Inter-Environnement Bruxelles
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Cureghem : la pression monte sur le logement !

Jusqu’il y a peu, on atterrissait à Cureghem pour trouver un logement bon marché. Cureghem, quartier populaire, était encore relativement épargné par la pression immobilière. Mais aujourd’hui, la « revitalisation » bat son plein !

© Mathieu Van Criekingen - 2021

Du côté de la gare du Midi, comme près du canal ou dans le quartier Heyvaert, l’activité productive semble passée de mode et les espaces – pas toujours – vacants peuvent aisément être recyclés en logements. Mais la dynamique à l’œuvre offre un décalage visible avec les usages et la demande d’une majorité de la population du quartier. Certes, du logement pousse à qui mieux mieux mais du logement acquisitif, destiné à de « nouveaux habitants », inaccessible aux bourses de ceux qui habitaient le quartier jusque-là. Si ce sont toujours des ménages « migrants » qui atterrissent là, ils présentent un capital financier supérieur au portefeuille moyen des habitants « historiques » de Cureghem.

Cette nouvelle offre n’est pas seulement le fait du privé mais également des pouvoirs publics qui agissent notamment au travers d’un de ses bras immobiliers, CityDev (ex-Société Régionale de Développement Bruxelloise, SDRB). Dans le même temps, l’offre en nouveaux logements sociaux ou assimilés reste bien maigre...

Les locomotives immobilières

Aujourd’hui le quartier de Cureghem est ceinturé du Nord au Sud, d’Est en Ouest par des projets immobiliers qui vont, s’ils aboutissent, modifier profondément le visage comme le profil socioéconomique du quartier. Leur point commun, c’est ce qu’ils ne proposent pas : de nouveaux logements abordables et de nouvelles possibilités de trouver un travail pour les peu diplômés.

Du côté anderlechtois de la gare du Midi, si les effets du TGV sont encore assez timides, le tout récent « schéma directeur Midi », passé en première lecture au gouvernement début mai, va chambouler la donne dans la lignée de ce que l’on observe sur le territoire de Saint-Gilles depuis 15 ans. Dans les cartons, on trouve notamment le projet « Victor » du promoteur Atenor, un « bouquet » de trois tours (jusqu’à 140 mètres) de (nombreux) bureaux et de logements à cheval sur Anderlecht et Saint-Gilles alors que Bruxelles ne sait plus quoi faire de ses bureaux vides (plus d’un 1,5 million de mètres carrés inoccupés) et que le logement prévu sera hors de portée des bourses qu’on croise dans le quartier. Mais, selon les autorités, on ne peut résister à l’avenir radieux du quartier Midi, voué depuis 20 ans à devenir un quartiers d’affaires tourné vers l’international.

Pourtant, durant tout ce temps, il semble que ce tourisme d’affaires n’ai jamais frappé à la porte, les nouveaux bureaux étant systématiquement loués à des entreprises publiques, parastatales ou simplement bruxelloises (vidant d’autres immeubles de bureaux, ailleurs dans la ville). En attendant, les quelques voyageurs de passage se réjouiront de déambuler à l’ombre de mastodontes à l’architecture stalinienne dont le côté novateur va de soi.

Que d’occasions manquées !

Un peu plus loin, on croise le site de l’ancienne école des Vétérinaires. Ce dernier offrait une opportunité unique pour les pouvoirs publics de développer dans un quartier dense peu généreux en espace vert un grand parc public destiné aux habitants du quartier. L’occasion était trop belle.... mais la majeure partie des bâtiments a été convertie en logements privés acquisitifs plutôt haut de gamme. Et l’espace potentiellement public ? Privatisé ! Ironie de la disposition des lieux, le site est non seulement clos, mais également surplombé par les 18 étages de la massive tour des Goujons, où vivent plus de 800 locataires du Foyer Anderlechtois... qui profitent de la vue, à défaut d’un jardin...

Quand un délire d’architecte devient réalité…

Fin des années 2000, surgit de l’imagination délirante d’un architecte manifestement visionnaire le projet « Les Rives ». Il s’agit de construire un nouveau quartier sur la rive droite du bassin de Biestebroeck, dans une zone jusque là affectée aux entreprises et aux activités artisanales. Il est vrai que le terrain est bien orienté, bordé de hauts arbres et de péniches colorées.... et que les autorités ont peu fait pour faire la promotion de cette zone auprès des entrepreneurs et artisans bruxellois. Des dizaines d’entreprises y sont pourtant actives, pourvoyeuses de travail pour une main d’œuvre pas toujours diplômée, denrée qui se raréfie dans une ville principalement vouée au tertiaire.

