Située à Molenbeek, la tour « Brunfaut » construite en 1964 accueille aujourd’hui 250 habitants. La commune va la faire rénover en gardant une grande partie des habitants sur place.
La problématique de la démolition reconstruction n’est pas réservée aux bureaux de la rue de la Loi… Les tours de logements qui ont poussé à partir des années 60 posent également des problèmes compliqués lorsqu’il s’agit de les rénover. Multipropriétaires, contraintes techniques importantes, changements dans les goûts esthétiques ont souvent mené à l’idée qu’il valait mieux détruire ces tours pour reconstruire du logement autrement et ailleurs. Il faut souligner que ces tours n’ont jamais été pensées pour être rénovées, et n’ont donc pas été construites pour pouvoir évoluer facilement.
En France, la démolition de « grands ensembles » est devenue une vraie politique, menée par l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine. Les raisons de ces démolitions ne sont pas que la vétusté des immeubles et les contraintes techniques, mais elles cachent mal un problème social important : incapable de régler les problèmes sociaux de ces cités, on préfère attribuer les problèmes à l’architecture et reconstruire pour espérer des améliorations des situations.
Une tour typique de l’architecture moderne
Située à Molenbeek, face à la porte de Ninove de l’autre côté du canal, la tour construite par Brunfaut en 1964 accueille aujourd’hui encore environ 250 habitants, sur 16 étages, dans 97 unités de logements sociaux. Elle est construite dans un style typique de l’architecture moderne, avec du béton et du verre, sans balcon. Lisse, elle offre une forme très simple, épurée. Comme les autres tours de cette époque, l’organisation de celle-ci se veut rationnelle, maximisant l’espace utile et les entrées de lumière naturelle.
Qu’on apprécie ou pas l’esthétique de la tour, celle-ci peut néanmoins être caractérisée par une série de points forts. Tout d’abord, que l’on l’aime ou pas, dans la tour habitent plus de 250 personnes. Et dans un situation où le manque de logements sociaux est évident, c’est certainement un avantage ! Mais une série d’autres arguments peuvent être avancés, et qui concernent d’autres immeubles de logements collectifs : une distribution simple et efficace des logements, avec un minimum de matériaux pour un maximum d’espace. Par ailleurs, la tour Brunfaut offre de grandes baies vitrées, avec beaucoup de lumière naturelle, mais aussi de belles vues. Sa structure relativement simple permet justement la rénovation.
Néanmoins, la commune de Molenbeek avance une série de problèmes, qui nécessitent un travail important sur la tour. Le bâtiment a vieilli extérieurement, mais intérieurement également : les installations électriques et de chauffage ainsi que les ascenseurs sont vétustes. Les normes du logement et les normes de sécurité ayant évolué, la tour présente aujourd’hui des déficits de sécurité. Des travaux ont été effectués néanmoins pour garantir une bonne protection incendie. Par contre, l’isolation énergétique de la tour est loin de correspondre à ce qui se fait aujourd’hui en matière d’économie d’énergie. On peut encore ajouter à cela des changements dans les modes de vie ou dans la taille des habitations, qui rendent aujourd’hui la tour moins conforme aux standards actuels.
Surtout ne pas détruire
Face à cette situation, la commune et le logement molenbeekois ont commandé un étude pour poser la question de sa rénovation ou de sa démolition, ou encore de quelle rénovation il pouvait être question. On a alors confié aux architectes Lacaton et Vassal le soin d’étudier la possibilité de réhabiliter la tour.
L’optique choisie par le bureau Lacaton et Vassal est intéressante et mérite en soi qu’on s’y attarde. Ces architectes ne sont pas connus pour leurs « grands gestes architecturaux » ou leurs ambitions démesurées d’artistes en manque de reconnaissance. Leur travail se situe justement à un tout autre niveau. Explorant les possibilités propres d’un lieu, Lacaton et Vassal tentent d’intégrer les contraintes de l’existant et de proposer des solutions qui correspondent au mieux à ce qui existe déjà, que ce soit des bâtiments, des formes ou des usages. Ainsi, cette démarche les a amené parfois à tout simplement proposer de ne rien faire dans un lieu, si ce n’est investir dans la maintenance. Alors qu’aujourd’hui on construit sans entretenir, puis s’étonne ensuite de la dégradation des choses (comme dans nos avenues pavées du centre ville de Bruxelles), l’appel de Lacaton et Vassal pour la place Léon Aucoc de Bordeau était simple : ne changez rien, mais entretenez-la.
