Inter-Environnement Bruxelles
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La pompe à chaleur ou l’écologie du leurre

Contraints par le Pacte vert pour l’Europe et son arsenal de directives, les États et Régions de l’UE ont légiféré pour atteindre la « neutralité carbone » à l’horizon 2050. Bonne élève, la Région bruxelloise s’est dotée de son ambitieuse stratégie Rénolution pour améliorer les performances énergétiques des bâtiments (PEB). La pompe à chaleur y est décrétée « fer de lance de la transition énergétique ».

L’ambition du Pacte Vert pour l’Europe est d’être « le premier continent neutre pour le climat ». Alors que 75 % des émissions directes de gaz à effet de serre de l’UE proviennent de la consommation et de la production d’énergie, la décarbonation de ce secteur est un enjeu majeur. Une quête aux nombreuses inconnues, notamment celle des sources d’énergie nécessaires à la production de l’électricité dont la consommation croît proportionnellement à ses usages (terminaux et réseaux numériques, diversification des véhicules électriques, systèmes de chauffage…).

Appliqué à Bruxelles, le concept de « décarbonation » est un casse-tête. Outre les gaz à effet de serre (GES) émis directement sur le territoire bruxellois, la Région est également à l’origine d’émissions « indirectes » générées par ses activités mais qui ne sont pas émises sur son territoire. Celles-ci sont liées notamment à la production hors Région d’une partie importante (près de 90 %) de l’électricité dont elle a besoin, ainsi qu’à la production des biens de consommation importés (alimentation, appareils électroménagers, matériaux de construction, textiles, etc.). L’importance relative de ces émissions indirectes est exacerbée par le caractère urbain de la Région. Combinées aux émissions directes, les émissions indirectes permettent d’évaluer de façon plus précise et plus complète l’impact global réel en termes de changement climatique [1].

Une Task Force composée de Bruxelles Environnement (BE), Sibelga et Brugel [2], principaux acteurs publics bruxellois de l’énergie, sous la houlette du Ministre de l’Environnement, a édité, en mai, une première synthèse de leurs réflexions sur l’évolution des réseaux énergétiques et les solutions disponibles afin de produire de la chaleur et du froid sans énergie fossile (pétrole, gaz, bois) d’ici 2050 [3]. Or, à Bruxelles, le premier secteur émetteur d’émissions directes des gaz à effet de serre est celui du bâtiment, sommé de faire sa mue écoresponsable. Une injonction traduite dans la stratégie Renolution [4]

Quelques pages du site de l’administration bruxelloise de l’Environnement permettent d’appréhender l’ambitieux programme. « Que ce soit pour le chauffage ou pour l’eau chaude sanitaire, les pompes à chaleur sont à privilégier en raison de leurs émissions quasi nulles de CO2 et de polluants atmosphériques. Or, la Belgique doit réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 47 % en 2030 par rapport à 2005 dans les secteurs non-industriels, dont le bâtiment. Par ailleurs, les autorités régionales ont toutes prévu une interdiction progressive des chaudières à mazout, avec la même perspective pour les chaudières au gaz. » Une homélie qui occulte le nouveau paradigme du tout à l’électrique que nous proposons de déplier dans cet article.

Appliqué à Bruxelles, le concept de « décarbonation » est un casse-tête.

Pomper la chaleur !

Différentes applications, différentes technologies de pompes à chaleur (PAC) sont disponibles selon le milieu, l’environnement de l’habitation (ville, campagne, bureau, maison, appartement…). La compréhension des procédés utilisés est essentielle selon Grégoire Houcke, architecte de formation, conseiller en rénovation et énergie au sein de l’équipe d’Habitat et Rénovation. « Que ce soit au niveau des réglementations, au niveau des procédés industriels, au niveau de la machine en elle-même, le sujet est mouvant. La législation est amenée à évoluer afin de faciliter l’obtention de permis à son installation et les machines vont se perfectionner dans les prochaines décennies. » Chaque mois, il décortique avec ses collègues une « idée reçue » en matière d’usage, d’entretien ou de rénovation du logement. Publiées sous forme de brèves sur le site de l’association (« Installer une pompe à chaleur dans tous les cas c’est le mieux ! » ou « L’isolant pétrochimique est le plus performant, l’hiver comme l’été ! »), ces micro-analyses constituent une lecture vivifiante.

