Inter-Environnement Bruxelles
© IEB - 2021

La publicité-concertation aujourd’hui

Ce dossier a été réalisé par Lucie Carton, François Hubert, Thierry Kuyken, Almos Mihaly, Nicolas Prignot, Claire Scohier et Mathieu Sonck, en collaboration avec Axel Claes, Bernard Devillers, Isabelle Pauthier et Denys Ryelandt — 20 janvier 2011

Le 30 novembre 2010, des fonctionnaires communaux et régionaux, des architectes, des juristes, des sociologues, des associations et des comités d’habitants se sont réunis pour débattre de l’opportunité « d’améliorer » les procédures de publicité-concertation en matière d’urbanisme. L’occasion pour IEB de s’interroger sur une procédure qui est au cœur de sa pratique depuis trente ans.

A l’origine de ce débat : le collectif Disturb, principalement composé d’architectes et d’urbanistes, dont les membres sont excédés par le déroulement de certaines commissions de concertation. Décisions vécues comme arbitraires, retards, réactions Nimby des riverains, manque de dialogue, conflits d’intérêts, autant de raisons selon ceux-ci pour réclamer une profonde réforme du système.

La Cambre et le Bral ont rejoint Disturb pour proposer à Emir Kir, en charge de l’urbanisme au niveau régional, une étude sur le sujet. Au terme d’une vingtaine d’interviews, un texte de recommandations fut proposé aux participants de la table ronde. IEB vous livre aujourd’hui une chronique des débats ainsi que ses propres questionnements et recommandations.

Des petits et des gros projets ?

Une critique récurrente de certains acteurs porte sur le déroulement pratique des commissions de concertation. Les petits comme les gros projets sont traités indifféremment, provoquant retards, surcharge de travail pour les fonctionnaires et pertes de temps pour les demandeurs. Il est vrai que l’effet de routine créé par la surcharge procédurale peut s’avérer nuisible à la vitalité démocratique de la procédure et créer une rigidité qui pèse sur la dynamique des débats.

C’est pourquoi une des propositions déposées sur la table fut de confier à un groupe de travail le soin de déterminer des critères permettant de distinguer les projets suivant leur importance, la nature du demandeur (public ou privé), le public concerné (régional ou local), le degré de dérogation par rapport à la norme et l’impact sur l’environnement urbain. Aux projets importants une procédure approfondie, aux autres une procédure simplifiée conservant l’enquête publique mais supprimant la commission de concertation [1].

Comme on pouvait s’y attendre, de nombreuses voix, y compris celle d’IEB, se sont opposées à cette proposition. Si les communes et les administrations régionales aimeraient se voir soulagées d’une partie de la charge occasionnée par les commissions de concertation, la majorité des acteurs présents se sont montrés très attachés à l’utilité de la procédure de concertation quitte à simplifier le contenu des dossiers pour des petits projets.

Mais la volonté de distinguer les grands des petits projets pose en outre la question de la pertinence des critères choisis et des risques de contournements que peut induire l’existence de seuils. Par exemple, l’obligation de réaliser une étude d’incidences pour les projets de parking dépassant le seuil de 200 emplacements conduit les demandeurs à fractionner leur projet pour échapper à la procédure d’étude d’incidences.

Pour IEB, les choses sont claires : la procédure souffre plus d’un déficit sur les « gros projets ». Il est donc impératif de conserver les pratiques actuelles pour les petits projets, amendables à la marge pour les travaux de minime importance. Il est important pour les fonctionnaires siégeant en commission, comme pour le public, de pouvoir observer les tendances des petits projets. Une multiplication de petits projets aux caractéristiques communes peut constituer un problème d’envergure régionale (ex. : la multiplication des sucettes publicitaires en dérogation au RRU). De même, la procédure de publicité-concertation doit s’appliquer à tous, sans distinction par exemple, entre un promoteur public ou privé. Enfin, la procédure doit être pensée pour tous les publics et multiplier les possibilités pour ceux-ci de s’exprimer. Supprimer la procédure de concertation revient à imposer une procédure écrite, ce qui revient à exclure de nombreux habitants des quartiers populaires.

Non seulement il faut maintenir la commission pour tous les cas déjà couverts actuellement mais des commissions de concertation devraient également être obligatoirement prévues avant l’adoption de plans communaux de stationnement, de plans communaux et régionaux de mobilité,... et de partenariats publics-privés (voir Soumettre les contrats des partenariats « public-privé » à l’enquête ?) !

Reste à déterminer à partir de quand un projet est suffisamment « grand » pour bénéficier d’une procédure renforcée... Une solution serait peut-être de remettre au goût du jour le certificat d’urbanisme (CU), amputé de certaines parties trop lourdes à ce stade de la procédure, comme les plans du réseau d’égouttage ou les performances énergétiques. Le CU reprendrait des considérations telles que l’affectation, la volumétrie générale et resterait bien sûr soumis à enquête publique, mais donnerait au demandeur un cadre plus précis pour son projet définitif, sans pour autant engager les parties sur l’issue de la demande finale.