Le projet « Les Rives », lui, n’a que faire de cet existant : il veut du jamais vu à Bruxelles : une marina, des canaux, des yachts !... Là hélas, ce projet purement spéculatif était jusqu’il y a peu interdit par la règlementation urbanistique en vigueur. Mais l’idée d’une reconversion de ce territoire fait son chemin et les pouvoirs publics, obnubilés par le mirage de rentrées fiscales incertaines, décident de modifier l’affectation des lieux, transformant d’un trait de plume cette zone industrielle en « zone d’entreprises en milieu urbain », autorisant l’implantation de logements et obligeant les entreprises implantées à avoir une activité « compatible avec l’habitat ». Jackpot pour les promoteurs qui entre-temps, alléchés par la rayonnante perspective d’empocher de solides plus-values, ont massivement racheté les meilleures parcelles au prix du terrain industriel !

La Commune d’Anderlecht avait déjà initié le mouvement, en mettant au point un masterplan pour la zone, prélude à l’adoption d’un Plan Particulier d’Affectation des Sols (PPAS). C’est dans ce contexte que voit le jour le projet City Dockx, sur une parcelle entre le boulevard industriel et la digue du canal, porté par Atenor, le même promoteur que Victor et la tour Up-Site, visiblement dans les petits papiers des autorités régionales. Dans une note explicative, Atenor affirme qu’un des bâtiments projetés offrira « des logements de qualité à des prix abordables ». Nous ne doutons pas de la qualité des logements qui seront créés mais plutôt de leur côté abordable ! En effet, à quel prix un logement est-il considéré comme abordable, vu que l’offre de logements neufs dans la capitale est trop onéreuse pour la majeure partie des bruxellois ? Les familles ont de plus en plus difficile à trouver des logements adaptés à leur taille, et le projet propose seulement 8 logements de 3 chambres sur les 116 prévus.

Pour les pauvres, pas de logement, ni même de travail…

On le devine ici, en plus de l’accès au logement, c’est l’accès à l’emploi que l’on met aussi en péril. Les fonctions productives et artisanales se combinent souvent difficilement avec la fonction logement. Les entreprises risquent d’être à leur tour chassées car leurs activités seront à terme considérées comme une source de nuisances sonores et visuelles par les nouveaux habitants.

Ces trois exemples particuliers démontrent bien que Cureghem et ses habitants sont en ligne de mire. Que l’action conjuguée des initiatives régionale et communale n’est pas forcément rassurante : le Plan Communal de Développement récemment adopté ambitionne de « régénérer Cureghem », le Masterplan Biestebroeck propose d’ouvrir la chaussée de Mons au canal, afin de le « valoriser ». Rajoutez-y le plan Canal, le « schéma opérationnel Cureghem » du PRD, le Contrat de Quartier Biestebroeck qui entend préparer le terrain pour les futurs nouveaux habitants, et les ambitions des promoteurs, les perspectives sont sombres pour les plus faibles...

Face à l’incurie, nous agissons

Comment agir, avec quels moyens, afin que Cureghem, reste un endroit où on a la possibilité de rester ? Car la toile qui se tisse petit à petit, à coups de projets de « revitalisation », de production de logements moyens, de mise en valeur de l’espace public, d’appétit de promoteurs, ne tient pas compte de la majeure partie des habitants de ce quartier populaire.

Au Centre de Rénovation Urbaine (CRU) à Anderlecht, c’est ce à quoi nous travaillons. Permettre aux habitants du quartier d’y rester tout simplement, d’y trouver un logement décent et adapté à leurs besoins, leur budget. En collaboration avec l’Union des Locataires d’Anderlecht Cureghem (ULAC) [1], nous développons avec les habitants des projets concrets de rénovation ou de création de logements, en collaboration avec le secteur de l’économie sociale. Nos chantiers écoles permettent ainsi à certains d’acquérir une expérience professionnelle. Nous espérons que les pouvoirs publics saisiront l’opportunité de développer des projets qui garantiront le maintien du logement abordable dans le quartier, via des Agences Immobilières Sociales (AIS) par exemple, permettant de faire diminuer la pression sur les prix mais aussi de permettre aux habitants de rester dans leur quartier.

En attendant, afin de maintenir l’équilibre et de faire diminuer la pression, le CRU agit par petites touches, en s’insérant dans les failles, et tente de maintenir et de développer une offre de logements abordables et de bonne qualité.


[1Voir l’article de Benayad Abderazzak dans ce dossier : Les perspectives radieuses du logement social.