Inter-Environnement Bruxelles
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Le Commun de nos communs

Dans le cadre du festival Le Temps des communs, Bruxelles n’était pas à la traîne. Plus de vingt propositions et rencontres ont eu lieu durant les quinze jours du festival. Or aucun moyen n’a été alloué à un tel projet drainant un public nombreux. C’est dire si le potentiel est fort et la demande présente. Quelque chose se passe, assurément sur le front des communs.

Partons à la conquête

C’est qu’avec les communs, il s’agit de reconquérir, recréer et réinventer ce dont nous nous sommes laissés déposséder depuis le temps des enclosures, au moins. Fondamentalement une culture du commun, une culture du faire communauté, comme un acte politique. Réapprendre cette culture du commun doit s’exercer de manière concrète dans un monde où pourtant la technologie soutenue par la finance devenue dominante produit un social extrêmement segmenté, parcellisé et tout à la fois globalisé.

Expérimentons

Nos expériences seront multiples et situées dans des lieux ou autour « d’objets » divers. Avec les commonalités [1], chaque fois et toujours, il s’agira d’inventer les conditions concrètes de ce qui permet la production de ce commun, en discutant des choix techniques et financiers, de la répartition des temps de labeur qui permet l’appropriation collective et des règles de gestion qui évitent que les bénéfices individuels se fassent sur les productions communes, en inventant des nouvelles formes de droit qui renforcent les usages, ainsi que les commoneurs du logiciel libre l’ont montré.

Apprenons dans l’échange

Pour chaque situation, il faudra réapprendre à réinternaliser les contradictions que le capitalisme externalise : les inégalités sociales, les pollutions environnementales, etc. Il est de nombreuses situations où le commun s’expérimente déjà, nécessitant à chaque fois un travail patient et créatif – même lorsque l’objet est « petit » –, la mobilisation et la production de savoirs sur ces trois niveaux de l’écologie de nos pratiques : environnemental, social, individuel.

Montrons nos liens de coopération

Il s’agira de penser, agir et sentir ce que nous fabriquons. C’est dire que, à chaque fois, il s’agira de traiter ces commonalités concrètement et avec précision. Montrons les liens de coopération que chacun de nous parvient à créer réellement. Et montrons aussi la façon dont ces liens se rattachent matériellement au tissu social, local, ou parfois plus largement. Mais c’est dire aussi combien nous serons limités et humbles dans nos expérimentations. Il ne sera pas impossible de voir des expérimentations prendre des voies différentes, voire entrant en conflit.

Soyons conscients

Soyons conscients des « fractures » que nous participons parfois nous-mêmes à fabriquer (en tant que citoyens, collectifs, porteurs de projets), des cercles sociaux segmentés, parcellisés, globalisés auxquels nous continuons (que ça nous plaise ou non) à appartenir... aussi beau que soient les projets que l’on porte. Et apprenons à nous ouvrir à d’autres réalités…

Instituons

Nous instituerons de nouvelles règles de gouvernance de nos communs renforçant les droits d’usage. Les objets que nous produirons seront hybrides assurément, s’alliant parfois à des formes publiques et privées aussi. Par nos pratiques instituantes émancipatrices, nous créerons de nouveaux imaginaires sociaux où autonomie ne signifie pas déconnexion...

Fédérons nos luttes, mutuellisons nos compétences

Alors que dans le même temps continue d’évoluer ce qui détruit le commun, comme la vente des terres communes à ceux qui en feront des profits, les accords sur le TTIP qui sont si secrets et totalement non démocratiques, le brevetage des semences, etc. L’esprit critique doit rester de mise. Fédérons nos résistances et nos commonalités territoriales, environnementales, virtuelles ou élaborées dans le travail, à l’instar de ce que proposait le festival Temps des communs mais sur la durée et dans toutes les langues de notre babel bruxelloise. Il nous faudra échanger nos savoirs, nous soutenir et nous critiquer les uns les autres, co-évaluer, co-produire, co-créer, coopérer, mutuelliser, apprendre à codécider, rendre public aussi. Il nous faudra nous lier aux savoirs constitués sans perdre l’expertise des savoirs populaires ou d’usage. Souligons les moyens que l’on se donne et les efforts que l’on fait pour faire sortir nos propres liens, ressources, idées, outils, etc., des lieux où ils sont parfois enfermés.

Élaborons ensemble le Commun de nos communs

Quelles seront les formes de ce Commun de nos communs ? Banque de données, lieux d’échanges, universités de quartiers, espaces de co-formation, tiers lieux, groupes de travail, cafés politiques, cadastres des communs, groupes de pression, Festival, publications ? Tout cela à la fois ? Cela prendra la/les forme/s que nous lui donnerons en évitant que des décisions ne se prennent en surplomb de ce que nous sommes.

Résistons à la barbarie qui vient

Dans un monde où le climat se réchauffe, où les migrations forment un flux continu et où les frontières redeviennent des murs, où notre sécurité se transforme en état de guerre permanente, où l’austérité est l’unique réponse politique à la dualisation de la société où les riches sont toujours plus riches (et plus nombreux) et les pauvres toujours plus pauvres (et plus nombreux), où la culture est la consommation, etc., à l’évidence, les catégories classiques des formes de gouvernance ne suffisent plus pour prendre la mesure de ce qui se passe. Si c’est bien là comme le dit Isabelle Stengers [2] « une barbarie qui vient » apprenons à résister par la construction patiente des commonalités et en inventant une démocratie plus radicale et plus pragmatique.

Quelques commoneurs bruxellois :
Philippe De Clerck, Geert De Pauw, Loïc Géronnez, Verena Lena, Swen Ore, Dominique Nalpas, Mathieu Simonson, Olivier Meunier, Sophie Ghyselen, Frédéric Sultan, Hanne Van Reusel, Martine de Gerlache, Maxime Lê Hung.


[1Comme l’indiquait Serge Gutwirth, professeur à la VUB, ce terme emprunté signifie clairement la dimension processuelle des communs. Il n’est de commun sans production commune. There is no commons without commoning.

[2Nous nous inspirons ici de l’ouvrage d’Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes. Résister à la Barbarie qui vient, Paris, Editions la Découverte, 2009.