De l’interdisciplinarité de la commission de concertation

Aussi il fut proposé de cantonner les membres de commissions de concertation à leurs spécialités. Exit le représentant de la direction des monuments et des sites si l’on ne parle pas de patrimoine ou celui de la SDRB dans une zone réservée au logement. Cette proposition a été recalée par une grande majorité des intervenants : l’urbanisme, c’est une réflexion interdisciplinaire et globale sur la ville. La commission de concertation est un pari sur une forme d’intelligence collective où chaque membre doit pouvoir interagir en opposant une vision élargie de l’urbanisme. Il serait précieux, de ce point de vue, que les experts fassent obligatoirement part de leur avis dans la phase publique de la commission et non dans le cadre du huis-clos comme c’est le plus souvent le cas actuellement.

Éthique et déontologie

Faut-il encadrer, voire favoriser les consultations préalables entre les demandeurs et les autorités délivrantes ? Pour IEB, ces échanges sont utiles pour rappeler les règles et définir les marges d’action. Mais toute dérogation ne peut être négociée dans les bureaux d’une administration ou d’un ministère. Ces questions doivent pouvoir se débattre en public. Les demandes de dérogation ne peuvent se limiter à la motivation du « bon aménagement des lieux », formule vague qui vide largement de son intérêt la procédure de concertation. Les avis devraient toujours englober les arguments soulevés en réponse aux objections des participants à la commission de concertation et faire apparaître plus nettement les divergences d’opinion. Trop souvent, on sent l’avis pré-rédigé, ramenant en ce cas la procédure de concertation à un jeu de dupes. Il s’agit en définitive d’objectiver et de rendre palpable toute cette part de l’informel qui a son sens et son utilité mais qui ne peut prendre le pas sur les garanties démocratiques.

Tout le monde s’accorde en tout cas sur le fait que le rôle des différents membres de la commission de concertation devrait être clairement défini et présenté en séance publique de façon à permettre aux participants de saisir la nature des arguments avancés ainsi que les rapports de force qui président à l’avis.

Autre question soulevée : faut-il remplacer le président de la commission de concertation par une personne extérieure neutre ? Cette proposition a suscité les commentaires amusés d’un bon nombre des participants. Le mythe de la neutralité fut rapidement déconstruit et le rôle politique du président de séance rappelé. In fine, l’échevin de l’urbanisme rend des comptes, au minimum à l’occasion des élections. Souvent, dans la presse, il est interpellé par les comités d’habitants ou les associations spécialisées... Reste que la question garde sa pertinence sur un plan éthique lorsque la commune est demanderesse.

De nombreux dossiers arrivent encore incomplets à l’enquête publique. L’obligation de fournir une vue axonométrique du projet, pourtant imposée par voie d’ordonnance depuis peu, semble être peu appliquée. Alors faut-il former les acteurs ? Un code de conduite professionnelle pour les fonctionnaires ou les architectes, une formation à certains aspects techniques liés à l’urbanisme, voire à la conduite de réunions publiques pour le président sont des propositions qui n’ont pas rencontré de profondes réticences.

Une garantie démocratique : transparence des procédures et décisions

Un large écart est observé entre les textes légaux encadrant la procédure de concertation et son application : délais non respectés, affichage insuffisant, dossiers incomplets,... Le parcours d’accès à l’information liée aux enquêtes publiques est parsemé d’embûches pour le citoyen qui se lance dans l’aventure, sans compter le manque de lisibilité de certaines règles et leur application très disparate au sein des 19 communes. Il y avait donc autour de la table un large consensus sur la nécessité de mieux informer les citoyens. La création d’un guichet régional centralisant les informations et règles génériques obligatoires dans le cadre d’enquêtes publiques fut approuvée par tous. Ce guichet pourrait proposer aux acteurs les services d’un ombudsman chargé de recueillir les plaintes et suggestions.

En vrac, de nombreuses propositions d’amélioration furent évoquées : la mise à disposition systématique des dossiers sur un site internet centralisé, un prix régulé et minime pour les prises de copie des dossiers, des annonces présentées dans un langage compréhensible pour tous, une axonométrie qui donne une idée de l’implantation du projet dans son environnement, la communication systématique des avis et des procès-verbaux de commission (qui reproduisent fidèlement les remarques faites), la communication de la délivrance du permis aux personnes qui ont pris la peine d’intervenir en commission de concertation et last but not least : la présentation systématique, en début de réunion, des avis écrits des riverains qui n’ont pas pu se rendre à la commission.

Laisser le temps à la mobilisation citoyenne de surgir

Aucune des propositions mises sur la table n’abordait la question des délais drastiques imposés pour mener cette procédure. Tant du côté des citoyens que du côté des fonctionnaires communaux, disposer de délais plus adaptés permettrait pourtant, aux premiers, de mieux s’organiser et de venir en concertation avec une position collective et des arguments plus pertinents (car moins nymbistes et moins émotifs) et, aux seconds, de mieux pouvoir s’en tenir aux prescrits légaux grâce à un calendrier plus raisonnable. Quant au demandeur, ce n’est pas la prolongation du délai d’enquête d’une ou deux semaines qui devrait modifier
fondamentalement sa situation.

