais de justice, le Mima et l’hôtel Bellevue, et apprécier le canal et le futur parc régional).
Les habitants et habitantes du quartier ont des besoins que ce terrain pourrait permettre de combler. Parmi ceux-cis :
Ancien travailleur d’IEB
[1] Règlement Régional d’Urbanisme, il s’agit du règlement qui fixe, notamment, les hauteurs autorisées, la taille minimale des logements, etc.
[2] source Wikipédia