L’idée qui préside à la PAC est de puiser des calories dans un milieu extérieur (sol, eau, air) pour les transférer dans un milieu intérieur (eau ou air) moyennant un système d’évaporation/ condensation qui requiert l’apport d’énergie complémentaire, sous la forme d’électricité. Dit comme cela, le dispositif paraît simple. Il n’en est rien.

« La transmission des calories intérieur/extérieur s’effectue par le biais d’un fluide frigorigène contenu dans un circuit (comme celui d’un frigo). Ce liquide passe à l’état de gaz (évaporation) en puisant l’énergie du milieu extérieur. Il est ensuite envoyé à un compresseur qui en augmente la pression pour être ensuite envoyé au condenseur. La phase de condensation est une opération exothermique (elle dégage de la chaleur) qui permet de délivrer l’énergie au circuit intérieur de l’habitation. Le liquide condensé à basse pression est enfin renvoyé par le biais d’un détendeur, vers le circuit extérieur afin de boucler la boucle et recommencer le cycle. [5] » On note au passage de cette description de Buildwise, centre d’innovation de la construction chevillé à des centres de recherches, que le circuit contenant le liquide frigorigène, potentiellement nocif pour l’environnement et fortement émetteur de gaz à effet de serre, doit être bien étanche. Somme toute cette machine de haute technologie sera difficilement réparée par un ami bricoleur.

Selon le mode de captation et celui de restitution, les pompes à chaleur sont dites « air-air », « air-eau », ou « sol-eau » avec une variante « eau-eau ».

Les calories du milieu extérieur peuvent être pompées soit dans l’air (comme pour les modules d’air conditionné), soit dans le sol (par le biais de serpentins dans le jardin, ou d’un forage vertical dans le sol) soit dans une nappe d’eau souterraine. Les calories sont ensuite transférées à l’intérieur de l’habitation soit directement dans l’air (à l’instar d’un conditionnement d’air, soufflant dans ce cas de l’air chaud), soit par le biais d’un système de chauffage central, par circulation d’eau dans des serpentins dans le sol des pièces ou dans des radiateurs.

Si les pompes à chaleur air-air sont davantage utilisées pour chauffer des petits volumes, les pompes à chaleur sol-eau, eau-eau et air-eau sont indissociables d’un système de chauffage central. La particularité de la PAC est d’être un système de chauffage dit à « basse température ». L’eau du circuit est chauffée à 30-45°, alors qu’un système de chaudière au gaz porte l’eau à environ 60°80°, laquelle atteint 40-50° en fin de circuit, après avoir fait le tour des radiateurs. Autrement dit, la PAC est moins performante, elle chauffe moins. Raison pour laquelle il est important que les maisons chauffées avec une PAC soient très bien isolées. Pré-requis indispensable faute de quoi ça ne fonctionne tout simplement pas.

La pompe à chaleur est moins performante, elle chauffe moins. Raison pour laquelle il est important que les maisons chauffées avec une PAC soient très bien isolées.

Emballer c’est aérer

Sans entrer dans les détails, l’installation d’une PAC exige donc une isolation des parois (murs/ façades/pignons) et des sols et l’éliminiation des éventuels ponts thermiques [6], points sensibles dans l’isolation de l’enveloppe d’un bâtiment. Il y a donc de gros travaux à la clé, surtout si l’on souhaite isoler le bâti bruxellois dont la typologie et les règles d’urbanisme (façades-avant protégées) sont les premiers obstacles à la faisabilité d’une telle isolation. Les propriétaires isolent majoritairement les façades arrière et le plus souvent avec des plaques de polystyrène, nettement moins onéreuses que les isolants naturels comme la fibre de bois. Outre que cela revient à placer un produit issu de la pétrochimie sur les murs pour réduire les émissions de CO 2 dans l’atmosphère (cherchez l’erreur), l’habitation sue comme on transpire dans un K-Way. Finalement le dispositif s’applique davantage à du bâti neuf où l’on peut tout à fait s’assurer de l’étanchéité à l’air de l’enveloppe et optimiser le coefficient de rendement d’une pompe à chaleur (COP, lire cidessous). En réalité il n’y a qu’une infime partie des Bruxellois·es qui sont en capacité financière d’entreprendre de tels travaux de structure et de trouver un logement de transition pendant leur durée. Isoler une façade avant, en effet, exige de le faire par l’intérieur et de casser tous les planchers et plafonds pour poser l’isolant de façon continue afin d’éviter les ponts thermiques. Ces travaux doivent être encadrés par un·e architecte qui effectuera un suivi de leur bonne exécution par un entrepreneur.