N’est-il pas étrange que des dossiers concernant la construction de milliers de mètres carrés de logements ou de bureaux soient soumis à un délai d’enquête deux fois plus court qu’un aménagement de voiries ? La brièveté du délai empêche les associations de disposer d’un temps suffisant pour éclairer les citoyens sur les enjeux en cours et leur permettre de s’organiser en connaissance de cause et de développer des positions critiques et éclairées. Cette organisation ne pourrait qu’améliorer la qualité des interventions en commission de concertation. L’urgence actuelle restreint les capacités d’apprentissage à la démocratie urbaine.

Prendre les choses en amont ?

Une des évolutions récentes des procédures de consultation d’habitants est la tentative de développer des dispositifs plus en amont pour éviter l’émergence de critiques à un état avancé de la procédure alors qu’elles auraient pu être désamorcées plus tôt. A cette fin, une des recommandations sur la table prévoyait d’organiser, pour les grands projets, des réunions d’information durant lesquelles chaque citoyen pourrait venir avec ses questions ou demander des précisions. A l’heure actuelle, ces réunions d’information sont organisées le plus souvent au petit bonheur la chance selon le bon vouloir de la Région, de la commune, voire de promoteurs. Si une meilleure information en amont ne peut que nourrir la qualité du débat sur des projets d’importance, il importe qu’elle soit fournie par une instance maîtrisant la grande échelle et l’impact du projet sur l’ensemble du territoire régional. L’Agence de développement territorial pourrait trouver ici une fonction utile. Ces réunions doivent garder un statut informatif, préalable nécessaire à des débats ultérieurs, les habitants n’étant pas suffisamment outillés à ce stade pour s’embarquer dans des négociations.

Autre risque : la place prépondérante de l’informel dans les phases en amont au détriment des garanties formelles. La déformalisation favorise en effet ceux qui maîtrisent le mieux les codes informels et affaiblit ceux qui ne sont pas dans le cercle des initiés. Si le formalisme fatigue certains, c’est oublier que les arguments formels souvent utilisés par les associations ou les habitants, lesquels peuvent parfois sembler tatillons, sont une stratégie légitime pour se faire entendre quand ils n’ont pas été écoutés sur le fond. Soulever l’absence du rapport du SIAMU ou la mauvaise traduction de l’enquête publique n’est pas une fin en soi mais parfois un moyen de s’attaquer au fond du projet.

La concertation doit-elle devenir un lieu de consensus ?

Pour certains acteurs, il faudrait intégrer dans la commission de concertation les consensus
obtenus dans des processus de participation (tels que les schémas directeurs, contrats de quartier) qui se sont tenus en amont du projet. Ce point de vue vide la commission de concertation de toute conflictualité,
et ce sans aucun contrôle sur la manière dont le consensus s’est construit en amont. Il va de soi qu’IEB s’oppose à ce que la concertation se transforme en un lieu de validation des consensus. Par contre, une meilleure articulation des différents stades de procédure est primordiale. On a trop souvent l’impression d’assister à des procédures qui avancent sur des voies parallèles sans jamais se rencontrer. Ce qui a été consigné de part et d’autre lors des procédures en amont doit être rappelé sans pour autant cadenasser les possibilités de renouvellement du débat.

De même, aussi large soit le périmètre du projet concerné par le processus de participation, les débats en amont risquent de rester locaux. Or, les gros projets ont un impact régional qui mérite l’intervention de la société civile issue de l’ensemble de la Région. Seule la commission de concertation
peut le garantir, quel que soit le consensus obtenu dans la concertation locale.

Atteindre tous les habitants

La question du profil des habitants présents dans les concertations a été abordée de façon très incidente. Une des recommandations avancées était de prévoir des annonces « personnalisées » afin de sensibiliser des publics plus difficilement accessibles et de leur donner la possibilité de jouer un rôle durant les commissions de concertation. Pour IEB, cette question est centrale si on ne veut pas que la construction de la ville reste aux mains et au profit d’une élite. Utiliser un langage clair et moins jargonnant, assortir les documents de plans lisibles à dimension d’une photocopieuse, distribuer des toutes-boîtes pour les projets importants et organiser des soirées d’information devraient être des évidences.

Rendre les débats plus politiques et moins techniques ne pourrait que servir la cause démocratique. Pour le surplus, il appartient sans doute à des associations comme IEB de s’interroger sur leurs pratiques et leurs alliances pour ouvrir la question du droit à la ville au-delà d’un cercle restreint de privilégiés.


[1A charge des intervenants de faire leurs remarques par écrit, comme cela se fait pour une demande de permis d’environnement de classe II.