Travailler sur les lieux
Pour eux, le matériaux de l’architecture n’est pas simplement le bâti, mais bien le lieu, l’espace, la qualité des usages, les gens, etc. Créer non pas de bâtiments abstraits faits de lignes sans territoire, placés à un endroit comme à n’importe quel autre (encore appelé « la gare du Midi selon Jean Nouvel »), mais des espaces et des situations qui sont en phases avec les forces propres d’un lieu. Dans de nombreuses interventions, ils insistent sur la logique de l’addition plutôt que celle du remplacement : rendre un lieu plus fort encore à l’aide de petites modifications, des inflexions plutôt que de démolir l’existant pour le remplacer par autre chose… qui a son tour n’importera pas et pourra être remplacé par n’importe quoi d’autre. Dans cette logique, la rénovation peut avoir toute sa place. On peut prendre comme exemple la rénovation qu’ils ont mené pour la tour « bois le prêtre » à Paris. Il s’agit d’un ensemble de logements un peu similaires, dans une tour de 50m construite dans les années 60. La rénovation a permis de mieux isoler la tour, d’augmenter les surfaces des appartements, tout en améliorant la luminosité. De plus, la rénovation s’est faite en maintenant les habitants sur place. Il était proposé aux habitants de rester dans leur appartement, ou d’en choisir un plus grand ou plus petit en fonction de leur situation familiale.
Pour la tour Brunfaut, les objectifs fixés étaient, entre autres, de maintenir une partie importante des habitants sur place, d’agrandir les surfaces de vie, d’améliorer la qualité acoustique des habitations, d’améliorer l’isolation thermique, rénover la plomberie et l’électricité, enlever l’amiante encore présente, ou encore de remettre aux normes ou de créer des espaces communs… Un vrai défi pour un architecte.
Deux options ont été étudiées pour la rénovation de la tour Brunfaut. D’un côté une mise en conformité totale du bâtiment, de l’autre une rénovation plus légère, une « restauration » qui s’envisage sans déplacement des habitants. La mise en conformité offre l’avantage des normes d’aujourd’hui, avec de plus grandes cages d’escaliers, mais limite la surface habitable, et est plus difficilement compatible avec le maintien des habitants sur place pendant la durée des travaux. L’option de restauration, quant à elle, ne se veut pas une mise à égalité avec une construction neuve actuelle, mais elle améliore l’existant tout en modifiant la tour au minimum.
La commune a lancé un marché en optant pour la rénovation complète. On peut retenir de ces deux options que la rénovation de ce type de logement est possible, et permet d’atteindre des niveaux de conforts comparable avec les constructions neuves. Les contraintes techniques sont importantes, car la tour n’a pas été pensé pour pouvoir évoluer, mais la sagacité des architectes, mise au service d’une amélioration des lieux par des gestes minimaux, permet de grands espoirs.
Il n’y a pas de fatalité
La démolition des tours de logement de cette époque n’est donc pas une fatalité. Il est tout à fait possible aujourd’hui d’envisager un travail au plus proche de l’existant, prenant un point de vue qui n’est pas celui de la page blanche, pour faire renaître des logements et bénéficier, à moindre coût écologiques, des logements existants. Les options qui permettent en plus de ne pas devoir déplacer tous les habitants sont très intéressantes en ces temps de crise du logement.
Si Lacaton et Vassal n’agissent pas pour des raisons qui sont uniquement dictées par un souci de bilan carbone, ni même sans doute par un souci écologique (au sens de la préservation de la nature), il n’en reste pas moins que leurs rénovations sont tout à fait à propos. Le bilan écologique général de telles opérations est tout à fait positif : amélioration de l’isolation, du confort, et de l’acoustique des bâtiments se font sans augmenter l’empreinte au sol, sans déloger d’habitant, mais également en conservant les éléments qui pèsent le plus lourd dans un bilan carbone. Même si le bilan carbone de la démolition était équivalent à celui d’une rénovation, tous les autres arguments plaident pour cette dernière solution.
Situé dans un quartier qui est l’objet de toutes les convoitises et de toutes les spéculations, opter pour le maintien des habitants de logements sociaux sur place est une bonne proposition. Si l’opération ne fera pas rêver les esprits en appétits de tous les grands gestes abstraits, elle sera en adéquation avec les besoins des habitants de Bruxelles. En regard des projets de logements de luxe dans la zone, maintenir du logement social y est salutaire, même si on aurait rêvé d’en voir construire encore plus de nouveaux dans la zone.