Et puis, isoler une maison va augmenter son étanchéité à l’air et exige donc de placer des dispositifs de ventilation qui garantissent un renouvellement de l’air sans aucune implication humaine (Invisivent, extracteur d’air…). Ouvrir la fenêtre matin et soir 15 minutes ne fait pas partie des systèmes d’aération agréés par le logiciel de calcul de la PEB d’une habitation. Pour toutes celles et ceux désireux·ses d’en savoir plus, les conseiller·es en énergie et rénovation des associations du Réseau Habitat sont une source de savoirs pratiques à solliciter.

Le plan de décarbonation de Bruxelles prévoit l’installation de pompes à chaleur partout sur le territoire.

Une pac en ville

Le sol est source d’infinies calories mais Bruxelles repose sur un gros plateau d’argile : il faut forer à 100 mètres de profondeur minimum pour aller chercher la chaleur. Une opération conséquente – et coûteuse. On ne peut pas forer des « puits de chaleur » à tire-larigot les uns à côté des autres, au risque de rendre le sol instable. De plus, si tout le monde va puiser de l’énergie au même endroit, il y aurait moins de calories disponibles par PAC, la rendant ainsi moins performante. Une carte géologique de Bruxelles renseigne sur la composition du sous-sol par parcelle. Elle permet, en fonction de votre adresse, de visualiser les couches géologiques en-dessous des habitations. Elle répertorie par ailleurs les pompes à géothermie existantes sur le territoire [7].

Le plan de décarbonation de Bruxelles présenté au printemps par le cabinet du Ministre de l’Environnement prévoit l’installation de pompes à chaleur partout sur le territoire. Carte à l’appui, il est proposé différents types de PAC adaptées à des zones du territoire. Au nord, il s’agit de récupérer la chaleur de l’incinérateur et potentiellement de la transmettre à un circuit d’eau. Il s’agirait alors d’un réseau de chaleur. La géothermie conviendrait à toute la partie basse, en bord de Seine, tandis que les pompes à chaleur de standard aireau conviendraient au sud de Bruxelles.

Quoi qu’il en soit, il manque un recensement de toutes les parcelles où il ne serait tout simplement pas possible d’installer une PAC au regard des normes applicables aujourd’hui (nuisances sonores et effet micro-climat dû à la chaleur que dégage le compresseur !). En effet, un permis d’environnement doit être introduit pour l’installation d’un compresseur extérieur et le module doit être placé au minimum à 3 mètres du voisin. La parcelle de terrain doit faire minimum 6 mètres de large, voire plutôt 6 mètres 20 pour placer la machine. Par ailleurs, si 100 ménages d’un même îlot bruxellois sont équipés chacun d’une PAC pouvant produire jusqu’à 50-60 décibels (soit le niveau sonore d’une rue passante ou du piétonnier du centre ville), c’est une cacophonie assurée !

La technique reste toutefois obscure pour le commun des mortels. Comment en effet aller chercher les calories dans l’air en Belgique alors même qu’il ne fait pas particulièrement chaud sous nos latitudes pendant les mois où l’on souhaite chauffer sa maison ? Mystère d’ingénierie. Ce qu’il faut retenir, c’est que lorsqu’on dimensionne un système de chauffage (sa puissance), on le calcule pour les 10 jours de l’année où il fait le plus froid. Or, on pourrait avoir un peu froid ces dix jours-là, enfiler des gros pulls tout en ayant une installation plus petite, moins coûteuse en fabrication, moins gourmande en énergie. Par ailleurs, à moins dix degrés, une PAC air-eau ne va pas trouver beaucoup de calories à injecter à l’intérieur de la maison. Elle sera forcément moins puissante. Les systèmes hybrides pallient cet inconvénient : on installe une chaudière au gaz pour les 10 jours de l’année où il fait froid, ce qui montre la limite de la PAC. Du reste, nous sommes plutôt dans un cycle de réchauffement planétaire et donc de l’air ambiant. Un vendeur aura tendance à proposer une PAC réversible qui refroidira l’intérieur de l’habitat en été, à l’image d’un climatiseur. Une mauvaise idée si l’on considère la sobriété énergétique vers laquelle il faut tendre.

Le paradigme du futur

Le marché des pompes à chaleur est encouragé par des primes régionales afin d’inciter l’installation de cette technologie encore fort onéreuse. À Bruxelles, la chaudière au gaz à condensation n’est plus soutenue depuis le 1er janvier 2023 alors même qu’elle reste la plus adaptée à une majorité de logements bruxellois et qu’elle est parfois combinée à une PAC. Mais le nouveau paradigme de l’énergie est désormais « tout à l’électricité » et la PAC est une machine électrique. Bannir le gaz brûlé, c’est combattre l’ennemi CO².

