C’est assorti de 66 conditions (en réalité 64 car deux sont vides) que la commission de concertation de la Ville de Bruxelles a rendu un avis favorable pour le projet « Lake Side » à Tour et Taxis. Malgré un avis minoritaire défavorable de la commune de Molenbeek, plus de 270 réclamations envoyées et la remise d’une pétition de 3.162 signataires pour demander un rééquilibrage du projet en faveur du logement abordable et social, des équipements et des activités productives en lien avec le quartier, la réponse des pouvoirs publics n’est clairement pas à la hauteur des enjeux, en particulier en ce qui concerne le logement abordable.
Parmi les conditions notables, on peut noter le doublement des équipements collectifs prévus, qui passeraient de 2,5 à 5 % du projet. Rappelons toutefois que les trois équipements projetés (crèche, bibliothèque et espace de formation) ne sont que des hypothèses au stade de la demande de permis, sans garantie sur le programme final. Rappelons également que le schéma directeur précédant le PPAS demandait un minimum de 20 % d’équipements à l’échelle du site, soit le double de ce qui est finalement exigé pour Lake Side.
En ce qui concerne le logement, la commission a demandé de varier la typologie des logements pour que les logements 3 chambres représentent 25 % de l’offre (contre 15 % dans le projet de Nextensa), sans pour autant préciser si ces logements seront privés ou conventionnés. Or, c’est bien sûr le volet du logement abordable que l’avis de la commission est le plus problématique. Sur les 737 logements projetés dans Lake Side, la Ville annonce que 185 de ceux-ci seront abordables.
En réalité, la moitié sera du logement conventionné + 25, ce qui signifie vendu seulement 5 % en dessous du prix du marché, tandis que l’autre sera effectivement du logement conventionné classique (vendu 30 % en dessous du prix du marché), mais sans aucune clause interdisant la revente immédiate sur le marché privé. Au mieux donc, moins de 100 logements réellement abordables, et ce, seulement lors de la première vente...
La seule manière d’augmenter de manière pérenne le stock de logements abordables au niveau régional aurait été d’imposer un quota de logements sociaux sur le site. Un mois avant le début de l’enquête, le promoteur avait annoncé son intention de créer 61 logements sociaux (soit 4 % du total de logement à Tour et Taxis) et de les proposer à la SLRB. Nous avions alors dénoncé un effet d’annonce visant à faire mieux accepter la démesure de « Lake Side »… L’avis de la commission de concertation confirme cela puisqu’il n’est plus fait mention de ces logements ou d’une obligation de contacter un opérateur de logement social pour confirmer leur réalisation.
Dès lors, il ne restait qu’une seule carte dans la manche de la Ville de Bruxelles pour augmenter un peu le nombre de logements abordables sur le site, soit l’utilisation des charges d’urbanismes pour imposer la création de logement social par le promoteur. Une occasion à nouveau manquée puisque la Ville a annoncé qu’elle demandera à ce que les charges soient payées en espèces. Une décision empêchant toute visibilité sur l’utilisation future de cet argent…
Pour le reste, la commission de concertation demande d’augmenter les surfaces de pleine terre afin d’augmenter la perméabilité d’un site bétonné à 70 % pour du parking souterrain, en rajoutant un deuxième étage de parking sous le bâtiment A20.
De plus la volumétrie générale du projet devra être modifiée, en particulier le bâtiment B13 qui devra être revu à la baisse pour ne pas dépasser 4 étages. Une modification qui pose question dans la mesure où le projet actuel dérogeait déjà au Plan Particulier d’Affectation du Sol (PPAS) en construisant moins de mètres carrés de logement qu’imposés. Cette nouvelle réduction pourrait entrainer deux possibilités :
a) Le saucissonnage du projet Lake Side avec un premier permis délivré et une nouvelle phase d’urbanisation dans le futur sous la forme d’un nouveau bâtiment et de plusieurs rehausses des bâtiments déjà construits. Une nouvelle phase qui serait non seulement contraire à la demande de réduction dans le présent avis, mais aussi aux conclusions de l’étude d’incidences environnementales mise à l’enquête et qui jugeait le respect du PPAS comme étant défavorable sur tous les aspects étudiés.
b) De manière plus probable, une abrogation du PPAS après la délivrance du permis pour « Lake Side », faisant tomber de facto l’obligation de constructions supplémentaires. Ce qui démontrerait toute l’absurdité du raisonnement des pouvoirs publics qui se disent coincés par un cadre réglementaire qu’ils ont eux-mêmes adopté et qu’ils peuvent modifier ou supprimer à l’envi !
Une autre question reste en suspens à la lecture de l’avis de la commission de concertation : les modifications de gabarits, d’organisation interne des bâtiments et du parking nécessiteront-elles une nouvelle enquête publique ?
Au milieu de ces incertitudes, il ressort en tout cas clairement que les partis politiques qui avaient fait du logement abordable la priorité lors de leur campagne électorale ont finalement déroulé le tapis rouge à un promoteur immobilier qui fera plus d’un milliard d’euros de sur-profits grâce à leurs coups de pouce réglementaires (modification du Plan Régional d’Affectation du Sol, création d’un PPAS sur mesure, etc.) en échange de retour pour la collectivité anecdotique ou inexistant : portion congrue d’équipements collectifs, faible proportion de logements réellement abordables, absence d’activités productives ou de création d’emploi pour les habitant.es du quartier… La seule manière de créer un projet plus équilibré sur le site de Tour et Taxis est de modifier aujourd’hui le PPAS cadrant le site, pas de l’abroger dans quelques années !