Le gaz, c’est un stock. Comme le charbon. Le gaz « naturel » (un truisme !) qui arrive chez l’habitant·e jusqu’à sa chaudière n’a pas été transformé : c’est une énergie primaire.

Ainsi 1 kilowatt (kW) de gaz coûte, en énergie, un kilowatt. L’électricité quant à elle n’est pas une énergie primaire, elle doit être produite. Il faut donc dépenser de l’énergie pour la fabriquer. En Belgique, aujourd’hui, 1kW d’électricité coûte en moyenne 2,2 kW d’énergie à la production. En France, le ratio est plus intéressant : 1 kW d’électricité coûte 0,9 kW d’énergie… nucléaire.

Il est donc essentiel de comprendre la source d’énergie utilisée pour produire l’électricité dont les machines ont besoin.

Or l’équation vendeuse de la PAC, son coefficient de performance (COP), fait l’impasse sur le fait que le compresseur, véritable moteur de la PAC, tourne avec de l’électricité qui a, elle aussi, son coût énergétique. Une PAC AIR-EAU a un coefficient de performance qui peut monter à 3 (même si en réalité il est plutôt autour de 2,5, en raison de différents aléas). Cela signifie que la pompe produit 3 kW de chaleur à partir d’1 kW d’électricité. Mais en réalité, pour produire 1 kW d’électricité, il a fallu en dépenser 2,2 pour produire l’électricité qui fait tourner le compresseur.

Le ratio est donc bien le suivant : 2,2 kW d’électricité produisent 2,5 kW de chaleur (3 dans le meilleur des cas). Un rapport nettement moins intéressant au regard du prix de l’électricité. Grégoire Houcke relate à ce sujet les retours des bénéficiaires qui se plaignent de l’envolée de leur facture d’électricité. Le phénomène est d’autant plus criant que les logements chauffés par une PAC ont une isolation étanche à l’air et sont équipés d’un système de ventilation lui aussi gourmand en électricité.

Le combo gagnant pour une installation vertueuse de la PAC semble dès lors de la coupler à l’installation de panneaux photovoltaïques afin de tendre au maximum vers l’autonomie électrique.

Le nucléaire, énergie de transition

Dans un avis rendu au gouvernement au début de l’été, la CREG – Commission de régulation de l’électricité et du gaz – constatait que les prix de l’électricité étaient encore trop élevés pour que les pompes à chaleur soient suffisamment attractives en Belgique [8], en prenant en compte le coût d’investissement, d’entretien et de combustible. Priorisant l’isolation du bâti qui réduit la puissance requise d’une PAC, la CREG souhaite que les primes régionales pour les PAC ne soient octroyées que pour les habitations ayant un niveau d’isolation suffisant. Elle propose aussi de réduire les accises sur l’électricité pour les clients résidentiels en compensant la perte budgétaire par une augmentation des accises sur les combustibles fossiles. Le tout accompagné par une TVA à 6 % à l’achat d’une PAC, quelle que soit l’année de construction du logement.

Mais si tout le monde avait sa PAC, comment se comporterait le réseau ? Selon Guillaume Joly, responsable du logement durable pour le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), si 20 % des logements bruxellois étaient équipés en PAC, le réseau électrique saturerait. La réponse des autorités régionales est qu’il faut développer la production d’électricité via les procédés renouvelables (éolien, photovoltaïque, méthanisation…). Mais cela sera-t-il suffisant ?

Rien n’est moins sûr et le retour en grâce du nucléaire au sein des institutions de l’Union Européenne a de quoi inquiéter. De nombreux pays ne sont pas convaincus par la promesse de la politique allemande, celle d’une électricité bon marché reposant uniquement sur les énergies renouvelables [9]. Outre la Belgique, la France, la Pologne, la Hongrie, la Bulgarie, la Slovénie, la République tchèque et les Pays-Bas prolongent eux aussi la durée de vie de leurs anciennes centrales, ou prévoient d’en construire de nouvelles. Même la Commission, autrefois réticente à tout ce qui avait un lien avec le nucléaire, retourne désormais sa veste. Au début de l’année, elle l’a même classé « technologie stratégique ». Les autorités peuvent ainsi délivrer plus rapidement des autorisations aux usines qui, par exemple, fabriquent des pièces pour les réacteurs. Auparavant, une telle mesure n’aurait été possible que dans le domaine des énergies renouvelables, mais désormais, la fission atomique se trouve sur le même pied que l’éolien et le solaire. D’autres idées pour financer le nucléaire, dont la plupart viennent de France, font débat à la Commission, tel le déblocage de fonds européens pour financer la construction de nouvelles centrales et le soutien de la Banque européenne d’investissement (BEI).

Le chauffage central : un système caduc ?

L’installation d’une PAC questionne aussi les façons de se chauffer. Le chauffage central – et la possibilité de jouir de 19, 20 ou 21 degrés dans chaque pièce de l’habitation – est très récent. Il a été installé massivement dans les maisons bruxelloises au début des années 1960. Le concept de la PEB conserve ce confort en partant d’un postulat d’une température égale dans chaque pièce d’une même unité de logement. Le volume d’habitation est analysé pièce par pièce et par surface de déperdition en contact avec l’extérieur (toiture, murs, pignons, sol). Chaque surface de déperdition est une zone d’action potentielle et le logiciel attribue une cotation qui rend compte des qualités isolantes en partant des performances énergétiques de chaque paroi. À partir des notes obtenues pour chaque paroi, le logiciel estime la consommation annuelle (théorique) par mètre carré pour maintenir une température égale de l’ensemble des pièces de l’habitation à 18 degrés pendant les 12 mois de l’année. Un modèle déconnecté de l’usage même d’un logement où chauffer les pièces dans lesquelles on ne vit pas, ou quasi pas, est une hérésie énergétique.

Dans son mémorandum politique 2024, le Réseau Habitat s’intrerroge sur le fait d’attribuer une note de performance énergétique à un bâtiment puisque celui-ci ne consomme pas d’énergie : ce qui consomme ce sont ses occupant·es, ses usager·es.

Le seul élément qui pourrait éveiller une conscience de ce que nous consommons est le compteur qui tourne, souvent placé en cave et peu consulté. Autrement dit, il s’agirait de contrôler la consommation réelle plutôt que la consommation théorique des ménages. La perspective de diminuer les émissions de gaz à effet de serre sans considérer les usages de l’énergie relève de l’aveuglement. Des études démontrent d’ailleurs l’effet rebond des consommations réelles d’énergie dans des logements très bien isolés [10]. Ignorant cette évidence, le plan de décarbonation bruxellois estime qu’atteindre 100 % des logements au niveau C, label médian de la PEB, en 2050, permettrait une économise de 7 à 8 tonnes Wh d’énergie. Ce vœu de décarbonation à l’horizon 2050 ne relève pas d’une vision écologique : elle trahit plutôt une réponse technologique à un souci climatique, à savoir la concentration de CO2 dans l’atmosphère.

Si 20 % des logements bruxellois étaient équipés en PAC, le réseau électrique saturerait.

Slow heat

Il semble que pour atteindre les objectifs de 2050, il ne suffira pas de « shifter » de système de chauffage mais plutôt de prôner la sobriété énergétique. Sans quoi l’industrie nucléaire aura de beaux jours devant elle ! Il faudra chauffer moins, avoir moins de machines chez soi, vivre à une température ambiante de 17-18 degrés dans les pièces de vie, réduire les demandes de chaleur et de froid par des changements de comportements, de conceptions, de normes… Il faudra soutenir ces changements par des inventions « low-tech » (basse technologie) afin de les ancrer dans nos habitudes de vie, les rendre véritablement durables et accessibles à tout ménage. La philosophie slow heat pense cette voie en proposant de revenir à des solutions utilisées jadis : chauffer les corps plutôt que les espaces !

Une telle philosophie suppose une évolution radicale de la notion de confort telle que la PEB le promeut. Des dispositifs très locaux adaptés à des usages spécifiques permettent, par exemple via des panneaux radians mobiles, de placer la chaleur là où on en a besoin. Si je lis un livre dans mon canapé ou dans mon lit, je n’ai pas besoin de chauffer toute ma pièce à 19°C. J’ai juste besoin d’avoir un petit dispositif qui me permette de ne pas ressentir de froid sur mes extrémités, outre une couverture ou une bouillotte, et qui consomme dix fois moins d’énergie.

Mettre davantage l’énergie grise sur la table des discussions est un autre impératif. Un mètre cube d’isolant pétrochimique nécessite 12 fois plus d’énergie à la production que la fibre de bois recyclée. Il va donc falloir remettre en question les modèles industriels. Si la PEB calculait la performance environnementale plutôt qu’énergétique des bâtiments, les scores obtenus et les travaux à effectuer pour les améliorer seraient sensiblement différents. La robustesse et la convivialité des solutions permettra aussi de réduire fortement les émissions de CO2 et de renouer avec des savoirs et du bon sens là où la haute technologie confisquent les techniques.


LA FORMULE DE L’ÉNERGIE

Toute énergie consommée est liée à une durée. La formule de l’énergie est une puissance sur une durée. Le watt (W) étant la puissance, l’heure (h) étant la durée. Le programme Eco d’une machine à laver dure plus longtemps qu’un programme « standard » parce que la puissance fournie par la machine est moindre. Si la puissance est de 100 W et que la machine tourne pendant trois heures, elle aura consommé 300 Wh. Par contre si je choisi un programme où elle tourne à 1 kW (soit 1000 W) pendant 1h, j’aurai consommé 1 000Wh (1 kWh) soit 3,5 fois plus d’électricité. Une ville comme Bruxelles consomme 11 Mégawatt de l’heure (= 11 tonnes Wh = 11 000 kWh). La promesse que tous les logements soient aux normes de la PEB C en 2050 permettrait de réduire la consommation théorique à environ 6mWh pour la production de chaleur et de froid seulement et uniquement du point de vue de la consommation du bâti. C’est l’idée défendue par le plan de décarbonation de la Task Force bruxelloise : en 2050, quand tout le monde aura atteint un PEB C (consommation théorique du logement équivalent à 150kWh/m2) on aura en théorie économisé 7 à 8 mWh d’énergie. Mais si on ajoute toutes les sources d’énergie nécessaires au fonctionnement des machines, la puissance que requiert leur moteur pour être activé, on est loin du compte. Sans compter toute l’énergie grise non calculée dans les coûts énergétiques nécessaires à la fabrication des produits, machines et matériaux, leurs acheminements et leurs mises en œuvre nécessaires à l’obtention du grade C de la PEB. Par ailleurs, si l’on veut être juste, il faut prendre en compte leur cycle de vie, c’est-à-dire leur longévité et leur capacité à être recyclé. 85 à 90 % des chantiers d’isolation des façades arrière sont réalisés à partir de plaques de polystyrène. Une aberration nullement prise en compte dans le calcul des émissions de GES du secteur du bâtiment.

par Stéphanie D’Haenens

Chargée de mission


[1La prise en compte des émissions indirectes dans la lutte contre le changement climatique est reprise dans les articles 1.2.3 et 1.2.4 du Code Bruxellois de l’Air, du Climat et de la maîtrise de l’Energie (COBRACE) tels qu’insérés par l’Ordonnance Climat du 17 juin 2021. Celle-ci prévoit une réduction des émissions indirectes de la Région pour atteindre une trajectoire comparable à celle des émissions directes à l’horizon 2050. En ligne sur le site de Bruxelles-Environnement dans les pages Outils et données / État des lieux de l’environnement / Émissions de gaz à effet de serre.

[2Brugel, « Région Bruxelles-Capitale, une Région neutre en carbone d’ici 2050 », 30 mai 2024 [https://brugel.brussels].

[5B. JULY, « Les pompes à chaleur : beaucoup de conditions… », Le Soir, 25 septembre 2022.

[6Les ponts thermiques sont des ruptures d’isolants qui surviennent généralement à l’intersection de deux parois. Ils sont responsables d’environ 5 à 10 % des pertes thermiques et peuvent provoquer de la condensation dans les murs, ce qui peut les détériorer rapidement.

[7Il s’agit de l’outil cartographique BrugeoTool dont plusieurs calques peuvent être activés pour visualiser différentes données.

[8M. DE MUELENAERE, « Énergie : réformer la fiscalité pour favoriser les pompes à chaleur », Le Soir, 11 juillet 2024.

[9S. BEUTELSBACHER (Die Welt), « Retour en grâce de l’énergie nucléaire : “L’Europe ne devrait pas se montrer frileuse” », Le Soir, 16 octobre 2024, article traduit et publié grâce aux échanges d’articles au sein de la Leading European Newspaper Alliance (LéNA).

[10D. MAJCEN et L.C.M. ITARD, « Relatie tussen energielabel, werkelijk energiegebruik en CO 2 -uitstoot van Amsterdamse corporatiewoningen », Delft University of Technology, Onderzoeksinstituut OTB, 2014.